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MORISQUES (EXPULSION DES)

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pour les expulser ; le roi, en effet, les chassa de ses domaines, mais les seigneurs ne consentirent pas à se priver de leurs services (Gaspar Escolano, Decada de la historia de la insigne y coronada ciudad yreynode Valencia, i(>i, eo. 1404-1426).

La capitulation de Grenade (26 novembre 149’) ne différait pas des autres Cartas pueblas — c’est le nom qu’on donnait aux chartes concédées à des communautés maures — et stipulait en faveur des vaincus une large autonomie religieuse et civile. Dès l’année suivante, les Maures se soulevèrent une première ibis ; les rois catholiques les obligèrent à se concentrer dans les deux faubourgs de Grenade, Antequerula au sud et l’Albaycin au nord. Le nouvel archevêque Hernando de Talavera se mit à travailler avec un zèle discret à la conversion de la population musulmane, et ses premiers succès furent merveilleux. Toutefois il faut l’avouer, ces succès ne dépassaient guère l’enceinte de Grenade ; les monts Alpujarras étaient infestés de bandes de brigands maures, que des pirates africains venaient souvent renforcer et qui poussaient leurs incursions jusqu’au cœur même de la ville. La pacilication du royaume de Grenade devint une question à l’ordre du jour, et deux partis se formèrent dans les conseils des rois catholiques : le parti de la temporisation, qui voulait tout attendre du temps et de la douceur, et le parti de l’action, qui réclamait l’abolition du traité de capitulation.

A la tête du premier s était placé Thomas de Torquemada, grand inquisiteur de Castille et d’Aragon. L’autorité de ce personnage lit d’abord pencher la balance en faveur des moyens paciliques (Mabmol Carvajal, Historia de la rehelion y castigo de los Moriscos de Granada, 2= édit., Madrid, ’797’t. I, p- 1 > > ; — Jayme Blkda, Coronica de los Moros de Espaiia, Valence, 1618, p. 640). Toutefois les rois résolurent d’adjoindre à l’archevêque de Grenade le cardinal Ximénès, archevêque de’Tolède, pour activer l’œuvre de la conversion des Morisques. Ane considérer que les qualités éminentes du cardinal, le choix semblait heureux ; en réalité, il réduisit à néant tous les efforts, toutes les espérances du parti de la temporisation.

El cela exaltado y la férrea condicion de Jimenes de Cisneros airopellaron las cosas, écrit l’historien catholique Menendez Pblayo (Historia de los hétérodoxes espanoles, t. II, p. 628), et ce jugement concorde parfaitement avec celui que porte Vicente de La Fue.nte : u Les moyens dont Ximénès se servit ne furent pas ceux que la religion recommande le plus, et ne contribuent pas beaucoup à la gloire du célèbre franciscain. » (Historia eclesiastica de Espana, 2’édit., t. V, p. 391.) — Une émeute furieuse se déchaîna dans les rues de Grenade ; les montagnards des Alpujarras se révoltèrent, et, comme l’insurrection est contagieuse, le mouvement se propagea à travers l’Andalousie dans plusieurs centres de population maure. Naturellement l’insurrection fut étouffée, non sans effusion de sang ni sans crimes commis de part et d’autre. Les Maures durent recevoir le baptême ou émigrer en Afrique, et enlin, au mois de septembre 1500, les capitulations de Grenade furent délinitivement abolies et remplacées par le système administratif en vigueur dans les villes de Castille.

Toutefois les rois n’avaient pas touché aux privilèges des groupes maures andalous qui ne s’étaient point soulevés. Ces pauvres gens, dont la seule chance eût été de se faire oublier, voulurent secouer le joug ; en 1501, les montagnards de Ronda et de Villaluenga se révoltèrent et écrasèrent un corps de troupes espagnoles envoyé contre eux. Ce succès

sans lendemain leur coûta cher, car Ferdinand les mit en demeure de recevoir le baptême ou de se retirer en Afrique en payant dix ducats par tête de chef de famille.

Ainsi, peu à peu, par toute une série de révoltes sanglantes, les Maures d’Andalousie avaient compromis et perdu leur cause. Ces précédents étaient pleins de périls pour les groupes mudéjares qui subsistaient en Castille et en Aragon, et ces malheureux s’en aperçurent, lorsque la reine Isabelle, par la pragmatique du 12 février 1502, ordonna aux Mudéjares de Castille de choisir entre le baptême ou l’expulsion ; encore l’expulsion était-elle aggravée par des mesures exceptionnelles : défense d’emporter de l’or ou de l’argent, de se retirer dans les Etats barbaresques ou en Turquie, mais seulement dans les domaines du Soudan d’Egypte, ordre de s’embarquer dans les ports de la seigneurie de Biscaye, de sorte que la sortie d’Espagne était rendue moralement impossible aux Mudéjares de Castille (Novisima Becopilacion de las leyes de Espana, Madrid, 1805, t. V, lib. xii, til. 11, ley 3).

En 151g, les artisans de Valence baptisèrent de force, le couteau sur la gorge, les Morisques de l’ancien royaume que leurs seigneurs avaient appelés aux armes pour se défendre contre une insurrection de caractère démagogique. Les légistes de Charles-Quint commirent l’iniquité de considérer ce baptême comme valide. Toutefois, en face de la résistance passive que les prétendus convertis opposaient aux prédicateurs, Charles-Quint résolut de les expulser, puis il se laissa toucher par leurs prières et consentit à les garder, à condition toutefois qu’ils embrasseraient le catholicisme, et la même alternative fut imposée aux mudéjares d’Aragon et de Catalogne qui n’étaient pour rien dans les affaires de Valence.

Charles-Quint avait donc réalisé le plan de Ferdinand et d’Isabelle, et l’unité catholique régnait en apparence dans le pays autrefois possédé par les Maures. Cette situation se maintint jusqu’en 15C8 ; au fond, les Morisques n’avaient pas cessé d’être musulmans, mais l’Inquisition ne les poursuivait guère, et le pouvoir civil les laissait en paix. Toutefois, la chancellerie de Grenade ayant obtenu de Philippe II une pragmatique qui prohibait l’usage de la langue arabe, du costume et des habitudes propres aux Morisques, une révolte terrible éclata dans les Alpujarras, et la répression ne fut guère moins atroce que les excès des rebelles. Beaucoup de fugitifs se sauvèrent en Afrique, d’autres se cachèrent dans les montagnes du royaume de Valence, d’autres enlin, par ordre du gouvernement, furent transportés en Castille. Il était difficile d’imaginer pire solution ; ces vaincus exaspérés se livrèrent à toutes sortes de crimes, vols, sacrilèges, assassinats, complots contre la sécurité du pays. Désormais les Morisques étaient irréconciliables ; un jour ou l’autre, l’expulsion devait s’imposer comme mesure de salut public. Ce fut le duc de Lerme qui rédigea rédit, ~et Philippe III le signa (1609). Le texte de cet édit se trouve dans un ouvrage fort répandu : Le protestantisme comparé au catholicisme, de Balmès, t. II, p. 400 et s.

II. Motifs de l’édit d’expulsion. — Le véritable motif de l’édit fut la crainte qu’inspirait une alliance des Maures avec les puissances mahométanes. Au xvi= siècle, la domination sur la Méditerranée était âprement disputée entre chrétiens et musulmans ; toute l’Afrique du Nord, Egypte, Tripolitaine, Algérie, Tunisie, Maroc, était aux mains de peuples d’origine arabe ou maure, encore pleins d’énergie et