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MARIAGE ET DIVORCE

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naturel et la manifestation lapins caractéristique est le rapprochement sexuel. Il ne faut rien moins, pour expriuier l’intimité de cette union, que ces paroles réalistes de l’Ecriture sainte : « Us sont deux dans une même cbair. » (Gen.. ii, 24.)

Cette sorte d’unité et d’identité, réalisée dans Vunion sexuelle, semble déjà constituer une présomption de stabilité, et non pas un simple contact passager et sans retour.

Or ce n’est là que le côté matériel et physiologique de cette union. L’élément psychnlof ; iqæ et a/f’eclif atteint bien plus intimement les deux êtres, ainsi unis, et mérite beaucoup plus d’être pris en considération. Ames et cœurs, en effet, se donnent et se fondent, dans ce rapprocliement, de toute la force de leur liberté et de leurs affections passionnées. Or cet élément alVeclif, que l’on trouve dans les natures les plus primitives, qui d’ailleurs pousse à l’union et se fortilie par elle, a pour corollaires nécessaires l’exclusivisme et la jalousie. C’est l’avis de Darwin, du D’Letourneau, de Westermarck. « Selon un mythe des thiinkets, dit ce dernier, la jalousie de l’homme serait plus ancienne que le monde lui-même. Il y a eu un temps, disent-ils, où les hommes allaient tâtonnant dans les ténèbres à la recherche du monde. Alors vivait un thlinket, qui avait une femme et une sœur, et il était si jaloux de sa femme qu’il tua tous les enfants de sa sœur, parce que ceux-ci la regardaient. » (Westermarck, Origine du mariage dans l’espèce liiiniaine, trad. fr., chap. vi, p. 116.) Mais cette volonté constante et réciproque d’être seul à posséder l’être aimé, ne renferme-t-elle pas tout ce qu’il faut pour établir une union stable, c’est-à-dire une société ? Ainsi l’amour, même réduit à ce côté inférieur, suffirait à faire révoquer en doute le fait, présenté comme conforme à la nature, de la promiscuité primitive. Le détachement et l’indifférence des unions volages ne répondent pas à la psychologie native des âmes simples. Ils naissent plutôt d’une série prolongée d’abus, chez des êtres blasés par la satiété ou pervertis par des idées fausses.

Mais cette inclination, ainsi analysée, ne reçoit qu’une interprétation très incomplète. L’union des sexes tire son caractère le plus essentiel d’un fait quien est le terme naturel, la fécondité ou la production d’un nouvel être vivant. Sans doute, la force qui rapproche les sexes est l’appétit de la jouissance que deux êtres éprouvent à s’unir. Mais cet appétit n’est que l’aspect immédiatement apparent à la conscience, le côté superûciel de l’instinct sexuel. Il est un moyen, au service de la nature, pour obtenir sa lin primordiale ; c’est l’amorce présentée à l’individu pour l’attirer à un acte dont le fruit, intiniment supérieur à une satisfaction égoïste et passagère, est la propagation indéfinie de la race humaine.

Et les lois mêmes auxquelles la nature a soumis cette propagation, montrent encore que, dans son plan, l’union de l’homme et de la femme doit être stable. L’un et l’autre, de par un don merveilleux de la nature, peuvent devenir principes de vie. Mais, de par le même plan, ils sont deux principes incomplets qui, en s’unissant, se complètent, mettent en commun leurs forces et constituent un principe unique suffisant à produire un effet commun, l’enfant. Il est vrai, l’acte même de l’union créatrice passe, mais le fruit demeure. Or l’enfant, c’est, dans l’unité de sa vie, la fusion et le prolongement des deux vies qui se sont unies pour l’engendrer. L’enfant, c’est une substance unique où vit, uni et fondu, quelque chose de la substance du père et de lamère. Dans la plus grande force et la plus saisissante vérité des termes, l’enfant est le fruit où les parents, après leur union passagère, continuent de vivre unis et fondus. Or la

persévérance de cette fusion de leurs deux vies, dans l’unité de leur fruit commun, n’appelle-t-elle pas la persévérance de leurMH(0 « entre eux et hors de leur fruit ? Qu’ils soient un en eux-mêmes comme dans leur enfant, qu’ils soient constitués en société, cela ne parait-il pas tout naturel ?

L’enfant est donc le symbole incarné et vivant de cette société créée entre les parents par lviiaturedes relations sexuelles. Mais à ce symbole correspond, chez ces mêmes parents, un étal d’âme en harmonie avec les réalités physiologiques. Si aveugle qu’apparaisse l’inclination sexuelle dans ses manifestations, il y a cependant dans son tréfonds une idée, une loi naturelle qui la pousse et qui la guide, un sentiment plus ou moins conscient qui la met en branle et qui éclate à la naissance de l’enfant : l’idée de la persistance de la vie propre dans de nouveaux êtres qui la prolongent, le sentiment de la paternité et de la maternité. L’acte générateur lie le cœur et toute l’âme des parents à leur enfant, dans lequel cliacund’eux trouve la continuation de sa vie même. Il constitue ainsi une société de chacun d’eux avec leur enfant : en lui, le père et la mère se retrouvent perpétuellement, le cœur et l’âme associés pour l’élever, comme ils le furent pour l’engendrer ; s’unissant et s’aidant pour leur grande œuvre, pour se perpétuer dans une vie qui fond loirs deux vies.

Pour cette tâche, un même sentiment les réunit ; et il se trouve cpie ce sentiment est, en même temps, une loi impérieuse elXexn : devoir le plus grave. En mettant au monde cet être incapable de se suffire une heure, ils ont pris des responsabilités, contracté l’obligation de pourvoir à toutes ses nécessités. Et ainsi, au même titre et au même degré, une nécessité morale enchaîne la vie du père et de la mère, tous deux auteurs de cet être, à la vie de leur enfant, pour lui assurer l’existence physique et l’éducation intellectuelle et morale. Et parce que l’accomplissement de ce devoir exige le concours harmonieux des deux, le père et la mère sont, à cause de leur enfant, enchaînés l’un à l’autre. Ils ne sont pas libres de prendre un engagement passager. De par la nature même des actes qui en sont l’objet, cet engagement ne peut être que durable. Il estconstitutif d’une société.

Une remarque s’impose ici, pour préciser la portée de nos arguments et des conclusions qui en découlent.

Dire que la société est exigée par la nature et les suites naturelles des relations sexuelles, c’est affirmer que la raison d’être de la société familiale ne dépend pas d’une question de fait, de la naissance réelle d’un enfant, mais du droit et du devoir que fondent les lois essentielles de ces relations et les suites normales que ces relations sont, d’ellesmêmes, aptes à produire. L’exigence qu’elles entraînent découle de leur « n^Hre, commune à tous les cas et immuable, et non point précisément des nécessités créées, dans tel ou tel cas particulier, par des circonstances accidentelles et variables. C’est im premier argument, porté en faveur de l’indissolubilité du mariage. Quand nous parlons de société, en effet, nous opposons cette idée à celled’union libre et passagère, pour en faire le synonyme d’union durable, d’une durée indélinie.

De la sorte, la société conjugale apparaît basée sur les instincts les plus profonds, les nécessités les plus inéluctables de la nature humaine. La promiscuité, au contraire, serait en contradiction flagrante avec les lois fondamentales de la vie. Elle a pour elle de favoriser le caprice, c’est-à-dire le désordre et l’anarchie. Mais elle tend, par contre, en une matière de capitale importance, la propagation de l’espèce, à nier le caractère le plus essentiel de