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ORDINATIONS ANGLICANES

Qui furent au juste ceux qui se chargèrent de ce travail de rédaction, c’est ce qui reste enveloppé de mystère ; mais la Proclamation royale qui figura en tête de ce cérémonial lorsqu’il fut achevé, et qui en imposait l’adoption pour le jour de Pâques 1548, nous le présente comme composé par « plusieurs des prélats de Sa Majesté les plus graves et les mieux instruits, qui, après avoir longuement conféré ensemble et délibéré leurs avis, sont enfin tombés d’accord » sur ce texte. C’était là une formule ordinaire en ce temps des Tudors ; et nous ne nous tromperons pas de beaucoup en lui faisant signifier que le Roi avait confié le travail à un petit comité de personnages qui partageaient ses vues, — nous voulons dire celles du Conseil de Régence, — mais manquaient d’autorité pour les imposer. Si, pour faire accepter de la nation la mesure ainsi décrétée, on jugeait ensuite nécessaire d’y engager la responsabilité de quelque corps régulier de dignitaires ecclésiastiques ou civils, on n’avait plus qu’à convoquer ceux-ci et à user de menaces pour leur faire signer le cérémonial rédigé en petit comité par les « prélats graves et bien instruits » ou par toutes autres personnes indûment chargées de ce travail.

Le texte qu’on voulait ainsi faire admettre de force au peuple anglais, était imprimé le 8 mars 1548, et resta jusqu’en 1549 à l’état de feuillet séparé. (Voir Two Books of Commons Prayer. App.) Il comprenait deux parties : la première conçue en forme de proclamation à faire par le ministre, et celui-ci y annonçait son intention d’administrer la Sainte Communion selon la nouvelle méthode, le prochain dimanche ou du moins quelqu’un des jours suivants. Ce qui nous intéresse ici, c’est que la Sainte Communion ne devait plus comme auparavant se distribuer indifféremment à toutes les messes où quelqu’un se présenterait pour la recevoir, mais seulement à l’unique messe indiquée d’avance par le ministre et fixée par lui à l’heure qui lui conviendrait. Les auteurs de cette disposition savaient bien où ils voulaient en venir : l’intention de Cranmer, telle que nous la connaissons par ailleurs, était d’abolir toutes les messes où il n’y aurait pas de communiants, et par là de déraciner l’habitude où l’on était de considérer la Messe comme un sacrifice. La première partie du nouveau cérémonial règle que la Messe sera dite comme ci-devant jusqu’à la fin de la communion du prêtre. Le seconde donne au célébrant les directions suivantes : « Sans modifier (jusqu’à nouvel ordre) aucun autre rite ou cérémonie de la Messe, mais suivant ce que le prêtre a été jusqu’ici dans l’habitude défaire avec le Sacrement du Corps, en préparant, bénissant et consacrant autant qu’il est utile pour le peuple, ainsi continuera-t-on en même manière et forme, sauf que le prêtre bénira et consacrera un grand calice, ou bien une ou plusieurs belles et décentes coupes, emplies d’un vin mêlé de quelque peu d’eau. » Puis, après communié lui-même, le prêtre devra omettre la fin de l’ordinaire de la Messe, et se tournant vers les assistants il leur adressera une longue exhortation commençant par ces mots : « Bien aimés au Seigneur qui avez intention de communiquer…[1] », afin de s’assurer qu’ils sont bien dans les dispositions qui conviennent ; et s’ils n’y étaient pas, il devrait se retirer aussitôt. Suit une prière de confession générale que tous doivent dire en semble, et une prière d’absolution adressée à tous ceux qui veulent communier ; puis on récite quelques « Paroles de Consolation » empruntées aux évangiles et aux épîtres du Nouveau Testament, et enfin une prière d’ « Humble accès », après laquelle le célébrant doit donner la communion sous les espèces du pain d’abord et sous celles du vin ensuite, en prononçant la formule ordinaire du rite catholique qu’on a adaptée également à l’administration du Précieux Sang. Aussitôt après, il doit congédier l’assistance par ces mots : « La paix de Dieu laquelle surmonte tout entendement, etc. »

Cette juxtaposition du vieil office de la Messe soudainement interrompue après la Communion du Prêtre, et du nouveau cérémonial de Communion, renfermait une incohérence manifeste : l’ancien Ordinaire de la Messe était imprégné en toutes ses parties de l’idée de sacrifice, tandis que le nouvel Ordinaire de la Communion avait été introduit, comme nous allons le voir, avec l’intention expresse de bannir du rite de la communion ce qui pouvait y rappeler une pareille notion. Mais ceux qui méditaient un tel changement se rendaient compte que leurs plans seraient mal accueillis dans le pays : car, sauf quelques petits groupes protestantisés qui existaient à Londres et dans certaines villes de la côte orientale, la population restait profondément attachée à la foi catholique. Les Reviseurs comprirent donc qu’il fallait procéder avec prudence, et se contenter d’introduire progressivement les innovations projetées, sans jamais dépasser la mesure que le peuple pourrait présentement porter. Quelques mois plus tard cependant, ils se sentirent de force à faire un pas de plus : le premier « Prayer Book » d’Édouard VI fut publié, et un Ordre du Conseil en imposa l’adoption en tous lieux. En février 1549, l’Acte d’Uniformité prescrivit qu’à partir de là Pentecôte de cette même année ce livre devrait être partout le seul en usage, sous peine d’amendes, de destitution, et même de prison en cas de persistance obstinée.

Doctrine nouvelle que ces changements visaient à exprimer. — Avant d’expliquer la nature de ce nouveau livre, il pourra être opportun d’établir les sources dont il s’inspirait et la pensée à laquelle il prétendait répondre. Les anglicans de « haute église » sont enclins à y voir « une correction modérée, généralement conservatrice en ses tendances, de la Messe romaine (Fære, History of the Book of Common Prayer, pp. 52-54), telle qu’elle figure dans le Missel. De même Wakeman nous déclare que le but des Reviseurs était d’obtenir un rite (1) simple, d’où la suppression des complications qui rendaient l’ancien office si peu intelligible aux laïques, (2) social, tel que le peuple pût y prendre une part plus grande, (3) plus scripturaire dans son langage, et (4) purgé d’abus certains comme étaient l’invocation des saints ou la commémoraison des âmes du Purgatoire. (Wakeman, History of the Church of England, p. 270) Le chanoine Brightman est plus près de la vérité quand il voit dans le nouveau canon « une paraphrase et un développement éloquent de la conception du sacrifice eucharistique présentée à trois points de vue, savoir : (1) comme la commémoration de l’oblation historique du Christ par lui-même, dans sa mort sur la croix, (2) comme un sacrifice de louange et d’action de grâces pour le bienfait de la Rédemption, (3) comme l’offrande de l’Église, de nous-mêmes, de nos corps et de nos âmes ; ce canon concentre sur ces trois aspects toutes les expressions relatives au sacrifice. » (Brightman, English Rite, Préface, cvi) Mais une pareille description n’équivaut-elle pas à un aveu détourné que l’intention des Reviseurs était d’expulser tout ce qui, dans l’ancien rite de la messe, formait, d’après la doctrine

  1. Nous citons le Service de Communion d’après la traduction française du Prayer Book publiée par ordre de Jacques Ier en 1616.