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NOHD (RELIGIONS DE L’EUROPE DU)

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déesses citées à côté de Frijja dans la deuxième formule magique de Mcrsebourg ? De toutes ces divinités, celles-ci de nom latin, celles-là de nom germanique, nous ne savons que l’existence. Klles n’ont aucune individualité, non plus que ce Fursele que les Frisons adoraient comme le garant du droit.

Il en va tout autrement des divinités inférieures. Tandis que, d’ordinaire, les dieux suiira-terrestres deiiieurentd’une remarquable imprécision, les autres, ceux qui senties plus rapprochés des humains, ceux qui sont vaimenl mêlés à leur vie, agissent au contraire avec une activité étonnante et jouent un rôle hors de toute proportion avec leur absence de noms, de traits individuels et de vcrilal)le personnalité. Ces êtres surhumains, innombrables et presque toujours anonjmes, qui personnifient encore les forces de la nature, sont souvent secourables et bienfaisants ; mais ils sont loin de l'être toujours. Parmi les elfes et les nains, que de catégories dilTérenles ! On sait combien perverses et pertides sont le plus souvent les ondines, et régulièrement les nixes, les trolls, les trudes, les gnomes ; à côté de ces esprits malfaisants existent de « bons enfants », des « gens paisibles », ces elles domestiques que sont les kobolds et les lutins, ou encore les minuscules forgerons des entrailles des montagnes, très malicieux parfois, mais aimables et gracieux. Nombre de ces petits personnages survivent encore actuellement dans l’imagination populaire, dans le Harz en particulier, ce pays de mines plein de vieilles traditions plus ou moins altérées, mais toujours intéressantes à étudier et à critiquer ; souvent aussi, dans les histoires populaires, des serpents jouent le rôle de bons génies… Ainsi donc, auxx' siècle, les descendants des anciens Germains conservent dans leur folklore quelque chose de cette religion de la nature que pratiquaient leurs ancêtres quinze siècles auparavant. 4. Les croyances religieuses des Scandinaves.

— Cette même religion, c’est celle des ancieusScandinaves, autrement dit des habitants des plaines suédoises, des Normands de la Norvège et des insulaires islandais. Mais elle a pris peu à peu parmi ces peuples une ampleur tout autre que chez les Germains, et vraiment extraordinaire. 'Telle a été la conséquence d’une longue évolution dont le point de départ remonterait jusqu’aux temps préhistoriques

— c’est-à-dire jusqu’aux iv' et v' siècles de notre ère

— si la pierre runique de Sanda (tle de Gottland) représente bien la trinité eddaïque, et si les interprétations proposées pour les scènes mythiques gravées Sïir des cornes à boire, etc., sont vraiment exactes. Dans tous les cas, on arrive à discerner dans les chants Scandinaves des parties très différentes : cellesci sont naturalistes et celles-là étiologiques, d’autres allégoriques, d’autres encore évhémériques, etc. ; d’autres enfin sont un amalgame remarquablement habile d'éléments très disparates. On discerne très bien, d’autre part, au cours des âges, une sorte d'évolution de certaines divinités et (si l’on peut s’exprimer ainsi) de certaines localités célestes d’un poème ou d’un cycle Scandinave à un autre. Thor, par exemple, le vieil ase terrestre national norrois, devient le fils d’Odin — undieu d’importation, nous le verrons tout à l’heure — et de^Freia, dont le culte est exclusif à l’Islande ; le o veilleur des dieux » dont il est question dans les anciens poèmes germaniques est transformé par l’imagination poétique des scaldes norvégiens-islandais en Heimdallr, « celui qui brille au-dessus du monde '. Les scaldes se plaisent à énuméreret à décrire les belles et nombreuses demeures del’Asgard ou séjour des dieux, et font du Valliall, le primitif empire des morts, le paradis des guerriers d’Odin. Sur le fond des raythologies ger maniques, les mythologies Scandinaves se sont donc greffées et développées, tout au moins en partie. Ainsi, peu à peu, s’est constitué un panthéon Scandinave très intéressant, parfois très proche du panthéon germanique, mais beaucoup plus complet et plus cohérent, si on se place pour le dénombrer au temps de la composition de l’Edda en prose (xiii"^ siècle de notre ère), encore que, comme les dieux germaniques, les divinités en soient le plus souvent particulières à des régions déterminées du monde Scandinave.

Thor, le Donar des Germains, le grand dieu du tonnerre, est vraiment la figure centrale du panthéon Scandinave. C’est un héros nettement anthropomorphisé de très bonne heure, dès le temps où fut sculptée la pierre runique de Sanda, dans l'île de Gottland, et la poésie eddaïque a su lui donner des traits vraiment typiques. Thor est jeune, il est beau, il est fort ; monté sur un char que traînent deux boucs, ce brave guerrier va partout où sa présence est nécessaire, armé de son marteau de fer, ganté (ajoutent certains textes) d'énormes gantelets de fer et ceint d’une ceint<ire magique qui centuple ses forces. C’est toujours l’adversaire acharné des géants, qu’il va combattre jusque dans leur pays sauvage et montagneux, et contre lesquels son marteau de fer lui est une arme puissante. Quand il est en colère, sa barbe rousse frémit et ses j’eux étincellent Les poètes septentrionaux se sont plu à chanter les exploits de Thor le fort, l’irrésistible ; ils en ont raconté les luttes contre les mauvais géants : ils ont fait ressortir le caractère bienfaisant et civilisateur de son action. Il est le bienfaiteur du peuple, celui qui favorise l’agriculture, qui veillesur la fidélité et sur la vérité, le gardien des serments. Pour les Norvégiens et les Islandais, il est le dieu par excellence et sans épithète.

On est loin de se faire de Freyr, le dieu principal de la Suède comme Thor est celui de la Norvège et de l’Islande, une idéeaussinette. C’est « le Seigneur » — tel est le sens du mot Freyr — une divinité de la lumière, une transposition de Zio-Tiwaz dans l’opinion de nombre de spécialistes. Freyr est également un dieu de la fécondité, aux attributs et aux emblèmes phalliques ; mais son caractère personnel est absolument effacé, et il faut le voir ligui-er avec son oie sur la pierre runique de Sanda, avec Thor et avec Odin, pour comprendre son importance et pour le mettre à la place qui lui est due.

On n’hésite nullement, au contraire, à assigner à Odin (le Wodan des Germains) une place considérable. On tendrait même parfois, si l’on n’y prenait garde, à tenir Odin pour plus important que Thor. Celui-ci est cependant, sur la pierre de Sanda, le dieu central, encadré d’Odin avec sa pique et de Freyr avec son oie. C’est donc à tort que les poètes ont, tardivement, prétendu faire d’Odin le dieu du ciel, le père de tous les hommes et le directeur de la course du monde ; Odin n’est rien de tout cela.

C’est un dieu d’importation étrangère, comme l’attestent les légendes septentrionales qui en font le dieu des Saxons, venu de la Germanie à travers la mer. Il aurait apporté avec lui (est-ce une allusion à la civilisation gallo-romaine ?) la sagesse et l’art d'écrire. Rien donc que de naturel à voir en lui le sage par excellence et un grand magicien. Tel est Odin pour les poètes, d’après lesquels il est donc un dieu aristocratique et lettré, si l’on peut dire, contrastant par conséquent avec Thor, le dieu populaire et redresseur de torts. Mais Odin est autre chose encore : il a gardé les traits primitifs du Wodan germanique, et est demeuré le dieu du vent, qui, comme tel, sème la fécondité et aussi la mort.