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PAIX ET GUERRE

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prises d’après ce principe comme des guerres objectivement injustes, et injustes des deux côtés à la fois. C’est que la guerre est, de par sa nature niênie, essentiellement inapte à trancher une question de bon droit, essentiellement inapte à dirimer une question litigieuse en montrant tiui avait raison et qui avait tort. Bien plus, la guerre est tout autre chose qu’une solution inoirensive, comme pourrait être le tirage au sort ou une partie d'échecs. La guerre déterminera nécessairement des ruines, des violences, l’abondante efTusion du sang humain. La guerre est un lléau d’ordre physi(]ue et d’ordre moral. II serait donc insensé, il serait coupable de déchaîner volontairement pareil fléau pour mettre un terme à un mal beaucouj) moins grave, tel que l’absence de règlement d’une question de politique internationale dans laquelle les droits en présence sont branlants et douteux. Nul pouvoir humain ne peut honnêtement, licitement, recourir au terrible moyen de la guerre sans y être contraint par un impérieux devoir de justice. Ce principe moral est tenu à Ijon droit povir évident s’il s’agit de sacrilier une seule vie humaine. Nous ne pensons pas qu’on puisse le tenir jiour moins obligatoire ou moins clair s’il s’agit de sacrilier, par la guerre, tant de milliers de vies humaines et de causer le malheur de tant d’innocents.

Quelques docleui’S catholiques, avec Molina et Tannbk, sans admettre la funeste théorie que nous venons d’exclure, ont cru cependant qu’une guerre pouvait être objectivement juste des deux côtés à la fois. Dans ce cas, le droit de guerre, chez l’un et l’autre belligérant, se rattacherait à la justice commutative et non plus à la justice vindicative. Et voici comment. Par hypothèse, tel Etat possède des droits authentiques et légitimes sur un territoire qui est, de fait, occupé par une autre puissance. Mais cette autre puissance estime de bonne foi être elle-même en droit authentique et légitime de conserver le territoire. On recourt finalement à la force des armes. L’Etat qui possède le territoire en litige prétend faire usage du droit de légitime défense et lepoinser une agression injustifiée. La puissance adverse combat pour recouvrer, au nom de la justice commutativc, la province qui lui appartient, mais non pas pour châtier, en vertu de la justice vindicative, un détenteur de mauvaise foi, présentement coupable d’une faute grave. De la sorte, la guerre serait, de part et d’autre, objectivement légitime, comme un procès où chacune des deux parties agirait de bonne foi et où chacune des deux thèses se réclamerait d’apparences sérieuses ou d’arguments plausibles. Cette conception diminuerait le nombre des guerres objectivement injustes et augmenterait le nombre des belligérants qui combattraient dans des conditions conformes aux exigences du droit.

Néanmoins, l’ensemble des théologiens catholiques parait avoir écarté ce point de vue et demeure fidèle intégralement à la tradition de François de Vitoria et de François Suarez. Même dans 1 hypothèse qui vient d'être décrite, il semble que la guerre ne sera objectivement juste que d’un seul côté. Il faut admettre, en effet, que la puissance qui entendait recouvrer le territoire n’aura pas déclaré la guerre sans avoir tente, d’abord, de faire aboutir sa revendication par des moyens pacifiques : négociations directes, ou plutôt iirocédure arbitrale. Si les titres produits par la partie plaignante établissent vraiment que son droit sur la province est authentique et certain, l’autre Etat cesse, par le fait même, d'être détenteur de bonne foi, il est tenu d’obtempérer à une revendication reconnue légitime, on, tout au moins, de se prêter à une composition équitable. S’il n’y consent pas, il se rend coupable d’une injustice grave, et la guerre qui

s’ensuivra sera formellement injuste de son côté. Au contraire, si les titres produits par la partie plaignante ne démontrent chez celle-ci qu’un droit contestable et douteux, le doute devra profiter au possesseur, melior est conditio possidenlis, et la partie plaignante ne pourra, sans se rendre elle-même coupable d’une injustice grave, déclarer la guerre pour recouvrer jiar la force le territoire contesté. Dans l’un et l’autre cas, la guerre sera juste de la part de l’un des deux belligérants et objectivement injuste de la part de son adversaire.

La vérité de la doctrine paraît exiger que l’on maintienne le principe de saint Augustin : Iniquitas partis adi’ersne jusla bella ingerit gerenda sapienti ; principe répété en termes plus catégoriques jjar saint Thomas : liequirilur causa justa ; ut scilicet illi qui iiiipugiiaiilur, jjroj)leraliqnaiii culpam impuguationem mereinilur. Ce qui revient à dire, avec François de Vitoria et François Suarez, que toute guerre juste est, objectivement parlant, une mesure de justice vindicative, déterminée par une faute grave de l’adversaire.

E. l.a responsabll’té des consciences dans une guerre injuste. — On ne peut méconnaître la complexité des problèmes de droit international ni l'étrange, la déconcertante diversité d’aspect qu’ils prennent selon qu’ils sont envisagés d’un côté ou de l’autre de chaque frontière. U ne faut pas nier qu’en bien des cas deux Etats rivaux ont recouru à la force des armes avec la profonde conviction, de part et d’autre, de repousser une provocation injuste, d’obéir à une nécessité impérieuse, d’avoir pour soi le bon sens et le bon droit. Bref, la guerre pourra souvent paraître légitime des deux côtés à la fois si l’on examine, non plus la valeur objective des motifs de rupture, mais l’estimation subjective, psychologique et morale de chacun des deux adversaires au sujet de la guerre qu’il provoque ou qu’il subit. Cette considération de fait sera d’une haute importance pratique aux yeux du moraliste.

Le cas de conscience sera, d’ailleurs, beaucoup plus diflicile à résoudre pour les gouvernants ou les législateurs qui ont le terrible pouvoir de décréter le recours aux armes que pour les olliciers et soldats conviés à prendre les armes en vertu de leurs obligations militaires.

Ofliciers et soldats exécuteront leur consigne, prendront part à la guerre dans l’intention droite d’agir en vue du bien commun et de se dévouer jusqu’au sang pour leur patrie. Olliciers et soldats présumeront raisonnablement que les gouvernants qui leur enjoignent de prendre les armes obéissent euxmêmes à des motifs justifiés, impérieux ; motifs dont l’autorité compétente, surtout en des circonstances aussi redoutables, n’est pas tenue de rendre compteù ses inférieurs. Des cas tout à fait exceptionnels de flagrante et monstrueuse injustice dans la déclaration ou la conduite de la guerre pourront seuls retirer à la conscience du combattant l’excuse subjective de la bonne foi.

Nous parlons de la bonne foi de l’oflicier ou du soldat dans la participation normale aux opérations militaires : car la bonne foi pourra devenir impossible et la conscience pourra dicter (quel qu’en soit le risque tragique) le refus catégorique d’obéir, s’il s’agit d’actes de cruauté, d’injustice ou d’immoralité, qui seraient prescrits par une évidente violation des lois de la guerre, du droit international, de la morale publique et privée. Ici, lit conscience individuelle de l’oflicier ou du soldat deviendra yi/^e beaucoup plus directement responsable que dans l’appréciation des causes générales et de la légitimité morale de la guerre elle-même.