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MONISME

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même réalité psycliologique ; toute idée, par le fait même qu’elle éveille un sentiment, tend à se réaliser, autrement dit est une idée-force, « a une efficacité pour modilier ce qui est et faire exister ce qui peut être. » (p. xii) Bref, « tandis que, pour les systèmes purement méeanistes, la force de l’idée n’est qu’une apparence, … la force de l’idée sera pour nous la conscience même de la réalité agissante, qui est de nature appétitive et perceptive, par conséquent mentale. » (p. xv) De là « le caractère primordial et irréductible de la volonté ou appétit. Si les idées sont des formes mentales, c’est parce qu’elles sont des directions de la volonté, d’abord sourdement conscientes, puis se multipliant par la conscience plus vive qu’elles acquièrent. » (p. xxxix) « L’évolulion de la conscience recouvre donc une évolution de la volonté. » (p. xl) (1 La force que nous attribuons ainsi aux idées, explique par ailleurs Fouillée, ne consiste pas à créer des moui’emenls nouveaux ni même des directions nouvelles de mouvements qui ne résulteraient pas des mouvements antérieurs une fois donnés : mais il s’agit de savoir si, dans la réalité, nos mouvements peuvent être donnés sans des conditions psychiques en même temps que mécaniques, et si l’abstraction des facteurs psj-ohiques, légitime en physiologie, est légitime en philosophie. » (p. xiii) Concluons avec l’auteur : « Outre qu’elle est un monisme, la doctrine des idées-forces est donc un évolutionnisme à facteurs psychiques, et non plus à facteurs exclusivement mécaniques. » (p. li) Jlais, nous le savons, « nous ne pourrons jamais nous représenter le monde que d’après ce que nous trouvons en nous-mêmes : puisque nous sommes le produit du monde, qui nous fait à son image et à sa ressemblance, il faut bien qu’il j’ait dans le grand tout ce qui est en nous. De là l’impossibilité pour un être vivant, sentant, pensant, de concevoirun monde où ne subsisterait rien de la vie, du sentiment, de la pensée ; un monde mentalement mort, sans trace d’énergie psj’chique, serait aussi physiquement mort : ce ne serait plus qu’une abstraction, — et conséquemment encore une pensée. » (p. Lxxxii) Donc « on en vient nécessairement à dire : — D’une part, les éléments des changements physiques sont à ces changements mêmes comme les éléments des changements psychiques sont aux changements psychiques ; d’autre part, les changements psychiques et les changements physiques sont inséparables ; si donc l’élément des processus mentaux est le processus élémentaire de Vappétition-sensation, il est naturel, le monde étant i(r(, de transporter un processus analogue, mais plus rudimentaire, sous les mouvements physiques. Si on ne le faisait pas, on en resterait à un dualisme inintelligible. » (p. XLViii) Ou bien encore : « Le processus réel de la nature, qui aboutit à faire tomber un corps, est tout différent de ce que nous appelons la loi physique de la chute des cori)S… Métapliysiquement, le corps ne peut tomber qu’en vertu de certaines actions et passions, de certainesénergiesintimes. Ou biennousne pouvonsnous faire de ces énergies aucune représentation, quelle qu’elle soit, pas plus une mécanique qu’une autre, ou nous ne pouvons nous en faire qu’une représentation par analogie avec nous, avec ce que nous faisons et sentons nous-mêmes. » (p. lui)

D’après ce bref exposé, le monisme des idées-forces est, comme le caractérise son inventeur lui-même dans un ouvrage postérieur, un « volontarisme intellectualiste j (La pensée et tes nouvelles écoles antiintellectualisles, Acan, igii, p. /504). Le fond de l’être, de tout être, est « la volonté de conscience », ou « l’immanence de l’être à la pensée n (ih., p. 18). Cette affirmation est sans cesse répétée et reparaît

encore dans l’ouvrage posthume (Esquisse…, p. 3) :

« Selon nous, cette réalité constitutive de l’être conscient

est la volonté ». Cette philosophie est sans doute un idéalisme, mais « un idéalisme volontariste Il (p. 13), « un idéalisme relatif », qui « consiste à croire que, partout, la réalité et la conscience sont inséparables. Si faible et si rudimentaire que puisse être la vie consciente, elle est, pour l’idéaliste, la seule vie possible et la seule existence possible ; il y a partout quelque sentiment obscur, quelque obscur appétit, quelque volonté qui est le vrai sujet delà conscience. » (ib., p. 14, note) En un mol, toute interprétation de la nature du réel apjmyée sur la science et élaborée par la raison « aboutit nécessairement au monisme psxcliiqne, c’est-à-dire à une doctrine d’unité fondée sur les faits intérieurs et qui représente le monde entier comme analogue à la vie consciente ou subconsciente. » (ib, , p. 212)

Il serait aisé, mais bien inutile, de montrer que l’évolutionnisnie des idées-forces, malgré la virtuosité dialectique d’Alfred Fouillée, n’arrive à voiler aucune des contradictions qui, nous aurons à l’établir plus loin, condamnent à l’avance toute interprétation strictement moniste de la réalité ; on peut même avancer que le talent incontestable du philosophe et spécialement ses dons de clarté et de logique se retournent contre son système, parce qu’ils contribuent à y mettre en relief les incohérences. Nous n’examinerons pas davantage en quoi cette interprétation nouvelle se rapproche, en quoi elle prétend se distinguer de philosophies contemporaines analogues, entre autres du volontarisme de Schopenhauer (voir au mot Panthéisme), de la volonté de puissance de Nietzsche, du pragmatisme de William James ; cet examen, l’écrivain a pris le soin de le faire lui-même, notamment dans La Pensée et les nouvelles écoles… (voir surtout Préface, p 11, suiv. et Conclusion). Nous nous contenterons, en renvoyant pour le fond de la théorie à la réfutation générale qui termine cet article, de signaler ici brièvement quelques graves difficultés plus spéciales à la méthode de Fouillée et à son interprétation personnelle de l’unité.

Les premières tiennent au desseiu, avoué par lui. de tenter, au lieu de l’éclectisme vieilli du siècle dernier, une sorte de syncrétisme des principaux systèmes philosophiques de toutes les éjioques, jnincipalement de la nôtre. De fait, il emprunte tour à tour, parfois en même temps, au phénoménisme et au substanlialisme (voir, par exemple, £olulionnisnie…, c. m), au subjectivisræ et au réalisme (id., c. Il et Esquisse…. c. i), au mécanisme (Esquisse…, c. vu) et à l’idéalisme, (//’., p. 13), au pragmatisme el à l’intellectualisiue (La pensée…, p. /lOo), à l’empirisme et au rationalisme ((/ ;., p. 401), à l’intuitionnisme et au conceptualisme (ib.), au déterminisme el au contingentisme (Esquisse…, c. xii), au pluralisme même cl au monisme (ih., c. xni). Sans doute il a la prétention de ne demander à chacun des systèmes opposés que la vérité partielle ou relative qu’il peut contenir ; mais cette prétention, d’ailleurs chimérique en elle-même, n’a abouti chez lui qu’à une série d’échecs évidents. Déjà dans sa thèse sur ia Liberté et le Déterminisme (1872, 2= éd., Alcan, 1884), son essai de conciliation avait entraîné de fait la suppression du libre arbitre, el il n’en pouvait être autrement : c’est vainement en effet qu’on se fait gloire d’avoir rendu a le déterminisme aussi dilatable qu’il est possible », dès lors qu’on l’a « toujours maintenu sous sa forme intellectuelle et morale comme la loi de la pensée etde l’action >i(Esquisse…, p. 202). Appeler la contingence une idée-limite (ib., p. 203) et la liberté une idée-force dans le sens donné à ce mot par l’auleur, c’est en nier la réalité, contre