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coutumes, au langage, aux idées, aux institutions du monde juif, tout, dans notre premier Evangile, porte un caractère spëciliquement Israélite. Que l’on mesure le contraste avec saint Luc : et l’on reconnaîtra que, si notre troisième Evangile a puisé largement (peut-être) dans les Ao/ic/, c’est en les utilisant comme une source documentaire. Mais notre premier Evangile, allant plus loin, s’est vraiment incorporé, assimilé, la relation aramcenne des Aoyi’/ : lui seul demeure autlientiquement l’Evangile d’après saint Matthieu.

Dès lors, on s’explique fort bien la présence, dans le premier Evangile, d’un te.xte aussi chargé d’arainaïsmes que le Ta es Petras. Nous y retrouvons littéralement le récit palestinien. C’est dire que nous atteignons par li un témoignage direct et primitif : celui de l’apôtre Matthieu luimème ; de Matthieu, l’un des " Douze », l’un de ceux qui assistaient personnellement au dialogue de Césarée de Philippe, entre Jésus et Pierre.

Ce témoignage immédiat est corroboré par de nombreux indices convergents. D’abord, le Tu es Pelrus explique un fait bien établi par ailleurs : comment l’apôtre Simon, tils de Jona, rei, ut du Christ le surnom de « Pierre », ou Kéfa. En outre, le Tu es Petrus chez saint Matthieu, le Confirma fratres tuas chez saint Luc, le Pasce oves meas chez saint Jean, se complètent, s’éclairent et se garantissent mutuellement. Et surtout, enlin, le contexte général des Evangiles met en relief la prépondérance habituelle et manifeste de Pierre paimi les o Douze » ; or le Ta es Petrus rend compte de cette situation : Jésus-Christ avait désigné Pierre comme devant être le fondement de l’Eglise et le suprême administrateur du royaume de Dieu ici-bas. Pareille concordance entre des textes et des faits aussi multiples, aussi complexes, est une marque réellement certaine de vérité historique.

Que reste-t-il, maintenant, de la « présomption défavorable » au Tu es Petrus, tirée de l’omission du texte chez saint Marc et chez saint Luc ?

Nous avons constaté que le silence de Marc et de Luc admet une explication raisonnable, toute dilTérente de l’origine rédactionnelle des paroles. Nous avons constaté, d’autre part, que le Tu es Petrus est garanti par le témoignage direct, immédiat, personnellement désintéressé, de l’un des « Douze ", l’apôtre Matthieu. Nous avons constaté que le dire du premier Evangile se trouve conlirraé par tout un ensemble d’indices positivement favorables.

Selon les lois de la critique, la « présomption » contraire doit donc céder devant la preuve. Le Tu es Petrus est solidement attesté comme parole véritable de Jésus-Christ.

Reste à montrer, en peu de mots, la gratuité, l’Invraiserablance, des deux hypothèses qui, d’après les critiques libéraux, expliqueraient la formation rédactionnelle du Tu es Petrus.

M. LoiSY attribue à ce texte une origine ecclésias tique.

Ce [l’est pas l’emploi d’un mol intisîté ailleurs [Eglise] qui ronetilue l’objection la tii forte contre l’authenticité [tiistoricilé] de ces [) : issages (Maiih., xvi, Is ot -xvui, 17), mais l’idée ménie d’une sociiîté terrestre, qui n’est ni la communauté israélile ni le royaume des rieux [sous sou agpect drtfinitif et glorieux], et fpii se substitue, pour ainsi dire, h l’une et k l’autre. Jésus n’a jjimais prêché que le royaume [il s’agit « lu royaume esr/i<itnlo : ^iffue’et l’avènement prochain tlu roj< : ume ; il n’a pas réj^lê for-meliement les conditions d’un établissement terrestre qui i-emplacerait l’économie judarVpie on tant que [>rélr m inaire à l’avènement du royouiue. On n’a pu par-ler d’Et^lise ipie quand l’Eglise a existé ; c’est-à-ilîre après qrie, le judaïsme avairt rejeté la prérlicalion apostolique, lea groupes chrétiens durent se constituer rie plus en plus, et définitivement, en

dehors An l’ori.(ani « ation religieuse d’Israël. H y eut alors des coinrnuriatites, des églises, dont la réunion idéale, on peut dire la raison commune, était l’Eglise… Plein de sit^nifieation si on le remet dans son milieu d’origine [à la lin du i" siècle], le discours que.Matthieu [ce noiu désigne Ih r<Miacteur inconnu de notre Evangile] [)rête au Sauveur n’aurait eu, i » la date indiquée, aucun seirs pour les apôtres [Synoptiques, t. ii, p. 8, ’.►)… Matthieu reunit ensemble et idéalise les souverrirs fie l’Evangile et de l’âge apostolirpio ; il les voit et les inter[)rète à la lumière du présent ; if fait parler Pierre et Jvsus de telle frrçon qu’on entende bien tquftlle est la tradition de Pierre et ce qu’elle vaut. (S ; ploi, liques, t. ii, p. ?>)

Parmi les critiques libéraux qui, avant M. Loisy, ont adopté une solution analogue, il faut particulièrementciter M.HoLTZMANN. (/, e/irfc((c/( der N. T. Théologie, p. 2to-2r5. Krib. Hrisg., iSrj’j. In-8)

L’argument revient à ceci : le Ta es Petrus suppose la notion de l’Eglise, corps social hiérarchique, distinct du judaïsme, et devant procurer, préparer, icibas, le règne éternel de Dieu. Or, pareille notion demeure totalement étrangère à la pensée, à la perspective réelle du Christ. Donc notre texte, loin de pouvoir être une parole véritable de Jésus, projette artiliciellerænt dans l’Evangile les préoccupations doctrinales du rédacteur, rjui étaient celles du catholicisme naissant. Moins de soixante-dix années après la Passion du Sauveur, on s’était habitué à voir une institution ecclésiastiqvie et permanente dans la mission temporaire que Jésus avait conliée à Pierre et aux « Douze », en vue de prêcher, à sa suite, l’iramineuce du dernier jour, de la Parotise glorieuse.

Tout cela suppose que le royaume des deux, dont Jésus annonçait l’installation prochaine, devait être le règne du siècle à venir : royaume purement et exclusivement eschatologique. Seraient donc seuls primitifs, dans l’Evangile, les textes qui s’accordent, ou peuvent s’accorder, avec cette croyance à la fin du monde imminente. Résulteraient, au contraire, d’une élaboration ultérieure et d’un travail rédactionnel, tous les textes qui prévoient l’essor de l’oeuvre messianique en ce mr)nde ; particulièrement ceux qui regardent l’Eglise : tel le Tu es Petrus.

Mais tout autre sera la condition du Tu es Petrus et des textes analogues, s’il est démontré que, malgré divers arguments spécieux et délicats, cette thèse paradoxale de M. Loisy contredit aui vraies données de la science historique sur les Evangiles ; et, mieux encore, s’il est démontré que le royaume des cieux, dont Jésus annonçait la prochaine installation, n’était pas purement et exclusivement eschatologique, mais comportait, avant sa consommation linale et glorieuse, une première durée dans les conditions mêmes de la vie présente. Alors le Tu es Petrus, non seulement ne paraîtra pas incompatible avec la doctrine réelle du Chris’, mais concordera naturelleet positivement avec cette doctrine. Le royaume devant comporter ici-bas l’existence d’une société essentiellement visible, quoi de plus normal que de pourvoir à son gouvernement et à son organisation ? (Cf. Batiffol, l’Es-lise naissante, p. g’i-iooet 109-1 |3.

— Lupin, Les Théories de.M. l.oi>y, p. aSi-Soo et 358-366. Paris, 1908. In-16. — "VACANOAnn, /.’Institution formelle de l’Ef(lise par te Christ’lietue du clergé français, 1909, t. LVU, p. 20-3’ ; ].)

Traiter ici, en détail, la vaste question du royaume de Dieu dans l’I^vangilc, serait évidemment sortir du cadre de cette modeste étude. Rappelons, toutefois, <ue le R. P. Lagrangiî a établi inagistralement le double principe d’une réponse péremptoire à M. Loisy : 1" la pensée juive, contemporaine dejésus, était loin de confonrlre le messianisme et l’eschatologie ; l’avènement du Messie d’IsraiM en ce monde, et la rétribution définitive des justes et des pécheurs dans le