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PAIX ET GUERRE

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cum etiam malis protenit, dh-ino jiidicio victos hunriliat, vel emendans peccata, vel pitniens.

Cette dernière allégation est toute proche de ce qu’il y a de juste et de résistant dans les vues audacieuses de Joseph de Maistre sur la vertu proxidenlielle et expiatrice de la guerre. Quant aux idées de saint Augustin sur les conditions morales de la légitimité de la guerre, elles seront à la base des enseignements que donneront, à propos du droit de paix et de guerre, les théologiens et philosophes scolastiques.

Dans ce domaine, les idées de saint Augustin sont des vues de droit naturel, de philosophie rationnelle, dont on retrouve les éléments chez certains sages du paganisme, notamment chez Cicéron, mais qui, chez le grand docteur chrétien, prennent une cohérence, une noblesse, une lucidité nouvelles, dans le rayonnement de la vérité catholique. Le R. P. Marcel Chossat (La Guerre et la Paix d’après le Droit naturel chrétien, p. 60, 67) montre avec justesse la continuité de la doctrine, depuis l’antiquité jusqu’à l’âge moderne, par une chaîne de transmission lidèle dont saint Augustin fut le plus brillant anneau. Il s’agit du concept de juste guerre : « Au troisième livre De la République, Cicéron s’applique à réfuter cette opinion que l’injustice est nécessaire au gouvernement de l’Etat. Sien au contraire, conclut-il, la République ne fleurit et ne prospère que par la justice. Les actes de l’Elat n’échappent pas à la loi morale, ils doivent respecter toujours la loi naturelle. Pour être permise, la guerre doit être juste. Et c’est de ce troisième livre De la République que saint Augustin et Isidore de Séville ont tiré leurs célèbres déûnitions de la « juste guerre », que recueillit le Décret de Gratien et que s’approprièrent tous les théologiens, de saint Thomas d’Aquin à Suarez, et, à leur suite, Grotius. »

D. Enseignement de saint Thomas d’Aquin. — Saint Thomas d’AijuiN, dans la partie de la Somme théologique où il étudie les vertus chrétiennes, la Secunda Secundae, est amené à traiter des actes et des pratiques contraires à la vertu théologale de charité : notamment de toutes les formes de luttes, de discordes publiques ou privées. C’est ainsi qu’il aborde le problème de la guerre, auquel il consacre un chapitre entier, la question quarantième.

L’article premier est le plus intéressant de tous : car il contient la doctrine de saint Thomas sur le fond même du problème, c’est-à-dire sur la licéité morale de la guerre. Comme toujours, l’article est d’une extrême brièveté, mais d’une profondeur et d’une précision de doctrine, d’une netteté de langage vraiment digne du Docteur angélique.

Saint Thomas énonce les trois conditions qui rendent légitime en conscience le recours à la force des armes :

1’Que la guerre soit engagée, non par de simples particuliers ou par quelque autorité secondaire (ceci contre les guerres privées de l’époque féodale), mais toujours par l’autorité qui exerce dans l’Etat le pouvoir suprême ;

2" Que la guerre soit motiiée par une cause juste ; c’est-à-dire que l’on combatte l’adversaire à raison d’une faute proportionnée qu’il ait réellement commise (d’où le problème de la juste guerre dans les cas où apparait l’impossibilité certaine de donner aux conflits internationaux une solution pacilique qui satisfasse aux strictes exigences du droit) ;

3" Que la guerre soit conduite avec une intention droite : c’est-à-dire en faisant loyalement effort pour procurer le bien et pour éviter le mal dans toute la mesure du possible (il’où le problème delà conduite de la guerre, avec les règles que lui impose la morale chrétienne, et le problème de la juste pai.r).

Ces trois principes, posés nettement par saint Thomas, seront commentés avec ampleur dans les écoles de théologie catholique, surtout par deux grands docteurs espagnols du seizième siècle, François de Viloria et François Suarez, qui étudieront les applications multiples, iëcondes, souvent délicates de la doctrine de saint Thomas.

A la même doctrine de saint Thomas, une confirmation, indirecte mais éclatante, est donnée, d’autre part, dan.s les bulles pontilicales, dans les décrets conciliaires du Moyen Age, à propos de la paix de Dieu, puis de la trêve de Dieu, ainsi que du règlement pacilique et arbitral des conflits entre royaumes. Documents qui, par leur concordance, traduisent la pensée authentique de l’Eglise, l’esprit général de son enseignement, au sujet des questions morales concernant le droit de paix et de guerre. On discerne par là plus nettement combien, dang ses lignes essentielles, la doctrine constante des écoles théologiques mérite le nom de théorie catholique de la juste paix et de la juste guerre. La pratique des Papes et des Conciles corrobore et accrédite l’enseignement des docteurs, dont saint Thomas met lui-même en relief les trois principes fondamentaux.

E. Enseignement de Vitoria et de Suarez. — Le Dominicain François de Vitoria (-{-1549) fut le principal initiateur du mouvement de renaissance philosophique et théologique à l’Université de Salamanque et dans toutes les Espagnes au temps de Charles-Quint. Le traité De Jure iielli, qui fait suite au traité De Indis, eul pour occasion le grave cas de conscience soulevé par les guerres et les conquêtes des Espagnols dans les Indes occidentales : dès les premières lignes du De Jure Jfielli, François de Vitoria indique clairement la position du problème. L’ouvrage précédent a établi que le seul titre au nom duquel les Espagnols puissent raisonnablement acquérir et conserver leur domaine colonial des Indes est le droit de la guerre. Il convient, à présent, d’examiner en quoi consiste ce droit de la guerre, quelle en est la valeur morale et à quelles conditions il [)eut s’appliquer légitimement. Le principe de la licéité de la guerre et l’étude de chacune des trois conditions formulées par saint Thomas constituent la matière essentielle de l’ouvrage. La première partie est intitulée : Quelques questions principales. La deuxième partie est consacrée aux problèmes concernant la guerre juste, et la troisième partie examine h’.' ! choses permises dans une guerre juste.

Nonobstant quelques vues contestables, quelques thèses vieillies, le De Jure Belli, de François de Vitoria est un excellent manuel de droit public chrétien au sujet de la paix et de la guerre. Il mérite de rester ou de redevenir classique dans les écoles de théologie catholique.

A son tour, le Jésuite François Suarbz (-j- 1617), l’illustre théologien contemporain des règnes de Philippe II et de Philippe III d’Espagne, qui résuma les doctrines de lancienne scolastique dans une synthèse lumineuse et puissante, a exposé méthodiquement les principes du droit de paix et de guerre d’après la morale catholique. Sans parler des chapitres substantiels qui touchent à ce problème dans le second livre De legibus, la dissertation De Bello se trouve dans le traité des vertus théologales, De Fide, Spe et Caritate, où l’auteur commente la Secunda Secundæ de saint Thomas.

La critique des difTércnles solutions philosophiques et théologiques est conduite ici, (^nnme partout chez Suarez, avec autant de loyauté que d’ordre et de solidité. Le De liello de Suarez doit être rapproché du De Jure Belli de son devancier Vi’ioria. Les deux traites dilTêrcnt quant à la physionomie et