Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/684

Cette page n’a pas encore été corrigée

1355

PAPAUTE

135(

mondekvenir {^fessianisme chezlesJuifs, p. 134-135, 158-a35) ; 3° /a fenwe du Fils de l’Homme sur tes nuées du ciel n’est pas une préiliclion spéciale du jugement ilernier, mais le symbole du règnedeDieu, en tant que royaume de sainteté, venu d’en haut, et bien dilïérentdesempires monstrueux qui surgissent de la terre [Les Prupliélies messianiques de Daniel {Revue bihlir/ue, igoî, p. ^glt-bio). Cf. L’Aiènemeut du Fils de l’homme (lietnie bihliqae, 1906, p. 382-411 et 561-5715)- Voir, en outre, Revue liililique, iyo8, p. aSi, 283]. Donc, lorsque Jésus-Christ déclare imminente l’installation du règne messitinique, ou encore ta venue du Fils de l’homme, on ne peut j conclure que, par le fait même, il déclare imminent le règne eschatologiiiue avec le jugement deruier. Au contraire, cette proximité du règne messianique, ou de la venue du Fils de t’Iiontme, s’harmonise parfaitement avec les textes formels de l’Evangile qui attribuent au royaume une première durée dans les conditions mêmes de la vie présente.

Sans doute, l’humilité de cet avènement messianique en la personne de Jésus déconcerta les espérances d’Israël. c( Les Juifs réclamaient des prodiges », Judæi signa pelunt (I Cor., i, 22). On attendait, pour la première installation du royaume, un coup vainqueur de la droite du Très-Haut, une manifestation glorieuse, la Parousie du Seigneur. Et ce que Jésus venait opérer, c'était la conquête du monde par le sacrifice de la croix. La Parousie n’aurait lieu qu'à l'époque inconnue oi’i le jugement eschatologique inaugurerait le monde à venir. Les disciples du Christ ne purent imaginer que la Parousie dut se faire attendre bien longtemps. Avec leurs compatriotes juifs, ils continuèrent d’espérer, comme toute prochaine, la manifestation glorieusedu roi messianique : toutefois, pour eux, la /"aroMs/e devait être la consommation llnale du royaume, et non plus son premier établissement. La génération apostolique vécut dans une attente anxieuse du triomphal retour de Jésus : mais cette illusion, héritée du judaïsme, fut trompée. Aujourd’hui encore, non moins qu’au temps des apôtres, ce que Jésus a déclaré devoir être inconnu demeure totalement inconnu. Mais, d’autre part, ce que le Christ avait déclaré imminent s’est accompli sans retard. La génération contemporaine du Sauveur a pu constater le châtiment d’Israël et l’apostolat des gentils ; elle a pu voir le règne messianique, le royaume des saints, bravant tous les obstacles, se répandre par le monde, grâce à la vertu d’en haut. C'était bien la vérilication du symbole prophétique ; l'établissement du cinquième empire de Daniel, qui ne devait pas être semblable, comme les quatre autres, à un monstrueux animal surgissant de la terre, mais qui devait avoir pour initiateur un Fils de l’homme descendant des deux (Dan., VII, 3-12 et 17, 18).

Dès lors, le Tu es Petrus et les textes parallèles rentrent sans elforl dans la perspective du Christ et dans la conception évangéliquedu royaume de Dieu. En outre, aupointde vue spécial du Tu es Petrus, la critique interne permet de relever, dans l’hypothèse rédactionnelle de M. Loisy, une invraisemblance grave.

Comme nous l’avons déjà constaté, la réponse de Jésus à Pierre est saturée de formules juives. Certaines paroles sonlempruntées à l’Ancien Testament : les clefs du royaume, les portes de l’enfer. D’autres sont empruntées au rabbinisme : le pouvoir de lier et rfé/i’er. D’autres sont empruntées au langage palestinien : comme Bar Jona, pour signifier « fils de Jona », ou la chair et le sang, pour désigner « la nature humaine ». Enfin, la déclaration capitale, Ta es Petrus, consiste en un jeu de mots araméen

sur le nom de Pieire, h'éfa, jeu de mots qui ne S( retrouve qu'à demi en grec. Bref, la couleur juive di 1 morceau tout entier est manifeste, et nous y avon ; i trouvé une explication probable et plausible du si j lence de Marc et de Luc, c’est-à-ilire de deux évan-l] gélistes qui s’adressaient directement à des lecteurs 1 gréco-romains, et ne prétendaient pas reproduire ur écrit antérieur.

Mais, dans l’hypothèse de l’origine ecclésiastique le Tu es Petrus se serait peu à peu élaboré vers 1 ; lin du premier siècle, alors que le christianisme fai sait la conquête de la gentilité ; alors que l’Eglist presque entière parlait grec ; alors que les chrétien ; (non schismatiques) de langue araméenne n'étaieni plus qu’une minorité intime et sans infiuence. Comment donc, à une telle date, en de telles circonstances, la formule où s’exprimait la nouvetU tendance hiérarchique de l’Eglise, la formule du catholicisme naissant, aurait-elle porté ce cachel primitif, cette saveur galiléenne, cet aspect malaist à comprendre pour des hommes venus du paganisme et de l’hellénisme ?

On ne [leut sérieusement parler ici de fiction habile, d’archaïsme artificiel. Rien n’est plus étranger aux mœurs littéraires des évangélistes. Souvent, au contraire, ils traduisent une formule araméenne de Jésus par quelque locution équivalente, plus accessible au lecteur de langue grecque. Mais ils ne songent pas à costumer en style palestinien telle ou telle parole, pour la rendre plus vraisemblable dans la bouche de Jésus. Les critiques incroyants qui ont déployé l’ingéniosité la plus tenace, la plus raflinée, à surprendre, dans les moindres textes, un artifice rédactionnel, par exemple M. Firmin Nicolabdot (Procédés de rédaction des trois premiers évangélistes, p. /17-54. 112-114, 123-129, 211-214, 297-312), n’ont jamais, croyons-nous, attribué aux évangélistes pareil souci de la couleur locale.

Donc la prétendue origine ecclésiastique du Tu es Petrus n’est pas seulement contredite par les arguments qui ruinent le système de M. Loisy, sur le rapport de l’Eglise à l’Evangile, maiselle est rendue, en outre, spécialement invraisemblable par le critère interne appliqué au texte lui-même. L’archaïsme arainéen du Tu es Petrus est une marque non équivoque d’origine primitive et araméenne.

Toutefois, ne pourrait-on pas accorder l’origine araméenne, sans reconnaître l’origine primitive ? Certains critiques libéraux, tels Jean Réville, Auguste Sabalier, M. Guignebert, voient, dans le Tu es Petrus, « une tradition judéo-chrétienne » (Révillb, Origines de l'épiscopal, p. 32, 35, 36, 39), une inspiration des cercles juduisanls ou éhionites » (Sab.v-TiEB, Religions d’autorité, x>. 212). Le but de cette légende aurait été de grandir Pierre, l’apôtre de la circoncision, au détriment de Paul, l’apôtre des gentils et l’adversaire du légalisme juif. Quant à l’adoption du texte par le rédacteur de notre premier Evangile, c’est chose facilement explicable, observe M. Guignebert : « Le premier Evangile est, en elTel, le plus/ », 7e’o-c/ir^/i>n des trois synoptiques. » (Manuel, p. 228, 229)

Semblable explication rend assurément compte de la couleur juive et palestinienne qu’a le passage entier de saint Matthieu. Mais, d’autre part, elle contredit à la tendance caractéristique, aux doctrines parfaitement certaines de notre premier évangile.

Que ce livre soit un livre/ » //", ce n’est pas nous qui en disconviendrons, puisque nous le reconnaissons pour être, à un titre spécial et authentique, l’Evangile selon saint Matthieu. Mais « juif » n’est pas la même chose que « judaïsant ». Nul, à coup siir, ne fut lao’ms judaisant que saint Paul : et cependant