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MUSIQUE RELIGIEUSE

956’(lanB la musique liturgique, à la condition que ce rang ne soit pas le premier. Chacun sait quel honneur a l’ait, depuis des siècles, à l’Eglise, et quels honneurs en a reçus le chant que souvent on nomme alla Patesiriria, du nom tle l’un des plus fameux parmi les maîtres qui le portèrent à la perfection. L’histoire de la polyphonie, de beaucoup moins ancienne que celle du plain-chaiit, suit en outre une direction opposée. Tandis que la raonodie grégorienne partit de Rome à la conquête de l’Europe du Nord (Angleterre, France), c’est du Nord au contraire que le nouveau style de la musique d’église descendit en Italie. Les origines d’un art qui devait avoir une si glorieuse fortune se trouvent dans les formes primitives et presque barbares encore de la polyphonie vocale, lurgatnim ou diaphonie, et le dédiant. Le* plus récents historiens allirment que ces formes, dès le commencement, furent nôtres. Elles auraient pris naissance chez nous, et non seulement en France, mais au cœur de Paris, dans le cloître encore inachevé de Notre-Dame, vers l’an 1200 (voir sur ce sujet : 1° M. A. Gastouk : l.a musique d’église ; 2" M. l’abbé Villktard : L Oflice de Pierre de Corbeil, Paris, chez Picard, 1907). Curieux et noble exemple de l’échange, ou du retour que tout à l’heure nous signalions. La France autrefois, la France de Ghar^ lemagne, avait reçu de Rome le chant grégorien ; maintenant elle produit les premiers éléments d’un autre chant, de cette polyphonie dont Rome, après trois cents ans, fera ses délices et consacrera la gloire. Un dessein mystérieux semble avoir ainsi partagé l’honneur de créer l’art lilurgi((ue entre l’Eglise et notre patrie, et, jusque dans l’ordre esthétique, notre plus vieille histoire nous permet, que dis-je, nous commande de nous reconnaître et de nous déclaipr à la fois, avec le même orgueil, Romains et Français.

Par sa nature même, comi)osée et collective, la polj’phonie courait, plus que l’unisson grégorien, le risque de se compliquer à l’excès. Mainte fois elle tomba dans ce danger et faillit y périr. La célèbre décrétale de Jean XXII fut édictée en partie contre des abus de ce genre. I^u xiV siècle au xvi’, on connaît mal, et seulement par fragments, par éclats, dispersés et sans suite, l’histoire de la composition musicale. C’est à la lin du xv" siècle que l’art polyphonique nous apparaît pleinement lui-même, constitué comme un organisme harmonieux et vivant. De cette constitution, les musiciens du Nord ont été les premiers auteurs. Pendant les xiv" et xv" siècles, il n’est pas jusqu’aux chapelles des papes — voire des antipapes — qui ne soient composées pres(pie exclusivement de musiciens français (voir sur cette période le Pnlestrina de Michel Bhenrt, Paris, Alcan, 1906). Mais à la liii, le progrès, ou plutôt la [lerfection de l’art polvphonique se partage. Avec les Gallo-Belges, les Italiens, les Espagnols y concourent et le grand siècle, le xvi", est également celui d’un Roland de Lassus, d’un Palbsthina et d’un Victoria.

Alors, et pour longtemps, usurpant les droits consacrés de la monodie grégorienne, la polj’phonie règne seule. Mais avec le temps un jour arrive où, de même qu’elle n’épargna point, elle n’est pas non plus épargnée. « Le xvin’siècle, surtout en sa seconde moitié, et la première moitié du xix* ont été partout l’époque la plus déplorable et la plus néfaste en fait de musique d’église. » (A. Gastoui ;  ; La musique d’église) Il n’est rien en elîet, ni l’oubli, ni l’outrage, que, sous l’une et l’autre de ses deux formes par excellence, polyphonie vocale et plainchant, la musique d’église alors n’ait souffert. L’esprit du monde et du théâtre l’envahissait, la corrom pait tout entière. Les paroles citées plus haut de Lamennais recevaient leur entier et funeste accomplissement. Cependant, pour la l)olyphonie du xvi" siècle comme pour le chant grégorien son allié, son frère, l’heure des justes réparations ne pouvait pas ne pas venir. Elle vint au xix" siècle, annoncée de loin en loin par de faibles signes : les leçons d’un CnoRON ou d’un Nikoeriikykk, les livres d’ua Fklix Clément ou d’un d’Oktigue. En France, en Allemagne, tantôt une société se créait, tantôt une publication était entreprise. De grands noms, de grandes œuvres du jiassé revenaient au jour. Enlin

— il y a quelque trente ans à peine — un Charles BoKDBS, fondant la Société des Chanteurs de Saint-Genuiis, nous découvrait l’immense horizon de la musique alla Palestrina. L’initiation qu’il nous conférait achevait pour nous, chez nous, l’clfet de la restauration bénédictfiie, et la lin du siècle voyait se rétablir et se rejoindre ainsi les deux principes, les deux modes supérieurs du chant vraiment religieux. Le Motu proprio de Pie X les a constitués l’un et l’autre les seuls maîtres du sanctuaire. Maîtres inégaux, il est vrai, mais leur inégalité, moins forte que leur alliance, ne risque en aucune façon de troubler leur accord et leur concours. Après avoir conlirmé, pour des raisons nombreuses et profondes, la suprématie liturgique duchant grégorien, le Molu proprin^ passant à la polyphonie du xvi" siècle, et plus particulièrement à celle de l’école romaine, en délinil, dans les termes que voici, la valeur et le rôle, ouïe rang : n La polyphonie cliissique se rapporte parfaitement bien à cette forme par excellence de la musique d’église qu’est léchant grégorien. Par cette raison, elle a mérité d’être associée au chant grégorien dans les cérémonies les plus solennelles de l’Eglise, comme celles de la chapelle pontificale. Il faut donc la restituer elle aussi, largement, dans les ollices ecclésiastiques. »

De ces deux genres de musique, si le premier possède « in grado sonimo » (au suprême degré) le cacactère vraiment religieux, l’autre en est doué encore à un degréexcellent, « in ollimo grado ». Ainsi la hiérarchie n’est pas douteuse, mais elle n’a rien non plus de rigoureux, et l’expresse volonté de Pie X n’est pas d’opposer les deux types, mais de les distinguer légèrement et de les réunir.

Aussi bien, ils diffèrent sans doute par la forme ou par la surface ; au fond et par le sentiment ils se ressemblent et se rejoignent. Mainte beauté, mainte vertu leur est commune. Moins ancien que son rival, ou plutôt que son maître, l’art polyphonique a cependant pour lui déjà quelques siècles de gloire, et d’une gloire où toutes les gloires sont mêlées : celle des grands hommes qui l’ont fondé, soutenu, et celle des chefs-d’œuvre qu’il a produits ; celle de l’Eglise romaine, qui l’a protégé, dans quelle ville et dans quels sanctuaires ! celle enfin de tant de génies, même profanes, qui ne dédaignèrent pas ses leçons : depuis Mozart enfant, dont l’un des premiers miracles fut de retenir et d’emporter en son cœur le secret encore inviolé des harmonies sixtines, jusqu’à Wagnpr vieilli, qui, dans son dernier chefd’œuvre, a fait planer sur le cristal rougi du sang divin les divines consonances de Palestrina.

Tout justilje, tel que l’a réglé le Moiu proprio de 1903, le rapport entre les deux modes sonores de l’art vraiment liturgi(iue. Le plus pur de la substance même du plain-chant, une mélodie, un thème, n’est-il pas quelquefois entré, comme l’élément ou la cellule vitale, dans l’organisme complexe de la polyphonie palestrinienne ? S’il est vrai que celle-ci nous rassemble moins étroitement que l’unisson grégorien, elle sait pourtant nous rapprocher encore.