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PAPAUTE

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N’assimilons pas la hiérarchie créée par le Christ aux distinctions terrestres. Mais il existe, du moins, entre la promesse évangélique faite à saint Pierre, et l’autre promesse évangéliijue faite ensuite au collège apostolique tout entier, un rapport analogue à celui des deux successives promesses que nous venons d’imaginer chez un roi d’ici-bas. La puissance de lier et de délier est garantie à Pierre, d’abord, et ensuite aux « Douze ». Il y aura donc, pour Pierre et pour les « Douze », une fonction commune et identique. Mais les clefs du royaume des deux sont, en outre, promises à Pierre avec le rôle unique de fondement perpétuel de l’Eglise. Il y aura donc pour Pierre, une prérogative exclusivement réservée à lui seul.

Bref, les deux textes de saint Matthieu (xvi, 18, 19 et iviii, iS)nous font entrevoir la mission de tout le collège apostolique, et l’autorité spéciale de son chef.

Où est la contradiction ? Où est l’incompatibilité?

Vraiment nous pouvons, sans davantage nous attarder à pareille question, étudier maintenant le contexte immédiat du Tu es Peirus.

<i Les privilèges décernés par Jésus à Pierre », dit JeanRiiviLLE, ( sont évidemmentun liors-d 'œuvre qui rompt l’unité du récit, et met le Glirisl en contradiction avec lui-même ». (Origine de l'épiscopot, p. 3^)

Rupture de l’unité du récit, tel est le premier grief.

Danstoute la narration évangélique où se lit notre texte, la série des idées apparaît exactement la même chez les trois synoptiques : Jésus est, en personne, le Christ de Dieu : non pas toutefois au sens juif, mondain, charnel, du messianisme vulgaire. Le vrai Chriat doit souffrir avec ignominie ; doit mourir en croix ; el ne parvenir que par les opprobres au glorieux triomphe qui lui est finalement réservé. Les disciples du Christ devront donc, à leur tour, se renoncer eux-mêmes, porter leur croix, bref imiter l’abnégation de leur Maître, pour avoir parla l'œuvre messianique, et n'être pas exclus de la récompense éternelle, (il/arc, viii, 38-89 (ix, i grec) ; Malt., xvi, 15-28 ; Luc. : , 9, 20-27)

En introduisant, après la confession de Pierre, une réponse laudative de Jésus à son apôlre privilégié, le rédacteur du premier Evangile n’a-t-il pas interrompu artilîciellement la marche du récit et la suite naturelle des idées ?

Autre grief, également tiré du contexte immédiat : par le Tu es Petrus, Jésus est mis en contradiction avec lui-même.

A peine vient-il de récompenser Pierre pour avoir entendu, sur le Christ, la révélation du Père céleste, que le Sauveur doit dire au même apôtre : « Arrière, Satan ! Tu es pour moi un scandale, car tu ne comprends pas les choses de Dieu, mais [uniquement] celles des hommes ». (Matih.. xvi, 28. Cf. Marc., VIII, 83) Ily a, dans ce contraste, une invraisemblance que M. GuiGNEBBRT juge intolérable. « Comment estil possible que Jésus ait si mal placé sa confiance qu’il lui faille tout de suite reconnaître son erreur et accabler durement son ministre d'élection ? Il me semble évident que les versets 18, 19 (Tu es Petrus) d’une part, et 22, 28 (Vade post me, Salami), d’autre part, se rapportent à deux traditions d’origine dilTérente, peut-être aussi inauthentiques l’une que l’autre sous leur forme actuelle, mais qu’il est impossible de maintenir toutes deux côte à côte. » (Manuel, p. 229, a30) Or, s’il faut choisir, l’harmonie du contexte, les morceaux parallèles et surtout le témoignage de Marc, imposent manifestement de regarder le Vade post me, Satana comme plus primitif, el de lui sacrifier le Tu es Petrus. Telles seraient donc, à double titre, les exigences du contexte immédiat.

Et, cependant, même si tout cela était indiscutable, il ne faudrait pas en tirer des conclusions par trop altlrmalives. La preuve, sans doute, paraîtrait faite que le Tu es Petrus n’est pas à sa vraie place, el qu’il est artificiellement placé en dehors de son cadre. Mais il n’en résulterait pas nécessairement que ce fût un texte étranger à la tradition primitive, et d’origine toute rédactionnelle. On ne doit pas, en effet, oublier avec quelle liberté les narrateurs évangéliques dislribuenl leur récit, quant à l’ordre littéraire, et quant au groupement simultané de paroles prononcées en des circonstances différenles. (Cf. E.Mangknot, Les Eléments secondaires et rédaclionnels du n Discours des paraboles », dans la Heiue du clergé français, 1909, t. LVIII, p. i^1154) La comparaison des textes parallèles ne laisse guère de doute à cet égard. Voilà pourquoi le manque d’harmonie avec le contexte ne saurait être donné comme un signe certain de nun-historicité.

Mais, à vrai dire, pour le Tu es Petrus, il ne paraît y avoir aucune discordance avec le contexte. Un examen plus attentif montrera que, loin de rompre l’unité du récit, loin de mettre lo Christ en contradiction avec lui-même, la réponse du Sauveur k l’apôtre s’encadre fort heureusement, au contraire, dans la narration du premier Evangile.

Tout le passage a pour signification dominante, non pas la prérogative de Pierre, mais la nécessité de l’abnégation. Jésus n’est aucunement le Christ du messianisme vulgaire : c’est un Christ destiné aux opprobres et à la croix. D’où il résulte que ses disciples devront, à leur tour, se renoncer eux-mêmes et porter leur croix, s’ils veulent parvenir au triomphe. Le Tu es Petrus ne serait donc pas indispensable à la marche du récit : mais il s’harmonise avec le contexte d’une manière très naturelle, et donne beaucoup de relief à cette page de saint Matthieu.

Jésus est, en réalité, le Christ, le Fils du Dieu vivant, lîienheureux qui le reconnaîtra pour tel I (Tu es Petrus.)

Mais le Christ de Dieu subira les plus cruelles ignominies et mourra crucifié. Tel sera, pour lui, le chemin de la gloire. Malheur à qui ne le comprend pas. (Vade post me, Satana.)

Donc, pour demeurer avec Jésus, il faut suivre la voie royale de la croix. (.Si quis yult post me yenire, ahneget semetipsum.)

Bref, au Tu es Christus, fait écho le Tu es L’etrus ; puis, au Tu es Petrus, vient correspondre par contraste le Vade post me, Satana.

Pierre est loué pour sa foi ; il est blâmé pour son manque d’esprit surnaturel. Pierre a mérité de hautes prérogatives : car il a proclamé, sous une lumière divine, que Jésus de Nazareth, malgré son humble apparence, est le Christ lui-même, le roi messianique, le fils du Dieu vivant. Pierre a mérité ensuite une grave réprimande : car, cédant au préjugé mondain et juif, il a protesté contre la perspective du mystère de la croix.

En tout cela, pas ombre de contradiction et pas la moindre rupture de l’unité du récit. Le Tu es Petrui s’encadre dans un ensemble véritablement homogène et cohérent. On ne peut donc lui refuser l’historicité au nom du contexte (médiat ou immédiat) de saint Matthieu.

Plus délicate apparaît la question du silence de saint Marc et de saint Luc.

Si, réellement, Jésus-Clirist avait adressé à Pierre la magnifique promesse du Tu es Petrus, comment saint Marc et saint Lue auraient-ils pu ignorer ou négliger une chose de pareille importance ? Gomment aur.iient-ils pu omettre la réponse lautlativede Jésus, quand ils rapportaient, l’un et l’autre, 1 »