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ORIGENISMR

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Plus grosse de conséquences est l’hypothèse qui supprime le terme définitif assigné à toute vie humaine, récompense pour la vertu, châtiment pour le crime, et y substitue la perspective d’autres migrations possibles à travers d’autres existences. Si l’auffe peut encore déchoir soit au rang d’homme soit au rang de démon, si Judas ou Satan peut s’élever au rang de séraphin, tout vacille dans les conclusions que nous tirons de l’Ecriture ; il n’y a plus rien d’assuré dans l’œuvre de Dieu.

Origène trace d’ailleurs d’excellents tableaux des épreuves terrestres de l’humanité. II montre, d’après l’Ancien et le Nouveau Testament, l’homme aux prises avec les puissances ennemies. Sollicité d’un côté par les esprits du niai, de l’autre par Dieu et ses anges, l’homme demeure libre. Ses fautes ne procèdent pas toutes de tentations extérieures, car il porte en lui-même des instincts très prompts à se dérégler et dont le démon exphïite la complicité. Contre tous les assauts il est assisté par la grâce divine ; il ne tient qu’à lui de vaincre, comme Jacob assisté par l’ange, comme Job dont Dieu soutint la patience.

Le cadre ouvert par Origène peut accueillir, entre bien d’autres idées, celle du péché originel ; mais cette idée n’y occupe aucune place de choix. Et par le rôle discrétionnaire qu’il assigne au libre arbitre, il s’engage dans les voies de l’hérésie pélagienne. Puisque l’exercice du libre arbitra trouve dès cette vie une sanction dans la destinée propre à chaque âme, ce monde présente comme une première ébauche du jugement divin. Origène croit à la réalité du jugement ; il affirme aussi la résurrection des corps. Les uns renaîtront spiritualisés, immunisés par la gloire contre toute corruption ; les autres seront livrés en proie à la souffrance, qui s’acharnera sur eux pour les torturer sans les détruire. Aux justes, Dieu destine des biens ineffables ; non pas ces biens grossiers que rêvent quelques-uns, lisant l’Ecriture, comme les Juifs, avec des yeux de ehaii’, mais des biens spirituels : connaître les choses et les raisons des choses, voir tout dans la lumière de Dieu, avec un regard d’autant plus perçant que l’àme est plus pure. Aux damnés, le feu vengeur allumé par leurs propres péchés. Condamnée à l’ignorance et rivée à la matière, l’àme souffrira jusqu’à ce que les jours de sa purification soient achevés. D’ailleurs, après une expiation convenable, tous, hommes et anges, peuvent reprendre leur rang. Ils semble même que cette réhabilitation soit réservée à tous pour le dernier jour. Selon la conception origéniste, l’entrée des créatures raisonnables en ce monde fut une descente, une déchéance, du milieu invisible et éternel où elles furent créées, vers les réalités sensibles. Après que chacunede ces créatures raisonnables eut, par son libre arbitre, fait sa propre destinée, vers la (in des temps, comme tout, hommes et anges, faiblissait, le Fils de l’homme vint en personne réparer le monde par l’exemple salutaire de son obéissance. Sa soumission volontaire est le principe de la nôtre ; par des voies de persuasion, dont le secret appartient à Dieu, elle nous subjugue et nous conduit à ses fins. Le souverain bien, pour la créature raisonnable, consiste dans le retour à l’auteur de son être. Une fois l’évolution cosmique achevée, la terre renouvelée sera comme le vestibule du ciel pour les élus, qu’elle préparera aux suprêmes révélations. Ils pénétreront dans le ciel et Dieu sera tout en tous.

Ce dénouement suppose que Dieu aura pu remettre plusieurs fois au creuset ses élus pour les parfaire. Appelée par l’hypothèse des épreuves successives, l’hypothèse de la pluralité des mondes est requise

pour fournir à cette sotériologie grandiose le cadre qu’elledemande. Combinée avec l’interprétation spirituelle des Ecritures, dont le quatrième livre du Periarchon développe la théorie, elle produit des pages d’un souffle puissant, dont le malheur est de ne répondre à rien de réel.

Origène distingue trois sens des Ecritures, répondant aux trois éléments de l’homme : le corps, l’âme et l’esprit. (Voir ci-dessus article Exkgèsb par A. DuHAND, t. I, 1823 ; surtout F. Prat, Origène, livre II) Volontiers il négligera le corps, c’est-à-dire le sens matériel, pour s’attacher à l’àme et à l’esprit, c’est-à-dire aux sens les plus élevés. Ainsi se débarrasserat-il de tous les textes gênants. Dès lors qu’il les juge peu convenables à la sagesse ou à la majesté de Dieu, il se croit autorisé à les prendre au sens spirituel, et ce principe d’exégèse le mène fort loin.

Après avoir montré dans l’Israël selon la chair

— dans le peuple juif — la figure de l’Eglise, Isratl selon l’esprit, il élargit cette conception et nous invile à considérer encore selon l’esprit les peuples voisins d’Israël. Pourquoi eux aussi, comme Israël, n’auraient-ils pas leur type céleste ? Et pourquoi, aussi bien que l’Israël terrestre, ne seraient-ils pas quelque tribu exilée du ciel pour des fautes commises dans une existence antérieure, et attendant ici-bas que le mystère de son expiation soit consommé ? Et pourquoi telle page de l’Ecriture, dont le sens nous échappe, ne serait-elle pas, selon le sens spirituel, l’histoire céleste, soit passée, soit à venir, de quelqu’un de ces peuples mystérieux ? Pourquoi enfin l’histoire du Christ, y compris la Passion, ne serait-elle pas la préface d’un évangile éternel, l’image terrestre d’une rédemption meilleure qui doit s’accomplir dans le ciel, pour la ruine des puissances célestes du mal ? Celui qui aime la vérité ne s’arrêtera pas aux mots ; il s’efforcera de percer le voile des réalités sensibles, pour pénétrer les mystères spirituels.

Ainsi le cycle se ferme : selon le programme tracé dès le premier livre, l’état définitif de la créature reproduit l’état initial.

4. le fond de l’origénisme. — Il faut s’arracher à la poésie de ces rêves, pour demander : l’esprit d’Origène s’est-il, en définitive, reposé dans une pensée ferme, et queile est cette pensée ?

Avant tout, on lui doit cette justice que, s’il énonce des idées insoutenables, il ne meta les soutenir aucune opiniâtreté. Au contraire, il ne se lasse pas de redire que c’est là spéculation pure, tâtonnements dans un domaine mal exploré, où il se résigne d’avance à quelques faux pas, la vérité ne progressant qu’à ce prix. S’il ne le dit pas encore plus souvent, et s’il s’oublie parfois à présenter comme vérité acquise ce que, l’instant d’avant, il énonçait avec toute sorte de précautions, on peut croire qu’il agit ainsi par crainte de fatiguer son lecteur, ou plutôt parce que, en la droiture de son àme, il considère comme bien entendu que l’on ne prendra pas cela trop en rigueur. Rien n’est plus facile que de glaner chez Origène les éléments d’un anti-Origène. De là les tentatives d’apologie si souvent renouvelées en faveur du grand Alexandrin. Ses disciples immédiats, instruits par son exemple à donner aux choses leur valeur propre, se sont attachés à ce qu’il y avait de plus durable dans son enseignement, et leur altitude prouve que les échos du Didascalée répétaient autre chose que les excentricités du Periarchon.

Au déclin du quatrième siècle, Rufln, préoccupé de rendre cet ouvrage acceptable à l’Occident, y distingua deux parts : il retoucha les page » relatives