Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/678

Cette page n’a pas encore été corrigée

1343

PAPAUTÉ

1344

à ses compatriotes du royaume d’Edesse. Quelle est donc, d"après le diacre d’Osroène, la vraie formule du Tu es l’etrus ?

Nous l’avons dit plus haut : selon quelques critiques, notamment M. Harnack, M. Resch, M. Monnier, M. Grill, le texte d’Eplirem serait exactement celui-ci : n Tu es Pierre, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre lui. t Pierre n’aurait pas été proclamé fundement de l’Eglise impérissable.

Il est exact que saint Ephrem évoque le Tu es Peirus dans les termes suivants : Tu es Petra, itla petra quam ere.rit [Dominus], ut Salarias in eam offenderet ; ou bien : Et portæ inferi te non vincent, id est quod non destruetur fides ; ou bien encore : ]'ecles inferi non prætalebunl adt-eisus te. Ce sont du reste les trois seuls passages mentionnés par M. Resch, dans l'œuvre entière du diacre d’Edesse. {Parallellexte, p. 188, 189)

Mais doit-on reconnaître ici la formule du Tu es Petrus, celle qu’Ephrem trouvait littéralement dans son texte évangélique ? Ne seraient-ce pas plutôt des citations larges, à la manière des anciens, ou des allusions plus ou moins approximatives ? Pour en juger sans arbitraire, il faudrait, d’abord, examiner tous les cas où le saint diacre allègue le Tu es Petrus et noter les expressions qu’il adopte. Peut-être en résulterait-il des indications plus précises et plus fermes sur le texte de l’Evangile qu’Ephrem aura eu sous les jeux. A cet égard, l’enquête de M. Resch est gravement incomplète, car elle néglige beaucoup de citations et d’allusions intéressantes. Xous-même pourrons en signaler au moins huit (Lamy, S. Ephræm Syri Hymni et Sermones. Matines, 1882-1902. 4 volumes in-4).

1" Sioionem,.. sanctum scilicet aposloloriim caput, Petram, Ecclesiæ fuDdainenlum (1, 3T4. Serm. 2 1/1 hebd. sanci., iv) ; 2*" Simon, discipule mi, ego te constitui fandameotUDi Ecclesiæ sanctæ, Pelram vocaTi le. quia tu susliiiebis lotum nieum aediâcium I, ^l'2. Serm. k in hebd. sanct, II ; 3* Maria ad Simonem, fiindamentum, cucurril prius, et ci, tamquam Ecclesiæ nunliarit narra-Tilquequod viderai I, ô3l. Serm. ad. noci. dom.Resur., 11) ; 4* Superhancpeliamædificabo l^cclesiam meain, et vecles inîerni uon superabunl eam (lï, ISfi. Contm. in Isaiam.^ lïii. 2| ;.S* Simon nudivit revelalionem n Pâtre, pclra incDncussa IV, 531. Uymn. de Eccl. et i’ir^.. xt, ! S ; 6' Beatus es. ô Petre. quia Fiiius Dei te posuit in fundamento Ecclesiae, ut porlares pondus toliu » creaturae, sicat ipse portât totum munduni (ÏV, 686. Hyrnn. de Sim. Peir.^ VII — cf. viii) ; 7' Beatus es, ô Simon, quia snper le aedificala est Ecclesia, decova lucis sponsa, cui promisit Filius Dei portas inferni contra eam non prævalituras IV, 688. Hyn.n.àe Sim. Petr.. xii) ; S » Væ mihi, clamabal Petrus in atrio domus Caïpha*-, alienus factus sum a ^'ilio, quia abnejîhvt eum ; Petrum me vocaTerat : et factus sum ipsi arena ; Ecclesiam autem suam non aediâcabil super arenam : ego memetipsum everli IV, 738, Uymn. dispers, , TU De pæniteniia Petri.

En présence de telles citations et allusions, il n’est plus possible de tenir que, d’après saint Ephrem, la formule évangélique du Tu es Petrus ait été simplement :

« Tu es Pierre, et les portes de l’enfer ne prévaudront

pas contre toi. » Ephrem, au contraire, savait bien que Pierre fut proclamé par le Christ

« fondement » de l’Eglise, et de l’Eglise impérissable.

Ephrem lisait indubitablement, dans son texte évangélique : " Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise ; elles portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle » (Cf. Burkitt, ^'. Ephraim’s Quotations from the Gospel, p. 26-80. Cambridge, 1901. In-8).

Mais, concèdent formellement tous nos adversaires, c’est la leçon même de Tatien, le texte du Dia Tessarôn, que l’on retrouve dans saint Ephrem et

dans la vieille traduction sj-riaque. Voilà qui est incontesté.

La conclusion sera donc rigoureuse : le Tu es Petrus, littéralement tel que nous le lisons aujourd’hui, existait chez Tatien, dans la Concordance é'angélique, éditée vers 170. Notre texte rencontre ainsi un témoignage antérieur au pape Victor, un témoignage antérieur même au grand travail de saint irénée. La formule intégrale du Tu es Petrus possède une attestation catégorique, vingt-cinq ou trente années avant la date de l’interpolation prétendue. En outre, pour que le même texte ait été reproduit par Tatien, on doit avouer qu’il se lisait déjà dans les recensions plus anciennes, dans les manuscrits grecs connu :  ! au deuxième siècle, et d’après lesquels fut composé le Dia Tessarôn. Par là, nous rejoignons enfin la période primitive et l'âge apostolique.

Ajoutons un dernier signe en faveur de l’authenticité du Tu es Petrus : le silence même de saint Marc et de saint Luc. Quand nous nous demanderons si le texte, une fois admis pour authentique en saint Matthieu, est bien historique, et non pas rédactionnel, cette double omission deviendra une dilUculté, que nous devrons examiner avec l’attention la plus grande. Mais un tel silence rend, du moins, inadmissible la présente hypothèse de l’interpolation.

En effet, si le passage a été introduit peu à peu dans les manuscrits de l’Evangile entre la tin du deuxième etla fin du quatrième siècle, pourquoi donc chez Matthieu seul ? Pourquoi pas également chez Marc et chez Luc ? Le motif apologétique, auquel on attribue l’insertion, réclamait évidemment que, pour être plus vraisemblable, elle fût opérée, en termes conformes, dans les trois narrations. Mise à part la réponse laudative de Jésus à Pierre, le contexte est entièrement parallèle chez Matthieu, chez Marc et chez Luc : questions du Seigneur, confession de Pierre, annonce de la passion et de la croix {.Marc., vm, 27-81, et Luc, 11, 18-22, correspondent entièrement avec Matt.. xvi, 13-21, sauf les versets de la réponse de Jésus à Pierre..Valth., xvi, 17-19). Si on voulait compléter cette page de l’Evangile, c’est à la fois chez Matthieu, chez Marc, chez Luc, et au même point du récit, qu’on avait intérêt à l’intercaler. Quant à la dilEculté matérielle de l’insertion, elle n'était pas plus insurmontable chez Marc et Luc que chez Matthieu ; puisqu’il s’agit de contextes qui se correspondent phrase par phrase. D’autre part, à ta date où l’interpolation aurait eu lieu, c’est-à-dire postérieurement à saint Irénée, vers la tin du 11' siècle, l’Evangile de saint Matthieu n'était répandu nulle part où ne fussent également admis, et au mênie titre, les Evangiles de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean. Tous étaient alors inséparablement réunis dans une même collection, l’Evangile quadriforme, ou tétramorphe ; la vie du Christ d’après

« les Quatre », dia Tessarôn.

Par conséquent, s il y a eu interpolation par but apologétique, on conviendra qu’elle a dû être faite pareillement chez les trois synoptiques, dans le même passage et le même contexte. Si la réponse laudative de Jésus, promettant à Pierre les plus hauts privilèges, existe chez Matthieu tout seul, et se trouve omise chez Marc et chez Luc, c’est qu’elle n’est pas le résultat d’une interpolation et d’une fraude. Elle existe chez Matthieu tout seul, et non pas chez les autres, parce que, véritablement, et depuis l’origine, on la lisait, on la transcrivait chez Matthieu tout seul, et non pas chez les autres.

Bref, le silence de Marc et de Luc est un indice non équivoque de l’authenticité du Tu es Petrus,