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PAIX ET GUIÎRRE

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tous les pactes et protocoles de la Société des Nations, la déniocrutie révoltée bouillonnera et défer lera en tempête, poussera d’impétueuse » clameurs de guerre, menacera et débordera ses gouvernants temporisateurs, improvisera la guerre nationale, avec toutes ses inexpériences, mais avec toutes ses inexpiables fureurs. On acceptera les lourdes charges de la levée en masse, on votera les crédits militaires, on réclamera des canons et des munitions. Puis, on se battra intrépidement, poussé par In même passion profonde qui, sous tous les régimes, rind possible l’exaltation et l’abnégation farouches (les jours de guerre.

Néanmoins, dans ces brusques soulèvements populaires d’enthousiasme guerrier, n’y aurait-il pas quelque chose d’artillcicl, qui répondrait à un plan concerté, non par la démocratie elle-même, mais par des groupes riches et influents qui (pour un motif ou pour un autre) seraient intéressés à susciter la guerre et à y précipiter le peuple entier ? L’hypothèse est de toute vraisemblance ; à une condition toutefois : c’est que les hommes qui poussent à la guerre et exploitent plus ou moins artiflciellerænt telle et telle circonstance favorable, puissent faire appel à une anxieuse préoccupation d’intérêt matériel ou moral, à une réelle et ardente passion de haine ou d’enthousiasme, qui couve déjà dans l’àræ du peuple et qui, brusquement exaspérée, jaillisse de la foule anonyme comme une llamme puissante pour tout embraser autour de soi.

Quant au fait même de l’initiative concertée de quelques personnalités résolues, tirant adroitement parti de telle occasion opportune, en vue de porter à leur paroxysme les aspirations ou les fureurs de la multitude, on ne peut guère s’en étonner. Hien de moins anormal dans les mœurs politiques de la démocratie.

Au cours de la grande guerre, telle fut la méthode suivie par la minorité belliqueuse qui détermina la violente commotion populaire d’où résulta l’intc’rvention armée de l’Italie en igib. Telle fut la méthode encore que suivit le groupe dont le principal membreétail Lord NorthclilTc, propriétaire du Times et du Ddily Mail, et qui arracha aux résistances du parlementarisme britannique l’organisation sérieuse du comité de guerre et le vote du service militaire obligatoire et universel. Telle fut la méthode suivie avec un art plein de nuances par le président Wilsou pour rallier peu à peu l’unanimité morale de l’opinion américaine à l’idée de la guerre avec l’Allemagne et appuj-er sa politique de chef d’Etat belligérant sur l’adhésion rélléchie du peuple des Etats-Unis.

Ce sont là des exemples empruntés aux démocraties policées du nouveau nxonde ou de la vieille Eurojie. Nous nous abstenons de parler des jeunes démocraties nées du démembrement de l’Empire russe : ni leur politique intérieure ni leurs rapports mutuels ne suggèrent, à coup sur, l’image radieuse de la paix perpétuelle…

Que l’on ne considère donc pas l’éventualité de la guerre comme nécessairement exclue parle triomphe, même généralisé, du régime démocratique dans le monde contemporain.

K. Paij : et Nalionalilés. — Une autre espérance de paix universelle et perpétuelle est fondée un peu prématurément sur le triomphe du principe des nationalités, que voudraient consacrer à jamais les négociateurs des traités de 1919 dans leurs statuts territoriaux d’Occident et d’Orient.

L’erreur incontestable des diplomates européens de 1815 avait été de s’inspirer presque uniquement des mélliodes de la politique d’équilibre, sans se

préoccuper de ce que pouvaient être les âmes, les traditions, les aspirations de la plupart des peuples dont ils avaient disposé souverainement. On n’avait guère consulté d’autre règle que les convenances ou les caprices, les calculs ou les ambitions des grands Etats. Le résultat fut une construction artiflcielle et fragile, que renversèrent de fond en comble les poussées violentes du sentiment national au dixneuvième siècle.

Aujourd’hui, ne peut-on pas espérer la disparition de ces causes douloureuses de discordes entre peuples et peuples, maintenant que la paix du monde prend pour formule lapplicalion universelle du principe des nationalités, avec proclamation du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmea a ?

La raison de tenir pour douteuse pareille conception optimiste de l’avenir, est que le principe des nationalités est fort loin de constituer une cause nécessaire de paix. Il restera toujours beaucoup plutôt une occasion de querelles internationales du caractère le plus irritant.

On se tromperait lourdement si l’on croyait reconnaître dans le principe des nationalités une règle claire, certaine, incontestable, du droit public, et surtout une règle à laquelle devraient être universellement sacriliées toutes les autres considérations morales, historiques ou juridiques qui peuvent intervenir raisonnablement dans la détermination des frontières ou la distribution des souverainetés.

M. Henri Hauser n’a pas eu tort d’écrire en 1 j16 : (1 Le principe des nationalités, qui est la base de la guerre actuelle, est le type de ce qu’on peut appeler une fausse idée claire. » Au premier abord, en effet, on admet sans peine que les groupes de poiiulation formant une nationalité distincte doivent normalement posséder une organisation politique qui leur soil piopre : indépendante ou autonome. Mais rien n’est plus difficile à déterminer avec précision que ce qu’il faut entendre, dans la réalité historique et concrète, par une nationalité.

Aucun des signes proposés comme caractéristiques ne concorde avec la totalité des exemples connus. Chacune des formules imaginées par les apôtres du système vient se heurter à des contradictions éclatantes. Ni la religion, ni la race, ni le cadre géographique, ni la langue même ne constituent le support nécessaire et distinctif de la nationaliié.

Les théoriciens actuels invoquent un principe spirituel, un phénomène de conscience nationale, un vouluir-vivre collectif. Notion qui a sa haute valeur, mais qui comporte des applications essentiellement mouvantes et donnera toujours lieu à de » applications ligitieuses.

Le fait permanent, incontestable, est que les antagonismes politiques fondés sur les aspirations contradictoires des nationalités rivales (chacune réclamant comme sien tel rameau de population, tel territoire, tel littoral) ont un caractère de violence et d’âpreté beaucoup plus inexpiable encore que les antagonismes fondés sur les ambitions des dynasties ou des impérialismes.

Pour no citer que des peuples éloignés des frontières de la France, nous délions les hommes d’Etat [ces lignes sont écrites au mois d’août 1919] de jamais trouver une formule de paix qui élimine délinitivement, au moyen du principe des nationalités, toutes les causes profondes de con Hits nationaux existantes aujourd’hui : entre les Italiens et les Yougoslaves, entre les Albanais et les Hellènes, sur la côte orientale de l’Adriatique ; entre les Autrichiens, les Hongrois, les Yougii-Slaves, lesRoumains et les Bulgares dans le bassin du Danube ; entre les Grecs, les Yougo-Slaves, les Bulgares et les Ottomans