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l’apôtre des gentils était lui-même rabbin juif, « pharisien et lils de pliarisien » (Act., xxiii, G). Pareillement, le premier Evangile, malgré son origine juive, est tout le contraire d’un évangile judaisant ou judou-chrélien.

La thèse manifeste du premier Évangile peut se résumer en ces termes : « Jésus est le Christ qu’avaient annoncé les prophètes d’Israël, et que, néanmoins, Israël a criminellement rejeté. Voilà pourquoi, désormais, la synagogue est maudite : le royaume de Dieu est transféré du peuple juif à la foule des gentils. » Mainte parole du Sauveur, chez saint Matthieu, annonce la diffusion de l’Evangile à travers le monde entier, et prépare la déclaration finale : i Enseii^nez toutes les nations. » (.l/a(//(., xxviii, 19) La critique contemporaine a mis en spécial relief ce caractère universaliste et antijudaisant du premier Evangile.

Contentons-nous de relever deux traits bien significatifs. La. parabole des vignerons homicides est commune aux trois synoptiques (.1/arc., xii, i-ia ; Matth., XXI, 33 4& ; I-iic, xx, 9-19), et signifie, chez tous trois, la réprobation d’Israël et la vocation des gentils. Mais c’est chez Matthieu, et chez lui seul, que la redoutable conclusion est péremptoirement signifiée au peuple juif : <c C’est pourquoi je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté, qu’il sera donné à un peuple qui en produira les fruits. » (Matth, , XXI, 43) Quant à lu parabole des invités au festin, elle est racontée, avec quelques variantes, par saint Matthieu et saint Luc. (Matth., xxii, 2-10 ; Luc., XIV, 16-a4) Dans l’une et l’autre relation, l’enseignement est identique à celui de la parabole des vignerons homicides. Mais, là encore, c’est chez Matthieu, le narrateur juif, et non pas chez Luc, le narrateur grec, que les allusions prophétiques aux crimes du peuple juif et à la chute de Jérusalem, sont le plus clairement et le plus fortement accentuées. Chez Luc, en elTet, les invités se contentent de trouver des prétextes pour ne pas venir au festin : le châtiment sera que d’autres prendront leur place. Chez Matthieu, plusieurs invités s’emparent des serviteurs royaux, les outragent et les mettent à mort : justement irrité, le roi expédie une armée, fait périr les coupables, et détruit même leur ville. (Matth., XXII, 6, 7) Certes, le rédacteur ne cherchait pas à estomper les allusions ni à émousser les traits pénihlespour Israël et le judaïsme. Vraiment, saint Matthieu est l’évangéliste juif de la réprobation d’Israël.

Il n’est donc pas permis de représenter le premier évangile comme « le plus judéo-chrétien des trois » synoptiques. Il n’est pas permis de prétendre que le rédacteur de cet évangile ait accueilli le Tu es Petrus pour complaire aux « cercles judaisants ou éhiunltes », et pour faire indirectement échec à saint Paul, apôtre des gentils et de l’universalisrae. Pareille hypothèse n’est pas seulement gratuite : elle est positivement fausse ; cur elle est en évidente contradiction avec mainte donnée certaine de l’histoire évangélique.

Par là, se trouve écartée l’origine cbionile et judaisanle du Tu es Petrus ; de même qu’a été précédemment écartée son origine ecclésiastique. Nous savons, en outre, que ni le contexte médiat ou immédiat de saint Matthieu, ni le silence de saint Marc et de saint Luc, ne s’opposent réellement à l’historicité de tout le passage comme vraie parole du Christ.

Mais cette longue argumentation défensive était-elle bien nécessaire ? Le fait capital ne dominc-t-il pas de bien haut la broussailledes objections ?

Xous possédons, en faveur du Tu es Petrus, le té moignage immédiat et désintéressé de l’un des douze apôtres : témoignage spécialement corroboré par l’archaisnie araniéen des paroles, et par l’ensemble des informations évangéliques sur la personne et le rôle de saint Pierre.

Donc, pour nous comme pour l’antiquilé chrétienne, le Tu es Petrus est une parole véritable de Jésus-Christ ; le Tues Petrus est a historique », et non pas n rédactionnel ».

3 » Quelle est la signification littérale des paroles, dans le Tu es Petrus ?

Tu es Pierre, et sur cette pierre je bàtirni mon Eglise ; et les portes de l’enter ne prévaudront pas contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux. et tout ce que tu auras délie sur la terre sera délié dans les cieux.

Citons M. LoisY, avec lequel nous allons maintenant nous trouver en parfait accord :

Il n’est vraiment pas nécessaire de prouver que les paroles de Jésus s’adressent à Simon, fils de Jonn, qui doit être et qui a été la pierre fondamentale de l’Eglise ; et qu’elles ne concernent pas exclusivement la foi de Simon ou bien tou3 ceux qui pourraient avoir la même foi que lui ; bien moins encore la pierre peut-elle élre ici le Christ lui-même. De telles interprétations ont pu être proposées por les anciens commentateurs, en vue de l’application morale, et relevées par l’exégèse protestante dans un intérêt polémique ; mais, si l’on veut en faire le sens historique de l’Rvangile, ce ne sont plus que des distinctions subtiles et qui font violence au texte. (Synoptique. " : , t. ii, p. 7, 8)

De Luther à Febronius, protestants et richériens ont prétendu, sans perdre leur sérieux, que, d’après le Tu es Petrus, le « fondement » de l’Eglise ne serait pas l’apôtre Pierre ; et que les « clefs du royaume » n’auraient été spécialement promises à l’apôtre Pierre. (TunMBL, Histoire de la théologie positive, p. iS ?.189. Paris, 1906. In-8) Mais le <i fondement » de l’Eglise chrétienne serait Jésus-Christ lui-même ; ou bien la foi de Pierre en la divinité du Sauveur ; ou bien encore le collège apostolique, représenté par Pierre. Quant aux « clefs du royaume », elles auraient été pTonùsesk l’Eglise universelle en la personne de Pierre. Tout cela était appuyé sur différents textes patristiques, contemporains de l’arianisme ou antérieurs au concile d’Ephèse. Mais l’exégèse protestante et richcrienne se trouvait néanmoins seule responsable de l’invraisemblable et de la bizarrerie de ces interprétations. En effet, selon la juste remarque de M. Loisy (Synoptiques, t. II, p. 7, note 7), les fragments patristiques mis en cause étaient des applications morales du Tu es Petrus, ou encore des accommodations un peu lointaines, qui. généralement, ne comportaient aucune exclusion du sens naturel et obvie de notre texte.

Au point de vue de l’interprétation littérale des paroles, alTîrmer que le Tti es Petrus ne regarde pas saint Pierre lui-même, en tant que distinct du reste des apôtres, vraiment c’est défier l’évidence. Comment aurait-on pu désigner plus catégoriquement la propre personne de Pierre ? Nulle imprécision dans les formules : « Tu es bienheureux, Simon fils de Jona, car [ce que tu viens de dire] ce n’est pas la chair ou le sang qui le l’a révélé… Et moi je te dis que tu es Pierre… Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux…Et tout ce que tu auras délié… » D’autre part, distinguerentre l’homme appelé Petros, et l’homme ou la chose que l’on appellerait petra, serait oublier que Jésus, parlant aramcen, n’a pu formuler semblable distinction, mais a rt pété deux fois le même terme, exactement le même : « Tu es