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NÈGRES (LA TRAITE DES) ET LES MISSIONNAIRES. — L’esclavage antique avait presque entièrement disparu de la société chrétienne, quand la cupidité des blancs d’Europe le fil revivre, pour le raallieur de leurs frères noirs d’Afrique, avec des horreurs inouïes jusque-là. On a pu lire dans l’article Esclavage la lamentable histoire de cette funeste résurrection, le hideux développement pris par la traite des nègres, les efforts des Souverains Pontifes pour arrêter ce cruel Iralic de chair humaine Il reste quelque chose à dire de l’altitude des Missionnaires à l’égard de ces violences et de ces iniquités, dont ils ont pu avoir connaissance, parfois comme témoins oculaires.

Nous devons exposer d’abord la situation des missionnaires en face de la traite : puis ce qu’ils ont fait pour s’y opposer, soit par action directe, soit par leur inlïuence.

I. Situation des Missionnaires en face de la traite des nègres. — Uemèmeque, suivant les principes du droit naturel et la doctrine des théologiens, les missionnaires ne pouvaient condamner de façon absolue l’esclavage, ils n’ont pas davantage dii condamner toute sorte de commerce d’esclaves. La question était de savoir si la justice et l’humanité pouvaient y être sauvegardées. Et donc, au moins dans les commencements, plus d’un a de très bonne foi partagé l’erreur de Barthélémy de Las Casas. Ce grand ami des Indiens s’accuse en elïel d’avoir conseillé de transporter des nègres d’.^frique en Amérique, pour les substituer aux indigènes du Nouveau Alonde dans le travail des plantalions et des mines : « Il n’avait pas assez examiné, avoue-t-il, comment les nègres étaient tirés de leur patrie, et il avait trop facilement préounié la légitimité du tralic d’hommes qui se faisait sous le palronagedes rois de Portugal. Après qu’il eut appris combien injustement ces malheureux sont enlevés de leur pays et réduits en servitude, il n’aurait plus donné pareil conseil pour rien au monde, jt (IJistoria Je las Iiuliax. Madrid, 1876.)

Il n était pas facile, même aux missionnaires d’Afrique, d’obtenir des renseignements précis et dignes de foi sur la provenance de la marchandise humaine, amenée de l’intérieur dans les ports, ni sur la manière dont elle était acquise. Les trali([uanls avaient grand soin de faire leurs opérations là où ils n’avaient pas de témoins gênants à redouter. Cependant les missionnaires n’ont pas été lents à faire tout le possible pour s’éclairer. C’est Sainl-Paul-de Loanda, chef-lieu de la colonie portugaise d’Angola (Afrique sud-occidentale), qui a été toujours l’entrepùl principal de ce tralic. Les premiers missionnaires d’Angola y arrivèrent avec le premier gouverneur portugais, Paul Dias, en iSGa : ils étaient quatre Jésuites, dont deux prêtres et deux Frères. L’un deux, le P. Garcia Simoens, dans une lettre du 7 novembre iSjô, évalue à environ 300 le nombre des Portugais qu’il y avait alors dans le pays, mais à 12.000 le chiffre des esclaves noirs qui étaient exportés chaque année. Ce missionnaire nous rapporte en même temps ce qu’il a pu apprendre, en cherchant à savoir comment toute celle foule avait perdu sa liberté. « Je trouve, écrit-il, que presque toute la nation est esclave du roi nègre, soit à la suite de révoltes, soit en punition de quelque crime contre lequel leurs lois édictent la mort, comme l’adultère, les vols. Dans ces cas, au lieu de mettre à mort les coupables, on les vend. D’ailleurs, on allirme comme chose certaine que, s’il était prouvé qu’un homme aurait acheté ou vendu une personne libre, il serait puni de mort ; et l’on ajoute que les esclaves qui ne le sont pas devenus régulièrement,

réclament aussitôt et ne se laissent pas vendre. » (lielaràes de Angola. Ms. de la Bibliothèque nationale Paris, F. Portug. 8.)

Supposé ces allégations vraies, les missionnaires ne pouvaient « priiiri condamner tout ce commerce : plusieurs, beaucoup |)eut-ctre de ces noirs, vendus par leurs rois ou leurs chefs, étaient privés légalement de leur liberté et pouvaientctre légitimement achetés et revendus par les Européens. Mais combien étaient, de fait, dans ce cas, parmi ces milliers de malheureux ?

II. Action directe des Missionnaires.— Sur cette question, l’expérience ne larda guère à apporter aux missionnaires des réponses peu favorables. Ils n’ont pas manqué de faire aussitôt ce qu’ont fait, toujours et partout, les apôtres des indigènes, en face de la violation des droits de leurs clients. Ils ont employé toute leur influence auprès des autorités, et toute l’éloquence de leurs admonestations auprès des particuliers, p<jur arrêter les injustices et en procurer la réparation. Leurs efforts n’ont pas été vains : ils ont réussi à faire rendre la liberté à beaucoup de nègres injustement capturés, et, grâce à eux, un grand nombre d’autres ne l’ont jamais perdue.

Il leur encoiitait cher, souvent, de lutter contre la convoitise des trafiquants et les hauts protecteurs qu’ils trouvaient parfois Le P. Jérôme Vogado, en I 65a, se vit expulser de la colonie par le gouverneur irrité des réclamations de son zèle contre les guerres injustes, dont le seul but était de faire des prisonniers et des esclaves. (A. Franco, Synopsis Annaliiim Societalis Jesu in Liisitaiiia, Lisbonne, l’jaô)

Un autre grand marché d’esclaves était dans l’Ile de Santiago, vis-à-vis du cap Vert. C’est de la Guinée qu’on y amenait, également, par milliers, les noirs qu’on relransporlait en Amérique. Ici encore, ces infortunés, comme ceux de Loanda, trouvaient des Pères, non seulement pour s’occuper de leurs âmes, mais aussi pour défendre leurs droits d’hommes. Par eux, ils obtenaient souvent desjuges, qui, après enquête, prononçaient leur libération. C’est ce qu’attestent notamment les biographes du P. Balthazar Barreira (Franco, Iniai^em de viriud ern iioviciado de Coimbra, II ; Juventius, Historiæ Societalis Jesii, pars V, t. II, p. 690). Là encore, comme dans l’Angola, c’étaient des Jésuiles portugais qui s’efforçaient, ne pouvant la supprimer, d’amender et de réduire le plus possible la traite, si fâcheusement inaugurée par leurs compatriotes.

Tous les missionnaires d’Afrique ont efficacement conlribué à la suppression de la traite noire, ne fût-ce que par leurs travaux pour la conversion des indigènes. Ils réussissaient en effet, généralement, à protéger la liberté de leurs néophytes et de leurs catécliumcnes. Et surtout, en gagnant au christianisme les chefs noirs, ils enlevaient par là même aux trafiquants d’esclaves leurs agents et leurs fournisseurs principaux..Vussi, parlant du Congo, le P. Molina, vers la fin du xvi= siècle, pouvail-il écrire : « De ce royaume, parce qu’il ne renferme que des chrétiens, on n’exporte point d’esclaves, et les crimes n’y sont pas punis de l’esclavage. »

Malheureusement, l’apostolat des missionnaires ne put s’étendre assez pour exercer partout cette bienfaisante influence. La raison n’en est point dans un défaut de zèle chez les apôlres, mais dans les dillicultés spéciales, contre lesquelles ils avaient à lutter dans ces pays noirs. Il y en a dont ni dévouement ni abnégation nesaïu’aient toujours trionqjher. Telles sont celles qui naissent du climat. L’Afrique tropicale, encore aujourd’hui si peu hospitalière aux Européens, a été particulièrement meurtrière aux missionnaires d’autrefois, qui ne connaissaient pas