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MONISME

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célébrité(voir Revue des Deux Mondes, 1877, V" vol., p. 210), peut èlre joint aux philosophes allemands procéilents, en raison du moins ilu caractère biologique de son monisme, exposé surtout dans son Cursus der Philosophie (Leipzig-, Koschny, 1875). La sensation consciente est pour lui non seulement le terme, mais le but de la tendance colutive de la matière vers la vie ; malheureusement cette évolution Unale se montre, s’il est possible, bien plus inexplicable encore dans son système que dans les précédents. Il refuse en efTet de voir dans la sensation une pure transformation du mouvement matériel, cjui ne serait qu’une condition de la conscience, comme de toute autre manifestation chimique ou biologique de l’Etre ; il n’admet pas, d’autre part, qu’on doive, avec Hæckel, reconnaître à toute matière un psychisme rudimentaire. Il n’en faut pas moins affirmer, comme un postulat nécessaire, que la vie a soudain surgi du sein de la matière, dès qu’ont été réalisées les conditions mécaniques favorables. C’est du fond même de l’Etre, jusque-là purement matériel, que seraient nées ces énergies nouvelles, dont est sortie peu à [leu, avec la vie et la conscience, la diversité spécltique des individus. Ajoutons que Diiliring rejette catégoriquement quelques autres dogmes communément admis par les monistes, spécialement l’inlinilc du monde, l'éternité de l'évolution et la sélection naturelle.

2) — a) En France il suffira de mentionner : Vachhh DR Lapouge, traducteur et admirateur de Hæckel, et qui a trouvé le secret de rivaliser avec son maitre en attaques imbéciles et haineuses contre le christianisme (Le Monisme, Paris, Schleicher, 1897 — voir surtout Préfîtfe, p. 6-8) ; un autre traducteur des o ?uvresdu biologiste d’Iéna, Jules Soury (1842-ig15), philosophe en même temps que physiologiste, qui n’hésite pas à considérer l’univers » comme un nuage de matière cosmiqvie, passant par différents états de condensation, et produisant tout ce qui existe, sans but ni dessein » (Itiéviaire de l’histoire du matérialisme, Paris, 1881, Ill « partie, C), et qui fait sienne la théorie de la conscience épiphénomène (Sisti’mc neiveuj- central, Paris, 1899, t. ii, p. 1778) ; enlin le docteur Julien Pioger qui expose dans le Monde physique (.lcan, 1892) une « théorie inlinitésimale de la matière », composée, suivant lui, d'éléments ultimes indifférenciés et équilibrés j)ar couples ; dans un second ouvrage (l.a Vie et la Pensée, Alcan, 189.3), couiplélé par un article de la Revue pliilosophifjue quin 18g/|, p. 634), il tente de réduire tous les iihénomènes, vie morale et sociale comprise, à la sensation, et la sensation elle-même à des vibrations moléculaires. Pour conûrmer son interprétation, il en appelle à la loi du solidarisme organii/ue qui régirait le monde entier des vivants, et à celle de Véiiuilihration universelle, à laquelle se ramèneraient toutes les lois particulières de l'évolution. C’est dire que sa manière se rapproche de celle de F. Le Dantec, avec plus de tenue toutefois et de sérieux dans la forme : tout autant que ce dernier, il semble prendre pour des explications décisives de pures formules et des néologismes sonores ; comme lui encore, sous l’apparat décevant d un style à prétentions scientifiques, il ramène en réalité le monisme biologique aux conceptions enfantines d’un matérialisme suranné.

Trois auteurs toutefois, quoique assez peu connus, méritent, semble-t-il, d'être mis en relief, à cause de la contribution vraiment personnelle que, à des degrés divers, ils ont tenté d’apporter à la doctrine que nous discutons.

i) Dès 1842, un philosophe aujourd’hui oublié et qui n’eut pas, à vrai dire, même de son temps grande

Tome III.

notoriété, Charles LEMAins proposait, sous ce titre assez vague : Initiation à la philosophie de la liberté, une théorie à visées franchement iiolltiques et démocratiques, mais « pii, de fait, contenait en germe tout le monisme biologique actuel. Maintenant contre les anathèmes d’Auguste Comte la légitimité de la métaphysique, il affirmait que l’induction fondée sur l’expérience contraint la raison humaine à voir dans l’univers le proiluil nécessaire d’une multitude d’atomes éternels, étendus, spontanément actifs et pourvus d’une connaissance instinctive, qui fait déjà songer à l’inconscient de Schopenhauer et de Hartmann. A l’appui de cette dernière affirmation, il invoque un argument que développeront aussi plus tard les volontaristes : « Si la cause n'était pas nécessairement savante, remarque-t-il, comment concevrait-on la pro|iortion, la régularité, l’harmonie qui se révèlent dans les formes géométriques des minéraux et dans les organisations diverses ? » (Initiation…, t. 11, p. 11) Sans parler des autres objections auxquelles succombe tout monisme biologique, il est aisé de voir que cette preuve, logiquement poussée à ses dernières conséquences, suffit à condamner l’hypothèse en faveur de laquelle on la produit.

c) A la fin du siècle, une Bretonne, que l’engofiment alors à la mode [lour la science et pour les utopies sociales avait rendue infidèle à toutes ses convictions premières, Clémence lioYER (1830-1902), renouvela, probablement sans l’avoir connue, la tentative d’explication de Charles Leniaire. En 1881, dans le livre intitulé Le Rien et la Lui 7 » o/fl/e (Paris, Guillaumin), elle esquissait son système, dont elle donna vingt ans après l’exposé définitif dans son dernier ouvrage (La Constitution du monde. Dynamique des atomes, Paris, Schleicher, 1900). Elle y défend sous le nom de siitistantialisine, une sorte d’atomisme dynamique et vitaliste, d’après lequel la substance cosmique éternelle, à la fois matière, force et esprit, se présente, suivant le degré de force expansive de ses éléments individuels, sous trois états, l'état éthéré, l'état matériel et l'état vitali/cre.

Inutile de résumer cette indigeste élucubration de 900 pages, à plus forte raison de discuter une cosmogonie toute fantaisiste, arbitrairement déduite a priori, en dépit de visées pseudo-scientifiques, et dont le moindre défaut est de heurter à chaque instant les conclusions géiiérakment admises par les savants autorisés, dès qu’elles ne cadrent pas avec les exigences de la théorie. Signalons seulement, dans le domaine plus proprement philosophique, deux affirmations dont l’auteur a cru l)on d’enrichir l’atomisme vulgaire. Elle attribue à chaque élément premier de la matière cosmique, au lieu du pur instinct imaginé par Charles Lemaire, la capacité d’acquérir, par ses rapports avec les éléments voisins, une perception sourde sans doute, mais analogue à la sensation consciente. D’autre part, le monisme biologiste, pour faire honneur à la matière de ces virtualités psychiques, se borne en général à invoquer la nécessité d’expliquer l’existence actuelle de phénomènes mentaux : on connaît là-dessus les déclarations de MM. Hæckel et Le Danlec, et nous venons de dire que c’est aussi la position de Lemaire. Clémence Hoyer ne recule pas devant une tentative autrement hardie : celle de déduire de la nature même de la matière ses propriétés psychiques. H lui parait que l'étendue, loin d'être incompatible avec ces propriétés, comme l’affirment couramment les spiritualistes, est au contraire la condition première et essentielle de la pensée, parce qu’elle est la condition du contact, sans lequel la sensation, et, par suite, la conscience seraient impossibles : « Quelle

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