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MYSTÈRES PAÏENS (LES) ET SAINT PAUL

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dit-on, nous rencontrons cette même conception dans Paul. Il nous dit, en effet, que le Christ vit en lui, qu’il est dans le Christ, qu’il a été crucilié avec le Christ, qu’il a été baptisé en sa mort, et qu’il est ressuscité avec lui. Il nous parle de ses visions, de ses révélations, de son ascension au troisième ciel. De ces passages, il ressort qu’il vivait en intime union avec le Christ, c’est-à-dire avec Dieu, et que c’est de lui directement qu’il avait reçu la vérité.

Il n’est nullement nécessaire d’avoir recours à la littérature des religions de mystères pour comprendre cet état et cette mentalité mystiques del’Apôtre ; il suffît de nous reporter à l’Ancien Testament, où nous trouverons des idées et des états analogues. Les prophètes, eux aussi, étaient directement instruits par Dieu et avaient des visions extatiques ; Dieu vivait en eux et parlait par leur bouche : « Le Seigneur, Yahvé, a parlé », dit Amos, iii, 8. « l’useras comme ma bouche », dit le Seigneur à Jérémie, XV, ig. Isaïe donne ses prophéties comme la parole de Yahvé, ! , 2. « Dieu est avec nous, viii, lO, ii, car ainsi m’a parlé Yahvé, quand sa main me saisit. » Dieu promet à Osée de le liancer à lui pour toujours et il connaîtra Yahvé, ii, ig, 20. Le psalmisle, Li, 13, sentait en lui même la présence de Dieu, lorsqu’il s'écriait : « Ne me rejette pas loin de ta face, ne me retire pas ton Esprit saint », ou encore, lxxiii, 28, 24 : « Je serai à jamais avec toi : Tu m’as saisi la main droite ; par ton conseil tu me conduiras et lu me recevras ensuite dans ta gloire. » Mais c’est surtout dans un des derniers prophètes, EzécUiel, que nous allons retrouver des actes et des paroles qui nous rappelleront des passages des épîtres pauliniennes. Comme Paul, il a eu des visions. Pour lui, les cieux s’ouvrirent et il vit des visions de Dieu, I, I ; il aperçut l’image de la gloire de Yahvé. A cette vue, il tomba sur sa face et il entendit une voix qui lui parlait, et l’Esprit entra en lui et il entendit celui qui lui parlait, i, 28-n, 2. Yahvé lui dit : (( Fils de l’homme, toutes les paroles que je dirai, reçois-les dans ton cœur et écoute-les de tes oreilles », III, 10 et l’Esprit l’enleva, iii, 12. Et plus loin, il raconte qu’il vil encore la gloire de Yahvé et que l’Esprit entra en lui, iii, 28, 2^. La main du Seigneur, de Yahvé, tomba sur lui… l’Esprit l’enlera entre le ciel et la terre, viii, 1, 3 ; xi, i. Et l’Esprit l’enleva et l’emmena en vision auprès des captifs, en vision dans l’Esiirit de Dieu. De tous ces passages, que nous pourrions multiplier, il résulte qu’Ezéchiel reçut de l’Esprit de Yahvé la connaissance de tout ce qu’il devait enseigner au peuple d’Israël et qu'à diverses reprises il vil la gloire de Yahvé. Nous trouvons là, beaucoup mieux que dans les religions de mystères, les idées de Paul et l’idée d’un enseignement donné directement par Dieu. Observons cependant que, pour lui, c'était un fait d’expérience et qu’il n’avait pas à chercher ailleurs qu’en lui-même pour en être convaincu. Notre démonstration n’a donc de valeur que contre les critiiques qui soutiennent que, dans cette affirmation, l’Apôtre dépendait des doctrines helléniques de son temps. Reconnaissons néanmoins que son enseignement sur l’Esprit de Dieu a pu lui être suggéré par les nombreux passages où le prophète parle de l’Esprit de Y’alivé.

Et si ma.intenant nous étudions l’apocalyptique juive, de peu antérieure à Paul, et même contemporaine dans quelques-unes de ses parties, nous trouvons encore cette idée de l’Esprit de Dieu instruisant le voyant et parlant par sa bouche. Esdras prend une coupe, pleine d’une eau brillante comme du feu, et quand il eut bu cette eau (l’Esprit), la

connaissance coula dans son cœur ; sa poitrine se dilata de sagesse, son âme conserva le souvenir, IV Esdrcis, xiv, 89, ^0. Le voyant était préparé à cette extase mystique par les pratiques ascétiques. Le Seigneur dit à Baruch : « Va et purilie-toi pendant sept jours, ne mange pas de jiain et ne bois que de l’eau et ne parle à personne. Et ensuite viens à cette place et je me révélerai à toi et je t’instruirai du vrai et je te donnerai le commandementen ce qui regarde la méthode des temps. » Apocalypse de Baruch, xx, 5, 6. Cf. IV JCsdras, ix, 24, 26.

Nous trouvons aussi, dans la littérature apocalyptique, mentionnée à diverses reprises l’ascension au ciel de l'àme du voyant. « Et en ces jours, dit IIknoch, XXXIX, 3, des nuages m’enlevèrent et un tourbillon me transporta hors de la terre et me déposa à la lin des cieux. Et là je vis une autre vision : les demeures des saints et les lieux de repos des justes. » Dans le Livre des.S’ecre/5 (<'//énot/i, xxi, 5, Ilénoch est enlevé par l’ange Gabriel et placé devant la face du Seigneur ; il tomba aux pieds du Seigneur et l’adora et le Seigneur lui parla, x.xii, 4 ; sur l’ordre du Seigneur, Gabriel lui enleva son vêtement de la terre et l’oignit de l’huile sainte et le revêtit du vêtement de la gloire du Seigneur et il devint comme un des bienheureux.

On remarquera qu’en aucun de ces passages le prophète ou le voyant, admis en la présence de Dieu, n’est absorbé en Dieu ; il n’est jamais parlé d’une union mystique avec Dieu qui le déiŒ. C’est là une différence profonde avec les religions de mystères, dans lesquelles l’initié est, au sens strict, déilié ; différence que nous retrouverons dans les épîtres pauliniennes : l’union avec Dieu par la grâce n’implique pas la déilication du croyant.

Passons à un autre ordre d’idées. D’après LoiSY (L’Evangile de Paul, li. II. l..Ii., t. V, N. S., p. 187 ss. Paris, 1914), c’est dans la théologie et la pratique de certains mystères païens que Paul, rompant avec les idées nationales des Juifs et même avec celle de Jésus, pour lesquels le salut aurait été réservé aux seuls Israélites, avait trouvé son principe de la participation de tous les peuples, Juifs et Gentils, au salut par la foi au Christ rédempteur. Lorsque Paul, dit-il, écrit aux Koinains, iii, 29, 30 : Dieu n’est-il que (le dieu) des Juifs ? Ne l’est-il pas aussi des Gentils ? Oui, il l’est aussi des Gentils ; car il y a un seul Dieu, qui justiliera le circoncis parla foi et par la foi l’incirconcis », cf. Gal., iii, 26 ; Rom., i, 16, etc. Qu’il s’en soit ou non aperçu, ce point de vue est la négation même du judaïsme ; et ce n’est pas le point de vue de l’Evangile…, c’est le point de vue d’Isis, détaillant à Lucius ses titres et son pouvoir(^ ; 7. cit., p. 145).

En opposition à l’affirmation de Loisy, nous soutenons que cet universalisme du salut, cette réunion de tous les peuples en un seul devant Dieu, avait été entrevue par les prophètes d’Israël, et que, par conséquent, c’est dans l’Ancien Testament que Sdint Paul a puisé cette idée, dont il a développé ensuite toutes les conséquences. « L’Eternel, dit Isaïe, xx>', 6, prépare à tous les peuples un festin succulent » ; les peuples, II, 3, se rendront en foule à la montagne de l’Eternel. Enfln, Dieu dit à son Serviteur : « C’est peu que tu sois mon Serviteur, pour relever les tribus de Jacob et pour ramener les restes d’Israël ; je t'établis pour être la lumière des nations, pour porter mon salut jusqu’aux extrémités de la terre », Is., XLix, 6. Cf. LUI, 15. Pour Habacuc, 11, 14, la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l’Eternel.

Mais c’est surtout dans les enseignements du Seigneur que l’Apôtre des nations a puisé sa doctrine