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PAPAUTE

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Mais à côté de ces règles pour l’acquisition et l’usage lies ricliesses, ne fallait-il donc rien retenir de ces ardents appels à la pauvreté évangélique, qui avaient fait illusion à bien des âmes généreuses, qui poussaient, par exemple, un Pierre Valdo, fondateur des Vaudois, d’abord à un dépouillement héroïque, puis à de dangereuses chimères ? C’est là qu’apparaît le rôle des Ordres mendiants, et particulièrement des Franciscains. Sans rien critiquer dans la société qui les entoure, ils viennent donner l’exemple du renoncement le plus absolu. Ceux-là, bien loin de les condamner, la Papauté les approuve, les encourage, les comble de faveurs. Ainsi apparaît dans toute son ampleur et sa délicate complexité la solution chrétienne du problème social. Nos orgueilleux réformateurs modernes ne savent nous proposer comme idéal qu’un alTreux nivellement. L’Eglise, quand on la laisse libre, sait mettre en œuvre pour remédier à l’antagonisme des classes de bien autres ressources. Pas d'égalisation artilicielle. L’injustice est condamnée sous toutes ses formes, mais la hiérarchie sociale est maintenue. Ceux qui ont acquis par leurs efforts personnels, ou qui doivent à des services autrefois rendus, au mérite de leurs ancêtres, une grande situation temporelle, peuvent la garder. Voilà donc déjà l’inégalité dans la jouissance des biens de ce monde. Mais elle va être corrigée ou contre-balancée par une autre inégalité. Bien au-dessus de l’aristocratie de la naissance ou de celle de la fortune, le christianisme fait surgir l’aristocratie de la vertu et de la sainteté. Toutes les âmes, même fidèles, ne profitent pas également de la Bonne Nouvelle. La masse se contente de l’observation des préceptes. Le petit nombre, l'élite cherche la perfection, et la cherche, spécialement à cette époque, et sous l’influence de saint François, en poussant le plus loin possible le dépouillement. Ainsi tous apprennent à ne point trop se plaindre de l’inégale distribution des richesses, en voj’ant ceux que l’Eglise infaillible propose comme des héros à l’admiration de tous, volontairement s’en priver. Bien plus, le Tiers-Ordre franciscain, encouragé et soutenu par Rome, fera pénétrer jusque chez les grands du monde quelque chose de cet esprit. On en A-erra beaucoup, à l’exemple de saint Louis, roi de France et de sainte Elisabeth de Hongrie, fuir le luxe dans les vêtements, distribuer d’immenses aumônes, montrer un juste sentiment de la justice et du respect dus aux petits.

Mais, qu’on le remarque, le souille chrétien qui agit à l’intime des âmes ne suffit pas pour rendre compte de ces faits. Enlevez le contrôle de la Papauté, et vous n’avez plus qu’un mysticisme inconsistant, allant des plus sublimes inspirations aux plus insoutenables utopies. Nous voyons cela se produire jusque dans la famille de saint François, chez ceux de ses fils. Spirituels et Fraticelles, qui n’ont pas hérité de son obéissance parfaite à l’Eglise romaine. Les papes (et nommément Jean XXII) seront obligés de lutter contre eux et de les condamner.

Il serait intéressant de faire ici le tableau de la grande époque du moyen âge, lexiie et le xia « siècles. La chrétienté passionnée tout d’abord pour le culte divin, et se revêtant delà blanche robe de ses cathédrales où les arts viennent à l’envi se consacrer au service de la religion, soulevée vers le dévouement et riiéroïsræ militaire par la chevalerie et les croisades, édifiée et préservée des germes de corruption tout près d'éclore et de pulluler, par les vertus sublimes des Ordres monastiques et des Ordres mendiants, éclairée et lancée dans la voie des plus hautes spéculations par les Universités, où se composent

ces Sommes de tout le savoir humain organisé autour de la Révélation ; les fils des Barbares apprenant ainsi à s’enthousiasmer pour la science, mais en la soumettant toujours à l’Esprit de Dieu. Et nous pourrions montrer dans la Papauté le centre et l'âme, pour ainsi dire, de cette grandiose civilisation. C’est elle, nous l’avons vu, qui donne le branle aux croisades, elle qui encourage et approuve les Ordres religieux, elle encore qui soutient les Universités, en les prenant sous sa tutelle directe, et qui au xni<" siècle, dans les Universités même, oblige à faire place aux Ordres mendiants, c’est-à-dire à l'élément actif et novateur. Sans elle, les plus hauts génies, un saint Bonaventure, un saint 'Thomas d’Aquin luimême, se fussent trouvés exclus de l’enseignement par des coalitions d’intérêts I Nous ne pouvons insister longuement. Cependant, devant un pareil spectacle quelques réflexions s’imposent, fort utiles })our bien comprendre la destinée historique de la Papauté. Quelle différence entre les papes du x" siècle et ceux de la période présente I Les premiers, réduits souvent au rôle d’administrateurs de gros bénéfices temporels ou de chapelains impériaux ; les seconds, remparts inébranlables de la liberté des peuples, gardiens de la justice et de la paix, promoteurs de toutes les saintes et généreuses, entreprises. Comment la Papauté s’est-elle élevée d’un si prodigieux coup d’aile au-dessus des monarchies féodales environnantes, avec lesquelles, à certains moments, elleavail paru presque se confondre ? Qui voyons-nous à l’origine de ce mouvement ? Un grand vaincu, saint Gbi ! Goibk VII, mort en exil, témoin de l'échec apparent de son œuvre. Les politiques du temps ont pu le considérer comme un imprudent qui ne savait point calculer les résistances, et depuis, bien des sages lui ont reproché de s'être inspiré d’une foi trop absolue dans les principes, de n’avoir pas su assez se plier aux circonstances. Pourtant, c’est lui en définitive qui a triomphé et qui a ouvert à la Papauté une des périodes les plus glorieuses, les plus extraordinaires de son histoire.

Un point cependant reste à examiner : ces papes, qui exercent une telle maîtrise sur tout l’Occident, que l’on consulte de toutes parts et sur tous les objets, qui, d’un bout à l’autre de la chrétienté, doivent assumer le rôle de remettre toutes choses à leur place, ne vont-ils pas être tentés de sortir de la leur, de ne plus se sentir assez hommes, de se croire enfin tout permis ? Laissons la parole à M. Goyau pour répondre à cette question :

« Que les papes à leur tour aient eu des caprices, 

cela est vraisemblable et cela est vrai. Lorsqu’on gouverne le monde, ce qu’il y a dans le monde de plus difficile à gouverner, c’est soi-même. Et puis, ils agissaient au nom de Dieu : pensée troublante, susceptible d’exalter l’orgueil du vicaire, en lui persuadant que son orgueil même est un hommage à Dieu. Mais cette pensée porte en elle son remède ; elle effraie le pontife par la perspective de sa responsabilité ; et lorsqu’il considère cette demi-solidarité par laquelle Dieu et saint Pierre lui sont rattachés, ces liens qui l’unissent à la série des Papes et qu’aucun de ses successeurs ne pourra dissoudre ni désavouer, lorsqu’il sent qu’au jour le jour ses paroles et ses actes s’insèrent parmi les paroles et les actes du Saint-Siège, alors dans son âme, l'épouvante s’accroit. On rencontre, chez les pontifes du moyen âge, et en général chez les grands papes, ce mélange singulier d’orgueil et de timidité… GrélioiRE Vil, I.NNOCBNT III, BoNiFACE VIII, maîtres des âmes, des trônes et des camps, échappèrent au péril de la toute-puissance ; on compte les occasions — elles sont peu nombreuses, eu égard à ce péril— où