Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/688

Cette page n’a pas encore été corrigée

1363

PAPAUTE

1364

raux. La plupart d’entre eux voient, dans le Tu ps Pelrus, l’allirmation pcreniptoire d’une vraie suprématie hiérarchique reconnue à l’apôtre Pierre. C’est même le motif principal et avoué pour lequel beaucoup rejettent, soit l’authenticité, soit au moins l’historicité de notre texte. Nul n’est plus catégorique, à cet égard, que M. Julius Grill, en.Allemagne (Der Primat des Peints, p. 9-17. Tuliingue, 190^. In-8), et que M. Alfred LoisY, en France (.Sj no^/iVy » e.s, t. II, p. 9-15), dont l’exégèse concorde presqueenticremenl avec celle des docteurs catholiques. D’autres critiques libéraux, sans aller aussi loin, admettent, en grande partie, la même interprétation. Tels, parmi nos compatriotes, M. Henri ÂJonnieretM. Charles Guignebert.

La tignîBciition do ce passade paraît claire, dit M.MonNIKR. C’est la personne de Pierre qui doit servir de fondement à l’Eglise ; et cette Eglise, étant fondée sur le roc, ne succombera point dans sa lutto contre la puissance des ténèbres. Pierre, fondateur de l’Eglise ouvre et ferme le royaume des cieux.

… Pierre a|.)paraît, à la lumière de ce passage, comme le foudeineiit et le chef de l’Eglise, celui qui admet et qui e-Tclnt. [Xotion de l’apostolat, p. 133 et 13J)

Le Tu es PeOHi, demande à son tour M.GuicNFBEnT, correspond-il à « l’alTirmalion catholique)), en ce qui regarde « l’Eglise et la primauté de Pierre » '?

Si le texte est authentique, aucun doute n’est permis. On peut, à la rigueur, soutenir que, par Eglise, il faut entendre l’ensemble des lidèles, et non encore l’organisation ecclésiastique ; mais la vocation de Pierre qui, en ce cas, est certaine, rend cette interprétation difficile ; et il faut reconnaître que Jésus a, au moins, prévu la constitution de l’Eglise, au sens catholiquedu terme, puisqu’il lui donne un chef : n’estce pasle commencementd’iineorganisatlon ?(.U « /(He/, p. 226, 227)

Les protestants orthodoxes ont raison de dire que le rôle prépondérant de l’apôtre Pierre, dans l'établissement del’Eglise, dans la prédication initiale du christianisme, constitue déjà une application, une vérification du Tu es Petrus. Ils ont raison de dire que Pierre lit usage du pouvoir des c/e/i, en ouvrant les portes de l’Eglise : d’abord aux Juifs, parle message de la Pentecôte ; puis aux gentils, par le baptême du centurion Corneille, après la vision miraculeuse de Joppé. Mais les mêmes protestants orthodoxes restreignent arbitrairement la valeur de notre texte, lorsqu’ils prétendent que c’est là toute la vérification de la promesse faite à Pierre, et que la prérogative de Pierre ne comporte rien davantage : en d’autres termes, lorsqu’ils nient que le Tu es Petrus garantisse à Pierre une autorité gouvernante, et que le rôle de Pierre soit celui d’un véritable chef suprême dans l’Eglise du Christ.

Sans doute, la métaphore de la pierre fondamentale pourrait signifier autre chose que l’autorité gouvernante : elle pourrait s’entendre d’une action privilégiée dans le premier établissement du christianisme ou de l’Eglise. Mais nous ne sommes pas en présence d’une métaphore isolée. Tout le contexte détermine et accentue la portée de chaque parole ; il explique la nature des prérogatives de Pierre. Aussitôt après l’image du « fondement s vient celle des clefs du royaume. Or, le « pouvoir des clefs » ne consiste pas uniquement à ouvrir les portes de l’Eglise en deux circonstances particulières. C’est une locution biblique et orientale, qui symbolise la charge d’intendant ou de majordome. En vertu de ce « pouvoir des clefs », Pierre devra donc régir et administrer, comme un fidèle économe, le royaume de Dieu ici-bas ; le régir et l’administrer au nom

même de Jésus- Christ, et jusqu'à son glorieux retour. Bref, il s’agit d’une fonction stable et d’une autorité gouvernante. Pour mieux corroborer cette interprétation, vient une dernière métaphore, bien expressive : le pouvoir de lier et délier par sentence efficace. Pareille formule signifie manifestement le droit d’imposer wne obligation ou d’accorder une faculté ; en un mot, c’est la « juridiction ». Donc la promesse formulée par le Tu es Petrus garantit au seul apôtre Pierre, en un degré supérieur, — comme au prince des apôtres, — la « juridiction « ecclésiastique, dont, plus tard, le collège des « Douze » recevra tout entier la promesse et l’investiture.

Fondement de l’Eglise du royaume des cieu.r, pouvoir des clefs, pouvoir de lier et délier par sentence efficace : les trois métaphores se complètent et s'éclairent mutuellement. Nulle équivoque n’est possible. La prérogative de Pierre consiste bien dans une autorité gouvernante, et dans le rôle de chef suprême. Par voie dogmatique, nous apprendrons la mesure exacte des pouvoirs du chef dt l'Église et le sens total du Tu es Petrus.Par Ve-aégèse purement rationnelle de ce texte, nous arrivons à la notion « générique » de cliefsuprême : notion qui peut s’appliquer à des prérogatives très inégales. Ainsi, dans l’ordre politique, le nom de roi désigne également un souverain absolu et un souverain constitutionnel. Présentement, donc, nous constatons que la simple étude critique du Ta es Peints fait discerner en saint Pierre le chef (nécessaire et perpétuel) de l’Eglise : quoi qu’il en soit des attributions plus ou moins larges de ce chef suprême.

Du texte Tu es Petrus, il résulte que le privilège hiérarchique de l’apôtre Pierre sera, dans l’Eglise, un principat nécessaire et un principal transmissible par voie de succession perpétuelle. Ce double caractère doit sembler hors de doute à quiconque admet que la métaphore de la « pierre fondamentale », expliquée par tout le contexte, désigne véritablement une autorité gouvernante et le pouvoir du chef.

A'écessaire est, en elfet, l’autorité du prince des apôtres, pour que l’Eglise demeure constituée d’une manière conforme aux intentions de Jésus-Christ. La société des lidèles s'écarterait gravement de la volonté de son divin Fondateur ; elle détruirait, ou rendrait illégitime, sa propre organisation, si elle venait à répudier l’autorité gouvernante ()ui est sa pierre fondamentale. Ainsi croulerait et s’elTondrerait une maison, violemment détachée du roc sur lequel on l’aurait construite. La formule évangélique est ici d’un relief saisissant : Tic es Pierre, et, sur cette pierre, je hâ tirai mon Eglise.

Un document, qui semble remonter au deuxième siècle, paraphrase en ces termes le Tu es Petrus :

a Personne ne sera plus élevé ([ne toi et ton siège : et celui qui ne participera pas à ton trône, sa main sera rejetée et non acceptée. « [Eug. Revillout, L’Evangile des douze apôtres récemment découvert, (lieviie biblique, 1904, p. 324. Cf. p. 323) Nous avons déjà noté plus haut que lidenlité n’est pas indiscutable entre l’Evangile des douze apdlres, datanl du second siècle, et le très curieux document publié par M. Revillout.]

D’autre part, notre texte alTirme la pérennité de l’Eglise chrétienne. Malgré toutes les causes d'échec ou de destruction, l’Eglise durera jusqu’au retour glorieux du Sauveur, jusqu'à la consommation des siècles. Construite sur le roc, l’Eglise défiera la puissance des ténèbres (le démon ou la mort) : et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle.

Mais la pérennité de l'édifice comporte la pérennité du fondement. Si la maison doit subsister jusqu'à la consommation des siècles, le rocher qui lui