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plus encore ; ils fonderaient déflnitivement la puissance leniporelle des papes. Ceux-ci, menacés par les Lombards et ne pouvant guère compter sur le secours des empereurs de Conslantinople, firent entendre leur appel de l’autre côté des Alpes. Pépin le Bref à deux reprises, Gliarlemagne ensuite y répondirent. La situation que nous avons vue se préparer dès le temps de saint Grégoire le Grand était conlirmée ; la suzeraineté des Césars d’Orient, qui n’avaient rien su faire pour défendre la Ville élernelle, fut dès lors ouliliée ; le pape se trouva le vrai maître à Rome et aux alentours.

Cette action de la nouvelle dynastie franque en faveur de la Papauté ne devait pas rester sans récompense. Léon 1Il voulut reconnaître solennellement à Gliarlemagne le rôle de protecteur du SaintSiège en le couronnant empereur d’Occident. Les temps postérieurs le montreraient, cette cérémonie, qu’on eût pu croire de pure forme, était grosse de conséquences, et de conséquences, disons-le tout de suite, qui ne seraient pas toutes à l’avantage des papes et de leur tranquillité. Les difficultés sont le lot ordinaire de l’Eglise sur terre ; le nouvel empire, institué par son initiative, ne les lui épargnerait pas plus que l’ancien. Mais nous ne devons pas cesser d’admirer les grands faits de l’hisloire chrétienne parce que certains inconvénients les ont accompagnés ou suivis. Gomme la conversion de Constantin, comme le baptême de Glovis, le couronnement de Gliarlemagne était un triomphe pour l’Eglise ; et de tels triomphes méritent d'êlre célébrés, malgré ce que nos conditions d’ici-bas leur laissent toujours de précaire et d’incomplet. C'était une grande chose de voir le Vicaire de Jésus-Christ disposer de la couronne impériale dans cette Rome où ses lointains prédécesseurs avaient été martyrisés par les Césars, et la mettre sur le front du grand conquérant, au moment où celui-ci faisait de si nobles elTorts pour relever la civilisation en Occident ; c'étaitune grande chose et pleine de promesses, de voir ainsi scellée l’alliance entre la Papauté et cette jeune race franque, à laquelle souriait l’avenir ; au moment où, dans l’Orient, le Bas-Empire s’enfonçait de plus en plus dans la décadence.

Cependant il est bien rare qu’une protection puissante ne se paye pas. Charlemagne montrait un dévouement incontestable pour l’Eglise, il donnait force de loi aux canons des conciles pour la réforme ecclésiastique ; mais il était fort jaloux de son pouvoir, et il ne se privait pas toujours d’empiéter sur le spirituel. On a reproché aux papes de son temps, particulièrement à Aoiuen I"', trop peu d’indépendance à son endroit, trop de déférence à ses désirs. Ainsi senible-t-il que, quoi que fassent les papes, ils ont toujours tort. Montrent-ils pour des bienfaits signalés une reconnaissance certes bien justifiée, qui se manifeste par quelque condescendance, on crie à la servilité ; revendiquent-ils avec fermeté les droits de l’Eglise, on les accuse d’oublier ce qu’ils doivent à César et de prêcher la révolte. Soyons donc justes. Ne disons pas que les papes n’ont jamais excédé dans un sens ou dans l’autre. Mais avouons que, placés souvent dans des circonstances dilliciles, la conscience de leur haute responsabilité les a fait d’ordinaire naviguer assez heureusement entre les écueils, gardant la dignité dans la déférence, respectant le caractère sacré de la souveraineté, alors même qu’ils en dénonçjiienl les usurpations. En réalité, Adrien I" et Léon 1Il n’ont pas plus été des courtisans, que Grégoire Vil n’a été un révolutionnaire.

Après ce moment glorieux, il faut marquer les tristes humiliations qui suivirent. Nous touchons à l'établissement de la féodalité sur tout le sol de

l’Europe. A ses débuts elle fut, pour l’Eglise et pour la Papauté, une cause de graves dangers. Déjà le ix" siècle avait été loin d'être pacifique pour l’Italie ; il y avait eu plus d’un conflit entre les Souverains Pontifes et les empereurs carolingiens, ces nouveaux protecteurs qu’ils s'étaient donnés. Mais l'époque suivante fut bien pire encore. Depuis la sinistre comédie d’EiiENNE VI (896-897) faisant juger en plein concile le cadavre déterré de son prédécesseur Formose, jusqu’aux équipées juvéniles de Benoit IX (io33-io45), installé encore enfant sur le siège de saint Pierre, et épouvantant Rome de ses débordements, c’est un temps, sombre entre tous, de compétitions acharnées, parfois sanglantes, autour du Souverain Pontificat et durant lequel, ni les violences les plus atroces, ni les scandales, ne font, hélas 1 défaut.

Cependant cette page lugubre doit, elle aussi, avoir pour nous ses leçons. Elle nous ra[ipelle d’abord que le pouvoir conféré aux papes par JésusChrist ne dépend pas de leurs qualités personnelles ; selon le mot de saint Léon, digiiilas l’etri etiam in indigna lierede non de/icil. Voltaire lui-même témoigne, sans qu’il s’en doute, de cette vérité, lorsqu’il écrit, à propos du x" siècle : « On s'étonne que, sous tant de jiapes si scandaleux et si peu puissants, l’Eglise romaine ne perdit ni ses prérogatives, ni ses prétentions. » (Essai sur les Hlœurs, t. I, ch. xxxv) Sur quoi Joseph de Maistuk de noter avec raison : (( C’est fort bien dit Aos'étonner ; car le phénomène est humainement inexplicable. » (Du Pape, liv. II, eh. vir, art. a)

Ensuite il nous faut remarquer que si la Chaire de saint Pierre a été alors environnée de violences et parfois souillée de scandales, c’est avant tout faute d’indépendance. Le Souverain Pontificat, tombé sous la sujétion de petits potentats italiens, devait nécessairement devenir le jouet de l’intrigue et de l’ambition sans scrupule. Pour se maintenir à la hauteur que demandent ses sublimes fonctions, il fallait que le pape fût et parût affranchi pleinement de toute puissance séculière. Ce serait l'œuvre de l'époque

1. Les hontes de celle époque n’auraient-elles point cependant élé exagérées ? A-t-on vraiment i alors une succession de courlisones gouverner l’Eglise romaine et in « lnller sur le siège de saint Pierre leurs fils ou leurs amants ? Des hommes bien informés le révoquent en doute aujourd’hui. Le Saint-Siège se trouvait alors le point de mire des deux influences rivales qui se disputaient l’Italie, l’influence byzantine et l’influence germanique. Cela explique non geulerænt bien des violences, mais aussi bien des récils passionnés et peut-êlre bien des caloninieB.

Or, la source presque unique (vù nous renseigne sur ces scandales invraisemblables, c’est le fameux l, tiTPit A^'n, évêque de Crémone, l’homnie du parti alleniami, plein de l’ancunes et d’antipathies contre Romains et byzantins, qui n’a j>as même la prétention d'être impartial (il intifule son livre Antapodosi », la Revanche !) Un érudit italien contemporain, M. Fedelk, professeur A l’Université de Turin, a repris ce procès. Il venge les Théodora et les Marozie des imputations de Luitprand, qu’il ne craint pas d’appeler un calomniateur de femmes (Hicerrhe fur la storia di Romae del papnio, nel secolo.V, dans l’Arr/iifin délia Socteta romana di stnria patria. t. XXXIII, 1907K Il resterait le scandale d’influences féminines s’exer( ; anl dans les élections pontificales, de façon passahlement irrégulière, mais il faudrait rejeter au rang des fables les accusations infamantes trop lonp^temps répétées, et devant lesquelles les plus illustres défenseurs de la Papauté, depuis Baronius justju'à Joseph de Maistre, se sont souvent voilé la face. Le regretté Godefroip Kuhth, nous le savons de source certaine, se rangeait entièrement à cet avis ; à ses yeux, la question n’en était plus une, et, ajoutait-il, s’il ne s'était agi des papes, il y a longtemps qu’on n’en parlerait plus.