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ORIGENISME

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Fils et du Saint-Esprit, car il lui arrive de les mentionner avec les créatures et, jiour ainsi dire, au même rang. Mais les termes dont il use pour désigner leurs processions, les relèvent jusqu’à la divinité. Génération du Verbe, image du Dieu invisible, de qui il procède par la connaissance et l’amour ; non pas image grossière, à la façon d’une statue, mais image parfaite, comme un Fils, Verbe divin lui-même dégagé de toute matière. Procession de l’Esprit-Saint : en quoi elle diffère de la procession du Fils, c’est là, dit Origène, un de ces mystères que l’Ecriture ne nous dévoile pas. Bien qu’il attribue aux trois personnes divines une même science, il leur assigne trois sphères d’action distinctes et, pour ainsi dire, concentriques : au Père, toute la création, comme auteur de l’être ; au Fils, les seules créatures raisonnables, comme Verbe ; à l’Esprit-Saint, les seuls justes, comme auteur de la sanctilication.

Cette attribution, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, de sphères d’action inégales, devait heurter l’orthodoxie du quatrième siècle, mise en éveil par la lutte contre l’arianisme. Au reste, ce n’était pas le seul côté par où Origène sembla favoriser l’hérésie. Mentionner le Fils parmi les œuvres de Dieu, au premier rang, pouvait paraître inoffensif, car le langage biblique autorise cette hardiesse ; pourtant, elle ne devait point passer inaperçue dans le Periarckon. Origène s’avise-t il de dire que le Fils ne voit pas le Père, aussitôt saint Epiphane et saint Jérôme lui jettent l’anathcme ; pourtant, il n’entend qu’exclure une vision corporelle. Après avoir affirme que l’opération de Dieu est limitée par sa puissance de connaître, et avoir rangé dans l’objet de cette connaissance le Fils même, il se demande si Dieu est connu du Fils comme lui-même se connaît. II laisse la question en suspens, mais enfin il impute au Fils quelque sorte d’infériorité, puisqu’il veut qu’on prenne en rigueur la parole évangélique : « Mon Père est plus grand que moi. » Ruiin, qui a entrepris de corriger la doctrine trinitaire du Periarclion d’après les autres écrits d’Origène, s’est bien gardé de traduire ce passage, sans doute parce qu’il désespérait de le sauver. Par ailleurs, Origène affirme énergiquemenl l’éternité des trois personnes divines ; il l’allirræ en des termes qui sont la contradictoire exacte d’une proposition capitale d’Arius.

Le moins qu’on puisse dire de cet enseignement sur la Trinité est que, pour l’excuser, il faut nécessairement l’entendre avec indulgence. La doctrine sur l’Incarnation est entachée d’un vice plus indiscutable ; nous le retrouverons en rappelant la théorie d’Origène sur la destinée des âmes.

3. /.fl destinée des créatures raisonnables. — L’hypothèse initiale, de la création d’âmes toutes égales entre elles, s’inspire d’une réaction salutaire contre la conception gnosliqpie des trois catégories d’âmes : âmes pneumatiques (ou spirituelles), orientées par leur nature même vers la vertu et le salut ; âmes hrliques (ou matérielles), orientées vers le vice et la perdition ; entre deux, âmes psychiques, capables de s’orienter par elles-mêmes dans un sens ou dans l’autre.

Réaction d’ailleurs excessive, car, si elle corrige efficacement l’immoralité du concept gnostique, c’est au prix d’une restriction arbitraire apportée an souverain domaine de Dieu, toujours maître de ses dons, soit dans l’ordre de la nature soit dans l’ordre delà grâce, et libre de les départir plus ou moins largement à qui bon lui semble, sans devoir de compte à personne. Celle restriction arbitraire implique encore une idée fausse : celle d’un droit objectif qu’aurait la créature, même inexistante, à être établie dans un

certain degré de perfection. En réalité. Dieu ne doit à aucune créature quoi que ce soit, sinon les moyens nécessaires pour tendre à la fin qu’il lui a marquée.

Liée à cette première hypothèse, la suivante, qui explique par l’exercice du libre arbitre toute la différenciation des créatures raisonnables, dénote une louable intention de rendre hommage à l’initiative de la volonté créée ; mais d’emblée elle dépasse le but, en méconnaissant la diversité essentielle des êtres, diversité expressément affirmée par l’Ecriture et d’ailleurs irréductible dans le champ de notre expérience. La foLproteste contre ce remaniement arbitraire du plan divin, et la raison y dénonce une infiltration étrangère. Car l’idée de rattacher à une vie antérieure la condition présente des âmes n’a pas germé toute seule dans le cerveau d’Origène : encore qu’il prétende ne relever ici que de la Bible, il subit inconsciemment quelque réminiscence platonicienne.

Réminiscence particulièrement inacceptable dans le domaine de la christologie. Apres avoir posé comme loi universelle que chaque âme fait à elle-même sa destinée, Origène y assujettira même le Dieu-homme. Une fidélité intégrale à toutes les indications du bon plaisir divin a mérité à l’âme du Christ l’honneur incomparable de l’union avec le Verbe. Elevée jusque-là pour prix de sa vertu, elle assuma librement une chair sans tache, afin d’opérer notre Rédemption ; pour elle seule, la vie terrestre n’impliqua nulle déchéance, mais libre condescendance. Mais voici une chimère plus extravagante encore : l’âme du Christ aurait préludé à son incarnation terrestre par une série de métamorphoses célestes, se faisant tour à tour chérubin avec les chérubins, séraphin avec les séraphins, pour visiter les divers ordres des puissances supérieures.

L’hypothèse de la préexistence des âmes se complique d’une atitre hypothèse non moins ruineuse, touchant la raison d’être de la matière. Poser en principe que la matière est requise pour corriger les écarts du libre arbitre, et qu’en outre tous les esprits créés ont besoin d’un support matériel, c’est renverser les barrières qui séparent l’angclologie de l’anthropologie ; c’est encore introduire, dans le domaine même de l’anthropologie, un trouble profond. Car, par là, on réduit le composé humain à n’être plus une nature digne de ce nom, mais un produit de rencontre, dont rélément principal peut se dégager des liens du corps, soit pour monter plus haut, soit pour tomber plus bas et pour former, avec d’autres éléments matériels, d’autres unions, peut-être éphémères, peut-être violentes. L’identité de la personne, fondement de toute psj’chologie et de toute morale, périclite, ainsi que le dogme de là résurrection, à travers la série des transmutations possibles. D’autant que l’imagination du théologien ne recule pas toujours devant l’idée d’une lointaine métempsycose.

Il faut d’ailleurs savoir gré à Origène d’avoir proclamé la suprématie de l’esprit et affirmé que la matière existe pour lui. Parmi les conceptions plus ou moins risquées qu’il grefTe sur cette doctrine spiritualiste, plusieurs ne lui sont pas personnelles. Telle la conception des âmes des astres. Après une brillante fortune dans l’antiquité profane et sacrée, cette idée séduira encore des scolastiques, et saint Thomas l’accueillera dans la Somme. Telle encore la conception des corps des anges. Il estime que nul esprit créé ne saurait se passer absolument de corps ; seulement, ces corps seront plus ou moins grossiers, selon le degré de déchéance encouru par les esprits. Il n’appartient qu’à la divine Trinité de dominer toute matière.