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PAPAUTE

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passer, aux yeux du gros public moutonnier, pour des fanatiques et des exaltés, persécutés par les sectaires ambitieux, abandonnés des faibles comme trop compromettants, ne trouvèrent qu'à Rome un endroit où ils fussent compris et appuyés sans réserve *.

Dans ces combats, oii il fallut souvent mettre en jeu une énergie surhumaine, il y allait avant tout de l’indépendance de la conscience chrétienne. Il s’agissait de savoir si les vérités à croire continueraient à être tixées uniquement par la Parole de Dieu et par ses interprèles légitimes, ou si les croyants devraient se soumettre aux décisions changeantes du pouvoir qui avait la force en main.

Les empereurs cependant dès lors travaillaient à opposer à cette Rome, trop indépendante, une autre capitale religieuse qui fût plus docile. Telle fut l’origine du patriarcat œcuménique de Constantinople, dont on prétendit faire une puissance rivale de la Papauté. Rome maintint sa prééminence, qui continua pour l’instant à être reconnue ; mais entre ces deux sièges qui représentaient deux conceptions si diCférentes de l’Eglise, éclaterait un jour le désaccord délinitif et complet.

Constantin ayant transporté à Byzancele siège de l’empire, le pape restait à Rome le personnage le plus en vue. Parles circonstances allait lui être dévolu un rôle singulièrement ditlieile et délicat ; mais du même coup son influence dans les affaires humaines se trouverait singulièrement accrue. Avec le v^ siècle commençaient les invasions des Barbares. Rome était prise et reprise, livrée au pillage, saccagée. L’empereur était bien loin pour défendre ses sujets, et les fonctionnaires impériaux se montraient souvent bien impuissants. Au milieu de l’anarchie et de la confusion universelle, la Papauté apparut comme la première autorité morale qui pût mettre un terme aux destructions, imposer un peu d’ordre et d’organisation. Lorsque Attila menaça Rome et l’Italie de la ruine, ce fut saint Léon le Grand qui, par l’ascendant de sa parole, l’arrêta.

Mais quelle allait être à l'égard du christianisme l’attitude de ces peuples nouveaux qui, de toutes parts, débordaient les frontières de l’empire ? Les querelles théologiques nées en Orient menaçaient de les séparer à jamais du centre de la catholicité ; presque tous, Burgondes, Visigoths, Ostrogoths, Vandales, étaient gagnés à l’arianisme. La face des choses fut changée par la conversion de Clovis ; avec les victoires de ce même Clovis et de ses Francs sur les Burgondes et les Visigoths, elle décida du triomphe de l’orthodoxie nicéenne sur l’arianisme en Occident. Désormais les Francs seront les alliés lidèles de la Papauté qui saura utiliser ces nouveaux auxiliaires. Au vin* siècle, conduits par Charles Martel, ils sauveront la chrétienté de l’invasion musulmane ; ils défendront contre les Lombards l’indépendance du Saint-Siège ; ils travailleront sous Charlemagne à la conversion de l’Allemagne ; plus tard à celle des Pays-Bas ; les peuples Scandinaves recevront des missionnaires francs les premières étin 1. Inutile, je pense, de faire remarquer que, dans un exposé de ce genre, nous ne pouvons tracer que les grandes lifrnes. Forcément donc nous employons des formules générales contre lesquelles on pourrait objecter plus d un fait particnlier, mais qui restent vraies néanmoins quant à l’ensemble. Nul besoin donc de discuter si Libère n’a pas. dans un moment de faiblesse, abandonné la cause de saint Allianase, ni de rappeler qu Honorius, par une négligence cnipablf, n favorisé le développement du monotUéhsme. (Cf. Uonohius, LibiïbE, Vigile.) Y aurait-il trois fois plus de réservts à taire, nos aiSrmations resteraient encore justifiées. Cela soit dit une fois pour toutes.

celles de la foi. L’alliance féconde de cette nation ardente avec l’Eglise romaine va être un des faits dominants des époques qui se préparent.

Cependant, à Rome même, la situation des papes devenait de plus en plus prépondérante. C’est surtout sous saint Grégoire le Grand que cette prééminence se manifeste avec éclat. Dans sa correspondance il n’apparait pas seulement comme un chef spirituel, préoccupé de l’extension de la foi, il est encore le grand pourvoyeur des nécessites temporelles du peuple. Propriétaires d’immenses domaines, les papes en usent pour le bien de tous, et se préparent ainsi à leur rôle de souverains qu’ils exercent presque déjà.

Sous ce même saint Grégoire, la conquête du monde par les missionnaires de l’Evangile prend une allure nouvelle. Jusque-là, il n’y a pas eu de plan d’ensemble ; on s’est agrandi suivant les circonstances, Grégoire soumet la propagation de la foi à une organisation méthodique. A lui revient l’initiative de la conversion de l’Angleterre ; il y envoie saint Augustin avec des instructions précises oà l’on retrouve le génie romain. Deux siècles plus tard ce sera de même Ghi- ; goihe II qui rattachera la Germanie à l’Eglise, en y envoyant saint Boniface. Ainsi . apparaît de plus en plus manifeste le rôle auquel est destinée la Papauté. Elle sera le centre des conquêtes, comme le centre de l’unité. De Rome partiront les missionnaires et de Rome ils seront dirigés. En face de cas de conscience souvent nouveaux, ne sachant parfois dans quelle mesure il faut se plier aux vieilles coutumes locales, dans quelle mesure il faut se montrer inflexible pour maintenir l’intégrité delà foi, c’est Rome qu’ils consulteront. On le voit dès le temps de saint Grégoire. C’est grâce à cette action, à la fois excitatrice et modératrice, que leur marche restera toujours assurée, et que les frontières de l’Eglise iront toujours se dilatant. Citons le beau tableau par lequel J. db Maistrb résume cette époque, si féconde et si glorieuse, malgré ses malheurs : a N’est-ce pas lui (le Souverain Pontife) qui a civilisé l’Europe, et créé cet esprit général, ce génie fraternel qui nous distinguent ? A peine le Saint-Siège est affermi, que la sollicitude universelle transporte les Souverains Pontifes. Déjà dans le v' siècle ils envoient saint Séverin dans la Xorique, et d’autres ouvriers apostoliques parcourent les Espagnes… Dans le même siècle, saint Pallade et saint Patrice paraissent en Irlande et dans le nord de l’Ecosse. Au vi », saint Grégoire le Grand envoie saint Augustin en Angleterre. Au vii « , saint Ivilian prêche en Franconie, et saint Amand aux Flamands, aux Garinthiens, aux Esclavons, à tous les Barbares qui habitaient le long du Danube. EIulTde Werden se transporte en Saxe dans le viii « siècle, saint Willebrod et saint Swidbert dans la Frise, et saint Boniface remplit la Saxe de ses travaux et de ses succès. Mais le ix' siècle semble se distinguer de tous les autres, comme si la Providence avait voulu, par de grandes conquêtes, consoler l’Eglise des malheurs qui étaient sur le point de l’affliger. Durant ce siècle, saint SifTroi fut envoyé aux Suédois, Anchaire de Hambourg prêcha à ces mêmes Suédois, aux Vandales et aux Esclavons ; Rerabert de Brème, les frères Cjrille et Méthodius aux Bulgares, aux Chazares ou Turcs du Danube, aux Moraves, aux Bohémiens, à l’immense famille des Slaves ; tous ces hommes apostoliques ensemble pouvaient dire : Hic tandem stelimus, nobis ubi defuit urbis. » (Du Pape, liv. III, ch. i)

II. De Charlemagne â saint Grégoire 'VII. —

Ces Francs, que nous avons vus devenir les meilleurs auxiliaires de la Papauté en Occident, allaient faire