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MARIE, MÈRE DE DIEU

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créatures. Or la j)ensée divine, le Verbe divin — car c’est tout un — devait s’incarner alin de poursuivre, sous une forme humaine, l’accomplissement des mêmes desseins de munilicence et de miséricorde. Il était donc naturel de rapporter à la i)ersonne du Verlie incarné les mêmes textes de l’Ecriture, d’autant que l’Incarnation n’est que le prolongement du même plan primitif, avec les modalités nouvelles appelées par la désobéissance de l’homme, avec le redresse nent du désordre et la restauration de l’humanité déchue. C’est ce qu’ont parfaitement compris les Pères les plus anciens, comme un saint Justin, dès le milieu du deuxième siècle. Retraçant la carrière du Verbe divin, ils ont coutume d’en marquer la première étape avant tous les temps au sein de Dieu, et pour cela recourent aux livres sapientiaux ; après qui)i ils montrent, écrite d’avance par les propliètes, l’iiistoire du salut messianique, l’Incarnation et la Rédemption.

Mais, d’autre part, Marie tient de plus près que toute pure créature, soit à la pensée divine, dont elle est le chef-d’œuvre, soit en particulier au dessein de l’Incarnation et de la Rédemption, dont elle est, aiuès Jésus, linsU’ument. A ce double titre, elle occupa, plus que toute créature, avant tous les temps, la pensée féconde de Dieu ; dans toutes les perspectives qui s’ouvrent sur la carrière du Verbe incarné, Marie est au premier plan.

C’est pourquoi l’Eglise se croit autorisée à opérer l’adaptation à Marie des textes qui, selon leur sens littéral, ne conviennent qu’à Jésus. Si étroite est, à ses yeux, l’union entre le Fils et la Mère, qu’elle ne craint pas de décerner à l’un et à l’autre une même louange. Pour le premier nocturne des fêtes de la Sainte Vierge, elle recourt à ces chapitres viii" et ix’des Proverbes, qui visent immédiatement la Création et la Providence :

Le Seigneur m’a produite en tête de sa voie,

avant ses « vuvres, jadis.

Dès réteniilé j’ai été fondée,

dés le principe, avant l’origine de la terre.

AvanL que les abîmes fussent, je suis née,

avant que fussent les sources chargées d’eaux.

Avant que les montagnes fussent fondées,

avant les collines, je suis née,

Alors qu’il n’avait point fait la terre ni les champs

ni le premier grain de la poussière du monde ;

Quand il établit les cieui, j’étais là,

quand il traça un cercle sur la face de l’abîme,

Quand il amassa les nuages en haut

et dompta les sources de l’abîme.

Quand il iixa des bornes à la mer,

et les eaux ne transgresseront pas son ordre ;

Quand il affermit les fondements de la terre,

J’étais près de lui comme un enfant,

j’étais ses délices chaque jour,

jouant devant sa face en tout temps,

Jouant sur le globe de ht terre.

et mes délices [sont] avec les iils de l’homme.

Et maintenant, mes fils, écoutez-moi,

et heureux ceux qui gardent mes voies !

Ecoutez mon avis, soyez sages,

gardez-vous de les rejeter.

Heureux l’homme qui m’écoute,

veillant à ma porte chaque jour,

attentif au seuil de ma demeure.

Car qui me trouve, trouve ! a vie

et obtient grâce de lahvé.

Les leçons du petit Ollfce de la Sainte Vierge sont prises du chapitre xxiv de l’Ecclésiastique, où l’on retrouve des développements très semblables :

Je suis sortie de la bouche du Très haut, et comme une nuée, j’ai couvert la terre. J’ai fixé ma tonte sur les hauteurs ; mon trône est sur une colonne de nuée

J’ai parcouru seule la voûte du ciel

et me suis promenée au fond des abîmes.

Sur les ilôts de la mer et sur toute la terre,

sur tout peujtle et toute nation, j’ai dominé.

Partout j ai cherché mon repos

et l’héritage où je devais faire mon séjour.

Alors le Créateur de toutes choses rac commanda,

mon Créateur ht reposer ma tente

Et dît : Fixe ta tente en Jacob,

sois héritière en Israël.

Avant les temps, dès le principe, il m’a formée

et jusqu à 1 éternité je ne cesserai pas d’être.

Dans le tabernacle saint, devant sa face, je l’ai servi.

Anisije fus affermie en Sion ;

dans la ville chérie, il m’a fait aussi reposer,

et Jérusalem est ma puissance.

J ai pris racine dans le peuple honoré [de Dieu],

dans la jiart de Dieu, [dans] son héritage.

Je me suis élevée comme un cèdre au Liban,

comme un cy[irès sur les monts d’ilermon ;

Je me suis élevée comme un palmier à Engaddi,

comme des rosiers à Jéricho,

Gomme un bel olivier dans la planie ;

je me suis élevée comme un platane ;

Comme lecinn.’uneetle baumeodorantj’ai répandu un parfum,

comme une myrrhe choisie j’ai exhale une suave odeur.

Comme le galbanum, l’onyx, la stacLé,

comme une vapeur d encens dans le tabernacle.

Comme un térebinthe j’ai étendu mes rameaux,

mes rameaux sont des rameaux de gloire ot de grâce.

Comme une vigne, j’ai fleuri en grâce

et mes fleurs sont des fruits d’honneur et de richesse.

Je suis la mère du bel amour,

de la crainte, de la science, de la sainte espérance, ’enez à moi, vous qui me désirez, rassasiez-vous de mes fruits. Car mon souvenir est plus doux que le miel, mon héritage plus que le rayon de miel Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif. Celui qui m’obéît ne sera pas confondu, ceux qui travaillent avec moi ne pécheront pas.

Ainsi la mère du Verbe nous est-elle montrée fructifiant pour Dieu.

Les emprunts faits par la liturgie mariale au Cantique des cantiques n’ont pas moins de charme ; ils se justifient par des considérations un peu différentes.

Sous le voile de l’allégorie, l’exégèse chrétienne a, de tout temps, reconnu dans l’Epouse du Cantique l’Eglise épouse du Christ, ou encore l’àme attirée à l’amour divin. Que l’on s’attache à l’une ou à l’autre de ces interprétations, on y trouvera place pour Marie, et une place éminente. Car Marie est, dans l’Eglise, l’élément le plus saint, le plus tendrement uni à Dieu, Elle est encore, entre toutes les âmes éprises de Dieu, la plus aimante. Donc, à ce double titre, elle réalise, avec une perfection unique, le personnage de l’Epouse. Dès le troisième siècle, saint HiPHOLYTE indique ceci d’un trait (voirn’ALÈs, Théologie de saint Hippolyie, p. 128) ; au quatrième siècle, saint Grégoire de Nysse, saint Epiphane, saint Ambroise, y reviennent à maintes reprises. « Ils la reconnaissent dans le jardin fermé, dans la fontaine scellée, etc. Mais il faut arriver au douzième siècle pour rencontrer des ouvrages où le livre entier soit interprété de la Mère de Dieu. A partir de cette époque, les interprétations de ce genre sont nombreuses. On en trouve même chez les Grecs ; par exemple, celle de Matthieu Cantacuzène, au xive siècle, » (Terrien, /.a jl/ère t/e/^/e ii, //i jUère des hommes, i. I, p.183, note 3). A vrai dire, cette application continue du Cantique à la Mère de Dieu, que l’auteur n’avait pas distinctement en vue, ne va pas sans quelque chose d’artificiel ; mais on ne peut contester le bon droit de cette exégèse, restreinte à des traits choisis.