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MARIAGE ET DIVORCE

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enfantsel leurs parents divorcés, et remariés chacun de son côté, quels rapports de famille sont possibles ? Les enfants demeureront entre le père et la mère, privés de leur atTection et de l’éducation qui leur était due, ou bien vivront dans une de ces nouvelles familles, hôtes importuns, le plus souvent, ou parasites odieux. A leur tour, quelle affection filiale pourront-ils avoir pour ceux qui ont violemment brisé tout lien de famille ?

Peut-on encore oublier ce que demandent l’égalité et la justice dans les contrats ? Kompu, le mariage ne causera pas de tort, souvent, à l’une des parties ; mais que deviendra l’autre ? Le mari trouvera, aura trouvé avant même le divorce, une nouvelle épouse, la première ayant été peut-être prise comme épouse d’attente et comme pis-aller. Mais la femme ? Le plus souvent, du seul fait qu’elle a été déjà mariée, surtout si elle a le malheur de demeurer avec charge d’enfants, elle sera condamnée au célibat et à la solitude la plus désemparée.

b) Les motifs du divorce. — La thèse du divorce apporte ses raisons. Le lien du mariage est créé par l’accord des volontés et suppose l’amour. Dès que cet accord et cet amour cessent, le mariage n’a plus sa raison d’être. Il devient une hypocrisie et un enfer. En ce cas, ce qui subsiste, c’est le droit de l’individu à vivre pleinement sa vie, le droit au bonheur dans la vérité et la sincérité de ses sentiments, le droit de chacun de s’évader du foyer, où il est condamné au malheur, et de se faire ailleurs une vie heureuse : tel est le dernier mot des arguments en faveur du divorce.

f) Discussion. — Accordons qu’il y a des ménages où la vie, par la faute d’un des conjoints, est une vie humiliée, pénible jusqu’à en devenir intolérable. Est-ce une raison péreraptoire de proclamer que l’indissolubilité est un régime contre nature ? Toute la question est là. Or une réponse affirmative supposerait certains principes qui ne sont rien moins que démontrés ; qui, si on les admettait dans le mariage, auraient droit de cité ailleurs et ruineraient du même coup toute vie morale individuelle, toule vie sociale. Ainsi il faudrait admettre, au minimum, que. là où l’amour et la sympathie ont disparu, le devoir et la conscience n’ont plus rien à voir ; qu’on est quitte de toute obligation, contractée par promesse oi par serment, liés qu’on n’aime plus le bénéticiaire de cette obligation. Ou admettrait encore cette monstruosité, que la règle suprême de tuute moralité, c’est le droit au bonheur sous telles formes et en union avec telles personnes — formes successives et personnes indéfiniment variables ; qu’à cette fin tout doit être subordonné comme un moyen ; que ce droit, dès qu’il entre en jeu, confère tout autre droit ; qu’il n’est pas de droit ou de devoir opposé qui lui résiste ; que tout sera juste et saint, dès que le bonheur d’un individu le réclamera. L’amour avec ses caprices, ses débordements, ses brutalités égoïstes, sera le maître souverain de toute vie morale et sociale.

On nous répond : alors vous condamnez, sans autre espoir de délivrance que la mort, une foule de malheureux à vivre emprisonnés dans une vie lamentable et sans issue ?

Beconnaissons que c’est là parfois une suite et une triste rançon de la loi de l’indissolubilité. Plus souvent, peut-être, n’est-ce pas un châtiment de la légèreté et de l’aveugle inconsidéralion avec lesquelles on s’est engagé ?

D’ailleurs, à notre tour, demandons quels résultats amènerait le divorce.

Si les ruines du ménage brisé sont imputables aux deux mariés, en leur accordant le divorce, on récompensera leurs vices, que l’espoir même de cette

solution avait encouragés. Les coupables seront libérés de leurs devoirs mutuels. La victime unique, ce sera l’unique innocent, spolié de ses droits sur ses parents, l’enfant.

Si, dans le ménage, il y a un innocent et un coupable, le coupable recevra la prime de ses fautes en devenant libre d’épouser sa complice. Quant à la partie innocente, elle verra ruiner le foyer où elle avait espéré abriter à jamais sa vie. Elle aura le choix entre pleurer ses ruines ou se refaire un nouvel abri, … si elle en a la facilité. Les enfants deviendront ce qu’ils pourront.

Mais il est des cas, les seuls vraiment intéressants, où la partie innocente demande elle-même à être libérée, pour échappera ine vie intenable. A celle-là du moins n’est-il pas juste d’ouvrir la porte d’une prison imméritée ? Avouons qu’avec l’indissolubilité elle aura définitivement manqué sa vie de bonheur rêvé, par la faute d’un autre, et qu’elle ne pourra pas tenter de la recommencer dans des conditions meilleures. Il y aura donc ainsi un certain nombre de victimes dignes de toute pitié, soit. Mais combien plus grand serait le nombre des victimes, tout aussi dignes d’intérêt, sous la loi du divorce ? Point de doute que ce dernier régime, à ne considérer que les époux, ne soit un régime d’oppression pour les innocents, un régime de liberté et d’encouragement pour le vice. Quant aux enfants, nous l’avons vu, ils sont inexorablement sacrifiés. Au reste, si l’indissolubilité refuse un remède pire que le mal, elle ne laisse l)as d’offrir un palliatif légilime, le seul qui soit de mise en une telle catastrophe, la séparation. Atténuer le mal d’une vie tristement engagée dans un mauvais mariage, c’est tout ce qu’on peut espérer.

d) Conclusion. — Ainsi donc, à comparer les deux régimes, nous devons conclure que celui de l’indissolubilité, beaucoup mieux que celui du divorce, remplit les conditions exigées par notre méthode : à un point de vue auquel tous les autres doivent être décidément subordonnés, sauvegarder beaucoup mieux les droits de la communauté humaine, identifiés avec ceux de l’enfant : et même, à un point de vue secondaire, tout en sacrifiant quelques individus dignes d’intérêt, proléger bien plus efiicacerænt que le divorce V ensemble des époux honnêtes contre les coupables. Le divorce, au contraire, sacrifie, en règle générale, l’enfant aux parents et va donc contre l’ordre essentiel du mariage. Ce vice suflirait à le condamner. Mais de plus, parmi les époux, s’il met en principe sur un pied d’égalité l’homme et la femme, les innocents et les coupables, en pratique, c’est la femme, plus faible, qui est sacrifiée à l’homme ; c’est la faute, celle de l’homme ou de la femme, qui est récompensée envoyant son œuvre de trahison et de destruction sanctionnée par la loi humaine.

e) Dernière objection. — Que l’indissolubilité soif de règle générale, passe. Mais de quel droit déclarer que cette loi ne comporte pas d’exceptions, pour les cas où elles seraient motivées ?

Réponse. — Rappelons d’abord ce qui a été dit plus haut : c’est que la loi naturelle, telle que nous l’avons déterminée, se présente comme une règle unique et identique pour le mariage en général, et non point comme une règle qui varie suivant la diversité accidentelle des cas spéciaux.

En particulier, pourquoi y a-t-il lieu, dans la question présente, de rejeter les exceptions même solidement motivées ?

Première raison, parce que les exceptions ne peuvent être admises sans ruiner la loi elle-même de l’indissolubilité, et sans se généraliser au point d’acheminer en pratique la société vers l’union libre.