Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/468

Cette page n’a pas encore été corrigée

923

MONISME

924

toute réfutation préalable du monisme, par exemple sur la seule constatation des cliangements et des imperfections que l’expérience nous montre partout dans le monde (voir Création, 111= partie, ’6 col. 726, s, surtout col. ^So, au bas ; — Dieu, III’partie, col. lOiO, s., surtout 1022).

Le monisme donc se trouve déjà amplement convaincu d’erreur par les preuves antérieurement développées dans les articles cités, d’autant plus que telles d’entre elles visent expressément l’évolutionnisme immanent (voir spécialement Ckkation, col. ^27-729). Néanmoins, il ne sera pas inutile d’indiquer brièvement les raisons qui établissent directement l’absurdité de toute interprétation unitaire des choses ; aussi, sans nous étendre sur les considérations déjà développées, soit dans les paragraphes précédents, soit dans les arliclcs auxquels nous venons de renvoyer, nous tâcherons de mettre en lumière la contradiction essentielle à la théorie prise en elle-même et dans sa généralité.

2) Le monisme est une hypothèse contradictoire. Cette contradiction, peut-on dire, se trahit dans chacune des allirmations qu’elle suppose.

a) Elle réside tout d’abord dans le concept même de l’Etre que se forme le monisme. A moins en effet de n’être plus qu’un mot, l’Etre en soi, dans tout système qui y cherche l’expiication dernière des choses, apparaît nécessairement, sous quelque nom d’ailleurs qu’on le désigne et quelque idée que l’on s’en fasse, comme la réalité essentielle et suprême, existant en dehors de toute condition et en vertu même de sa nature, en un mot comme l’Absolu. Impossible sans doute à la raison humaine d’en pénétrer l’essence, ou de s’en former une notion positive qui ne demeure irrémédiablement inadéquate ; il n’est pas vrai cependant de dire avec Spencer, à l’endroit déjà cité (Premiers principes, p. 2’j), dans le sens où il l’entend, que

« l’existence par soi est inconcevable…, quelle que

soit la nature de l’objet auquel on attribue l’existence ». Cette affirmation, appuyée sur des arguments qui font sourire un penseur averti, démontre seulement l’impuissance radicale de l’auteur à se dégager de la puérile imagerie que les positivistes anglais prennent trop souvent pour une explication scientilique et philosophique de la réalité (voir l’article Dieu, col. 972). De fait, la raison, en dépit de son incurable déficience et de l’impossibilité qui en résulte pour elle de saisir l’Absolu en lui-même, peut du moins indirectement, au rnoyen de l’analogie, s’en former un concept d’où soit bannie toute contradiction. A qui, par exemple, pourrait paraître absurde a priori la notion de Dieu tel que le définit la philosophie spirilualiste, c’est-à-dire réalisant en lui, par la nécessité même de son Etre, la perfection inlinie ? Peut-on en dire autant de r.bsolu par lequel les monisles prétendent remplacer le Dieu de la théodicée traditionnelle ? Que nous proposent-ils comme Etre par soi, comme réalité nécessaire et justifiant par elle-même ses titres à l’existence ? Quelque nom qu’ils lui donnent, matière ou énergie, nébuleuse infinie ou poussière atomique, pensée diffuse et impersonnelle de l’idéalisme athée ou « perfection en puissance » de Vacherot,

« substance primitive » d Erne ?t Hæckel ou

atomes psychiques de Clémence Royer, ondes infinies de Conta ou bien « éther lumineux, au plus haut (duquel) se prononce l’axiome éternel » (Taine, Philosophes classiques du X[. siècle, 4’éd.. Hachette, 18^6, p. 870), homogène de Spencer ou

« indistinct » d’Ardigo, « volonté de conscience » 

de Fouillée ou « fond de la vie » de Guyau, « pur devenir » du mobilisme moderne, ou même simple

« possible 1) que, selon Renan, « un secret ressort

(pousse) à exister » (Hevue des Deux Mondes, 1863, t. V, p. 769), moins encore, selon la trouvaille d’un pragmatiste américain cité par Fouillée (La pensée…, p. 325), « fonction sans contenu d’une impulsion universelle » —, que nous offre-t-on toujours, sous la variété des formules, qu’un embryon informe du monde, ayant aux yeux de la saine raison d’autant moins de titre à exister par soi qu’il confine davantage au néant ?

Tout autre est, parait-il, la manière d’en juger des monistes, dictée au reste par la logique même de la théorie. Dès lors, en effet, que l’.^bsolu est soumis à la loi d’un progrès continu et éternel, à mesure qu’on remonte par la pensée les étapes de cette évolution infinie, on est amené à réduire de plus en plus la réalité actuelle de l’Etre, on tend vers le néant d’existence. S’arrêter au cours de cette régression, en prétendant exprimer enfin 1 essence de r.bsolu en soi, c’est, de toute nécessité, se heurter à la contradiction. Dans cette ligne, si l’Acte pur de la théologie traditionnelle représente, naturellement, pour emprunter une comparaison l’e Janet (La crise philosophique, p. 161-162), un maximum, comment trouver à l’autre extrémité, ainsi que l’exige pourtant l’hypothèse, un minimum qui ne se confonde pas avec le néant ? S’en tenir à l’indétermination absolue, c’est réaliser une abstraction : l’être logique, Vens ut sic des scolastiques, en dépit de son indigence, offre encore à l’esprit un objet positif qui le distingue du néant, parce que, sans exprimer aucune réalité définie, il n’en est aucune qu’il n’enveloppe de façon confuse et implicite ; l’èlre rée/, au contraire, ne peut être supposé pleinement indéterminé sans se confondre avec le fameux être-néant hégélien, c’est-à-dire sans apparaître à la raison comme la contradiction réalisée, D’un autre cc’ité, lui attribuer une détermination, si minime soit-elle (et aucun mnniste n’a pu se soustraire à cette nécessité impérieuse de l’intelligence), c’est introduire l’illogismedaiis la théorie de l’évolution indéfinie, mais déplus porter un véritable défi au bon sens. A quel titre, en eftet, tel mode limité d’existence s’imposerait-il comme nécessaire de préférence à tout autre ? En vertu de quel privilège l’imparfait, comme tel, se confondrait-il avec l’Etre en soi ? N’est-il pas puéril d’imaginer, comme paraissent vraiment le croire les évolutioiinistes, que r.4.bsolu ne peut se faire pardonner d’exister par lui-même, qu’à condition d’être assez chétif pour se distinguer à peine du néant ?

b) Contradiction dans la nature de l’Etre par soi.

— Nos adversaires protesteront peut-être ici, en prétendant que le concept sous lequel ils cherchent à se représenter isolément l’élément priraonlial du monde n’est que le résultat d’une abstraction, que l’Absolu, dans sa réalité, n’est pas différent des aspects infiniment variés sous lesquels se manifeste son éternelle évolution et n’a, par conséquent, rien de l’indigence que nous lui attribuons : « Je n’ai jamais songé, nous affirme Vacherot (La Métaphysique et la Science, II, p, 52/|), à isoler l’Etre inlini, absolu, nécessaire, universel…, des réalités finies, relatives, contingentes et individuelles qui le manifestent. » « Le monde est son acte nécessaire, sa réalité intime et identique avec son essence. « (p. 627) En un autre endroit, nous l’avons vu, il déclare :

« Le progrès est inhérent à la réalité » (p. 636), et

encore : « La réalité est nécessairement en progrès, parce qu’elle est l’acte d’un principe, qui est la perfection en puissance. » (p. 687)

N’insistons pas sur la difficulté d’accorder entre elles ces deux séries d’affirmations, entre lesquelles