Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/705

Cette page n’a pas encore été corrigée

1397

PAPAUTE

1398

princes de ce monde, leur enseignèrent encore d’autres leçons. J. de Maistre a écrit qu’ils établirent à la fuis et l’origine divine de la souveraineté et le droit divin des peuples. De fait, leur cause se confondit souvent — et surtout dans les affaires italiennes — avec celle de la liberté des peuples. Alkxandhk 1Il revendiquant les droits du Saint-Siège, en face de frédéric Barberousse, GiuicomB IX et Innocent IV luttant contre les entreprises despotiques de Frédéric 11, avaient avec eux les cités italiennes, qui refusaient, elles aussi, de subir le joug allt-mand. Mais n’allons pas nous imaginer pour cela les Papes soutenant une sorte de Déclaration des droits de l’homme anticipée. H n'était nullement question de contester à la souveraineté ses titres véritables. Pour l’empire en particulier, on ne voit pas que la Papauté, qui l’avait elle-même rétabli, en ail jamais manifesté du regret. Seulement, en relevant cette institution antique, il s’agissait de l’adapter aux principes de la civilisation chrétienne. Les théologiens catholiques, dans la vaste synthèse rationnelle qu’ils élaboraient alors, déiinissaient la loi un acte non de la volonté ou du caprice, mais de la raison. En conformité avec cette doctrine, les papes ne pouvaient tolérer la remise en vigueur, avec interprétation païenne, du vieil axiome : « Ce qui plaît au prince a force de loi. » Ce n'était point là certes se montrer ennemis de la souveraineté. En lui imposant des bornes, en lui rappelant qu’elle ne devait point prétendre à un pouvoir illimité, les papes travaillaient à la consolider. Rien de commun entre cette action et celle de nos réformateurs modi’rnes, toujours plus ou moins en révolte contre le principe d’autorité.

Reconnaître le caractère sacré des institutions nécessaires, alors même qu’on en condamne les abus, c’est tout le secret de cette action féconde des pa])es sur les alfaires humaines. Jamais, au milieu de leurs luttes incessantes contre les empereurs allemands et contre bien d’aiitres souverains, les papes du moyen âge n’ont oublié qu'à cûté de l’autorité religieuse il fallait une autorité politique, et que, dans sa S])hère propre, elle devait être forte et respectée. Bien plus, cette Eglise, qu’on nous représente volontiers comme luttant, à toutes les époques, et spécialement au moyen âge, contre les prétentions légitimes de l’Etat, fut la première alors à prôner, à invoquer la notion de l’Etat. Elle luttait, nous l’avons dit, contre la conception païenne de l’empire menace pour la liberté chrétienne, mais elle ne luttait pas moins cimtre l’anarchie féodale, obstacle à l’ordre et à la sécurité de tous. Pour limiter les abus des guerres privées, grand fléau de l’Europe médiévale, elle établit la Trè'e de Dieu, Là encore nous retrouvons l’action directe des papes, puisque la Trêve de Dieu, proclamée d’abord par quelques conciles particuliers, reçut toute son extension d’UnsviN II, au concile de Clermont. Mais si l’Eglise pouvait susciter d’ardentes bonnes volontés en faveur de la paix, si elle pouvait porter des lois d’ntililé générale, elle manquait d’une condition indispensable pour en imposer l’observation : la possession d’une foroc armée Aussi, même en plein moyen âge, ne se montra- t-elle pas disposée à se prendre elle-même pour l’Etal. Personne alors, au milieu de l'émiettement féodal, ne conserve, autant que les hommes d’Eglise, l’idée de l’Etat, de ses droits et de ses devoirs. Papes et évêques comprennent très bien que ce qui fait défaut à leur temps, ce qu’aucune bonne volonté ne saurait suppléer, ce qui est indispensable pour sortir de l’anarchie féodale, c’est une organisation politique sérieuse. C’est au roi, c’est aux princes qu’ils imposent l’obligation de réprimer les abus, répétant volontiers, comme le

moine, biographe de notre Louis VII : « Si le pouvoir royal ne s’adonne avec le plus grand soin à protéger la chose publique, les plus forts oppriment outre mesure les faibles » ; ou comme Si’Qkr : « C’est l’olfice du roi de rétablir la paix dans le pays. » (Garread, l’Elut social de ta France au temps des Croisades) De fait, la suppression des guerres privées devait être l'œuvre des monarchies.

Nous n’avons pas à nous étendre ici sur le rôle des papes comme inspirateurs des Groisauks (voir ce mot). On sait assez du reste que l’honneur principal leur en revient. Les princes séculiers, préoccupés de leurs querelles personnelles, se faisaient souvent prier pour prendre la croix. Mais toujours les Souverains Pontifes leur rappelaient le devoir de la concorde et de la guerre sainte pour le salut commun : c'était contre les inlidèles, péril de l’Europe et de la civilisation chrétienne, que les armes bénies jjar l’Eglise devaient être tournées. Aucun fait peut-être ne montre mieux la place tenvie alors par la Papauté, centre unique où la chrétienté, menacée du dehors ou du dedans, pût prendre conscience d’elle-même et de ses besoins.

Arrêtons-nous davantage aux interventions des papes sur le terrain social, qui sont pour nous bien instructives aujourd’hui. Les plaintes contre la constitution de la société ne manquaient pas alors, non plus qu’en aucun temps de civilisation un peu brillante. Les plus fréquentes, les plus aiguës s'élevaient contre la richesse de l’Eglise elle-même et contre les abus nombreux et incontestables qu’elle engendrait. On était frappé du contraste avec l’idéal proposé par l’Evangile, et l’on parlait d’j' ramener l’Eglise. Parfois aussi l’on s’en prenait tout criiment à l’inégalité des conditions. Les abus en effet ne manquaient pas non plus dansla société civile, pour donner prétexte à la critique : abus féodaux, abus du commerce et de la banque naissante, abus du luxe un peu partout. En présence de cette question angoissante, l’attitude des papes fut très nette : toutes les réclamations subversives furent absolument rejetées, toutes les sectes plus ou moins communistes — Vuudois, Apostoliques, etc. — furent impitoyablement condamnées. Une chose apparut bien clairement, c’est que, dans la doctrine catholique, le droit de propriété est sacré et doit être toujours respecté ; et. pour l’Eglise en particulier, que, sans être de la terre, étant néanmoins sur la terre, elle doit subir les conditions terrestres, et donc que, pour sa subsistance, des biens lui sont nécessaires, qu’elle possède en toute légitimité.

Repousser les excès n'était cependant pas tout ; il fallait encore, au milieu de ces aspirations confuses, discerner ce qui pouvait être accepté ; les papes ne s’y refusèrent pas. Les riches restaient libres de conserver leurs richesses et même de travailler à les augmenter ; mais l’Eglise leur rappelait qu’ils étaient tenus à l’aumône, que, dans le plan providentiel, leur superflu était destiné à subvenir à la misère de leurs frères, et qu’ainsi ces biens, propres quant à l’administration, devaient devenir en quelque manière communs quant à l’usage, tant leurs possesseurs devaient se montrer faciles à en faire part aux indigents. En même temps, des lois pontificales sévères contre l’usure, contre les spéculations injustes, contre la fraude commerciale (lois dont les corporations s’inspirèrent dans leurs règlements), prévenaient les abus de la lutte pour la possession des richesses, si facilement désordonnée. Quant aux biens ecclésiastiques, il demeurait entendu que c'était proprement le patrimoine des pauvres, et qu’ils devaient servir à faire face à tous les besoins de la charité.