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incrédules et découragés, stulli et tardi corde ad credendum {Inc., xxiv, 25).

Ne serail-ce pas que, par un phénomène psychologique facile à pénétrer, ces âmes populaires et simplistes revenaient comme invinciblement à ce qui flattait leurs préjuges, leurs goùls, leurs secrets désirs ; et que, — malgré les affirmations les plus manifestes, — elles restaient réfractaires à comprendre les vérités qui les contrariaient ou les déconcertaient ?


Si donc la dignité à venir de l’un des « Douze » pouvait (nous allons le voir) heurter, chez les autres apôtres, quelque ambition latente, quelque vœu chimérique, la promesse regardant Pierre aura été facilement négligée, dillicitement comprise. Et, par conséquent, les disciples auront fort bien pu se quereller, même ensuite, pour savoir qui deviendrait le plus grand dans le royaume des cieux.

La réalité d’une désignation de Pierre parle Christ n’est vraiment pas incompatible avec le fait de celle eontestation jalouse.

Quant à la réponse de Jésus, les circonstances nous en révèlent nettement la signilication. Les douze apôtre* ;, obstinément allachésà la conception vulgaire du messianisme juif (cf. Lagrange, l.e Messianisme citez les Juifs. Paris, 1909. In-8, p. 186 à 209). se représentent le règne du Christ et de sa justice comme une ère de victoires, de domination et de prospérités, non moins temporelles que spirituelles. Dans ce royaume fort terrestre, dans cet âge d’or attendu, ils escomptent naïvement les hautes dignités, les situations enviables, que leur garantira l’intimité du Seigneur. Bien plus, ils recherchent déjà Ti’5 /Ltijwv (Marc, ix, 34 ; Matth., xviii, 1 ; Luc, IX, 46) qui d’entre eux occupera le premier rang, qui sera premier ministre : sera-ce décidément Pierre, sera-ce quelque autre des « Douze » ? Jacques et Jean, ûls de Zébédce, poussés par leur mère, demandent à siéger dans h gloire, l’un adroite et l’autre à gauche du Roi-Messie. Le reste des apôtres s’indigne contre les deux frères ; car chacun, parmi les a Douze », nourrit confusément pour soimême quelque ambition plus ou moins semblable. Et, jusqu’à la dernière cène, ils discutent entre eux sur la primauté future.

On comprend, dès lors, quel enseignement spirituel et moraWésus-Christ veut leur inculquer. Dans les empires de la terre, les chefs dominent avec ostentation et les grands font étalage de puissance. Tout autre est l’esprit du royaume de Dieu, établi par le Christ : « Ce n’est pas ainsi qu’il en est parmi vous. Mais si quelqu’un veut devenir grand parmi vous, il sera [se fera] votre serviteur. Et celui d’entre vous qui voudra devenir le premier sera [se fera] l’esclave de tous. Car le Fils de l’iiomme n’est pas venu pour cire servi mais pour servir et pour donner sa vie comme la rançon d’un grand nombre. » (Marc, x, 43-45)

En d’autres termes, le royaume de Dieu n’admet pas de distinctions comme celles que les apôtres avaient le tort de rêver. Il n’admet pas de primauté qui soit un honneur mondain. Il n’admet aucune prérogative ayant pour objet de contenter l’ambition ou la vanité. Mais ce précepte moral n’exclut pas le rang privilégié des « Douze », parmi les autres disciples de Jésus. Il n’exclut pas davantage la primauté possible d’un apôtre spécialement désigné entre tous par le Christ lui-même : pourvu que cette primauté, de même que la vocation apostolique, loin d’être un hochet de la vanité mondaine, soit un véritable ministère, un véritable service, créé pour l’utilité commune des fidèles et pour le bon gouvernement du royaume de Dieu ici-bas. « Le plus grand d’entre vous sera [se fera] votre serviteur.)i (Matth, , xxiii, 11)

Que le plus grand d’entre vous soit comme le plus petit, et celui qui commande comme celui qui sert. » {Luc, xxii, 26)

Un auteur protestant écrit, en termes fort judicieux : Il n’y a donc place ici pour aucune primauté au sens humain ; ce qui ne veut point dire qu’il n’y ait place pour aucune primauté que ce soit. Jésus intervertit l’ordre des grandeurs ; le premier de ses disciples, c’est celui qui se montre le plus apte à ser^ir, et c’est dans le service des autres qu’il doit faire consister sa grandeur. » (Henri Monnier, La Notion de l’apostolat, p. 131. Paris, 1903. In-8)

Jésus-Christ entend si peu exclure toute primauté, qu’il s’applique à lui-même la règle d’humilité, d’abnégation, faite pour ses disciples. « Le Fils de l’homme, déclare-t-il, n’est jias venu pour être servi mais pour servir, n (Matth., xx, 28) « Quel estleplus grand : celui qui est à table ou celui qui sert ? N’estce pas celui qui est à table ? Eh bien, moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Liic., xxii, 27) Néanmoins, qui donc contestera sérieusement que Jésus-Christ, « serviteur v de ses disciples, se considérât comme ayant, sur eux tous, pleine et réelle autorité de « Maitre » et de « Seigneur » ? (Matth., XXIII, 10 et Joan., xiii, 13-15)

Bien plus, aussitôt après les paroles que nous venons d’entendre, saint Luc relate une promesse d’avenir attestant la situation toute spéciale qui, parmi les fidèles du Christ, revient au collège des cl Douze » (Luc., xxii, 28-30). Puis il relate une autre promesse d’avenir, celle-là ne s’appliquant qu’à un seul d’entre les apôtres. En effet, Jésus a prié particulièrement pour l’un des « Douze », afin que, dans l’épreuve, sa foi ne défaille pas. Et l’apôtre privilégié aura pour mission de raffermir ses frères quc., xxii, 31, 32).

Voilà une prérogative bien réelle, une prérogative particulière à un seul, et une prérogative authentiquement voulue par Jésus-Christ. Ce n’est pas d’une distinction honorifique et mondaine qu’il s’agit, mais bien d’un ministère ou d’un service, créé pour l’avancement du royaume et pour l’utilité commune des fidèles. Pareille primauté correspondra, non plus au messianisme vulgaire et charnel, mais à l’esprit de l’Evangile, et elle vérifiera totalement la parole du Christ : « Le plus grand d’entre vous sera [se fera] votre serviteur. »

Or, l’apôtre privilégié, c’est Pierre.

Jésus Christ n’a donc pas prétendu exclure toute primauté parmi ses disciples. Jésus-Christ n’est donc pas étranger à la situation prépondérante de Simonl’ierre. A vrai dire, comment ce dernier aurait-il pu, grâce uniquement à son caractère personnel, et malgré la jalouse ambition des autres apôtres, exercer en fait la constante prééminence que lui attribuent les textes évangélique », si Jésus-Christ même ne lui avait reconnu déjà une place réellement à part ? Cette désignation de Pierre par le Sauveur en personne, comme son apôtre principal et comme le futur chef de ses fidèles, ressort tellement des Évangiles, qu’on devrait au moins la conjecturer avec une haute vraisemblance, quand bien même elle ne serait pas exprimée en termes formels dans les textes capitaux pue nous allons maintenant étudier.

Ce que nous avons dit, jusqu’à présent, de la primauté de Pierre est reconnu pour exact par bien des représentants de la critique libérale. Mais nul n’est plus affirmatif à cet égard que M. Loisy : « Jésus, lisons-nous dans L’Evangile et l’Eglise, est le centre et lechef, l’autorité incontestée. Les disciples ne sont pas autour de lui comme une masse confuse ; parmi eux, le Seigneur a distingué les Douze, elles a associés lui-même, directement et effectivement, à son