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MARIAGE ET DIVORCE

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l’homme, qui est d’être sociable. Quelques animaux peuvent plus ou moins se passer de société, parce qu’ils sont nierveilleusementservis par leur instinct, et qu’ils } sont lixés sans variation considérable. Pour une raison toute contraire, l’homme ne le peut pas. Les diverses formes de société sont, pour lui, autant de conditions nécessaires de perfectionnement. Mais, par-dessus toutes les autres, la forme de la société familiale lui est nécessaire. Etre dans la famille, ou ne pas être du tout, ou du moins n’avoir que la plus précaire et la plus dégradée des existences, telle est la question qui se pose pour l’enfant. La nature ayant soumis à ces conditions nécessaires la vie humaine, c’était exiger la vie familiale comme une loi nécessaire de la fie.

Ce n’est pas seulement au regard de la propagation de l’espèce <|ue l’homme et la femme sont deux êtres essentiellement complémentaires l’un de l’autre et, par conséquent, exigent la vie en société. La conclusion est la même, et presque aussi impérieus<s si on considère les nécessités elles intérêts des individus qui sont engagés dans l’union conjugale. A ce point de vue encore, homme et femme sont, chacun, des êtres incomplets et naturellement destinés à se compléter l’un l’autre. Us ont à s’assurer les mille soins et secours mutuels, sans lesquels l’existence la plus simplifiée est douloureusement mutilée. L’  « adjuloriiun simile sihi » de la Genèse est, dans les conditions normales, une nécessité et une loi de la nature. Donc, de ce chef encore, l’union de l’homme et de la femme a un caractère de société basé sur la nature elle-même.

b) Thèse évolutionnlsto. — A cette conception, qui l’ait jaillir l’institution du mariage des exigences les plus rigoureuses de la vie humaine et des harmonies psychologiques les plus profondes, qu’oppose l’évolutionnisme ?

Voici en gros sa thèse.

Il y a eu plusieurs stades dans les rapi)orts entre les deux sexes. Le premier est celui de la promiscuité : chaque homme s’unit librement à toutes les femmes, et réciproquement. C’est l’état de nature dans toute sa simplicité. Plus tard s’introduira le mariage par en/ècemen/ ; après lui, le mariage par achat.

Les preuves ? D’abord une hypothèse : les sauvages sont des hommes inférieurs, qui représentent à peu près l’homme primitif, celui qui descend immédiate ment de l’animal, du singe. L’histoire de l’humanité est celle de son développement, depuis cet état primitif jusqu’à l’état de civilisation actuelle. Or mœurs et institutions vont de pair avec l’état de l’industrie, chez les sauvages européens de jadis, comme chez les sauvages africains ou océaniens d’aujourd’hui. On devine, d’après cette théorie, ce que pouvait être l’union conjugale au temps où les hommes se servaient d’armes et d’outils fabriqués avec des pierres taillées ou polies. Telle est notamment la théorie fondamentale de John Lobbock, The origin of civilisation. ( Voir Fonseohivk, Mariage et Union libre, p. 8 sqq.)

Cette hypothèse, pour le dire tout de suite, peut être séduisante ; elle a le grave toi-t d’être gratuite. On connaît telles peuplades du centre de l’Afrique, industriellement très inférieures aux Européens, où les mœurs familiales sont très supérieures à celles de certains milieux très modernes et très raffinés. Chose étrange d’ailleurs, D.VRWIN lui-même, tout en s’inclinant devant les allirmations de Mac-Lennon, Morgan et Lubbock, fait des réserves qui détruisent en partie ses concessions. Il a observé les animaux les plus voisins de l’homme — et

l’homme, on le sait, pour lui « descend certainement de qielque ancêtre simien » —, il a constaté que plusieurs espèces de singes sont monogames, d’autres polygames. Mais il croit pouvoir conclure « (]u’à l’état de nature la [iromiscuilé est chose extrêmement improbable ». Cf. FoNSKonivE, Op.c, p. 20.

Outre les hypothèses, on prétend apporter encore des faits. On invoque en particulier des textes d’Hérodote, de Strabon, de Solinus. Il n’y a pas à y insister beaucoup. Il serait trop aisé de discuter la portée et le sens de tel texte, ou même l’authenticité des faits rapportés. De ce que, par exemple, chaque enfant, chez les Massagètes, donne le nom de « père » à tout homme de la tribu de la génération antérieure, et celui de « frère » à tout enfant de sa génération, on ne peut guère plus conclure à une paternité incertaine à cause de la promiscuité, que l’on ne peut conclure à une vraie parenté parce que, pour les enfants de certains milieux romains, tout ecclésiastique s’appelle familièrement « oncle prêtre ».

Au reste, on prétend avoir mieux à présenter. Puisqu’il existe encore de vrais sauvages en Afrique et ailleurs, il n’y a qu’à observer. Et ainsi, l’on cite, comme vivant dans l’état de promiscuité, certains indigènes des iles de la Reine-Charlotte, de la Californie, etc. (Voir WnsTnaMARCK, op. c, p..S3.) Malheureusement, comme le remarque le même Weslermarck (cf. Fonseguive, op. c, p. aa, 28), ces récits sont sujets à caution, viciés qu’ils sont par le caractère superficiel ou systématique des observalions. Une étude objective et impartiale des mœurs des sauvages de nos jours, dans les régions les plus variées, amène à cette conclusion que la promiscuité, si elle existe, est une exception et non pas une règle, et qu’elle constitue i)lutôt un stade de corruption et de dégénérescence qu’un état normal et primitif ; que, au contraire, dans un très grand noml )re lie peuplades sauvages, la sévérité des ma’urs, en matière de fautes ou de peines, dépasse de beaucoup ce que l’on trouve dans nos pays civilisés. L’énumération très longue et très variée, que nous fournit Westermarck (p. 61 et sqii.), apporte un argument décisif. Et l’on ne peut plus avoir de doute, quand on lit ce témoignage de Mgr Lk Roy, qui pendant un quart de siècle a vécu au milieu des races Bantoues, primitives s’il en est, de l’Afrique australe, et qui a pu mener son enquête de 1877 a nos jours, par lui-même ou par des missionnaires, du Pacifique à l’Atlantique : « Ce qui est certain, c’est que nulle part en Afiique nous ne voyons aujourd’hui trace de cette promiscuité — excepte dans les grandes steppes des zones orientales et australes. .. chez les troupeaux d’antilopes. Quant aux hommes, plus on descend vers les populations d’aspect général plus primitif, comme les Négrilles et les San, plus la famille y apparaît précisément comme la base fondamentale, nécessaire et indiscutée, delà société élémentaire, n (La Religion des primitifs, p. gb, Paris, lyog.)

On appuie encore ces théories sur certains usages qui, s’ils ne constituent pas une vraie promiscuité, en seraient du moins des souvenirs et la supposeraient.

Ainsi le matriarcat. Chez certaines peuplades, soit anciennes (par exemple, les Lyciens, d’après Hérodote), soit modernes, le véritable chef de la famille est la mère. Elle donne son nom aux enfants ; par elle s’établissent les filiations : ce qui ne peut s’expliquer, nous dit-on, que parl’incertitude delà paternité elle-même, résultant de la promiscuité.

Le fait du matriarcatexiste, mais beaucoup moins général que ne l’aflirment certains théoriciens. Il existe avec des atténuations qui ne lui enlèvent pas