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MONISME

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« Dans cette seconde pliase de sa philosophie, notait

Paul Janet près de trente ans après, M. Vacherot… sépara la réalité de la vérité. Pour ce qui est du monde et de la réalité, il fut hardiment athée ; pour ce qui est de la vérité et de l’idéal, il fut hardiment théiste. Il (Le Testament d’un philosophe dansla Revue des 1). M., ! « juin 1885, p. 561)

Enlin dans le Nom’eau Spiritualisme, la théodicée de Vacherot paraît se modilier encore. Renonçant à cette douille conception « d’un Dieu parfait qui n’est pas vivant, et d’un Dieu vivant qui n’est pas parfait », l’auteur n’admet plus qu’un seul Dieu, le Dieu réel. Etre universel et nécessaire, principe éternel des choses, cause première et fin dernière du monde. Au reste, il maintient toujours que ce Dieu réel ne saurait être parfait : u Qui dit perfection, dit idéal ; qui dit idéal, dit pensée pure, c’est-à-dire un type supérieur à toutes les conditions de la réalité » (p. 302). De plus, dans l’explication des rapports de ce Dieu avec le monde, Il demeure fidèle à la théorie de 1 immanence : « Dieu est la puissance infinie, éternellement créatrice, dont l'œuvre n’a ni commencement ni fin. Il n’est pas le monde, puisqu’il en est la cause… Il reste distinct de ses créations, non pas comme une cause étrangère et extérieure au monde, mais en ce sens qu’il garde toute sa fécondité, toute son activité, tout son être après toutes les œuvres qu’il crée, sans les faire sortir de son sein. Il en reste distinct, en demeurant au fond detout ce quipasse… » (p. 308)

B. — Après avoir résumé les conceptions successives de Vacherot, il nous faut insister sur celle qui, sous un vêtement spiritualiste, ne diffère pas au fond du monisme aujourd’hui en vogue. Quelle philosophie nous propose la Métaphysique et la Science, si on prend soin de dégager la doctrine des prestigieuses draperies dont l’a parée moins encore le style brillant que l’incontestable élévation d’esprit de l’auteur ?

i) Elle prétend tout d’abord, on l’a vii, nous faire admettre comme un axiome que le Dieu ira/, celui qui se conçoit essentielleiuent comme l’Etre parfait, ne saurait exister : « Perfection et réalité impliquent contradiction. La perfection n’existe, ne peut exister que dans la pensée. Il est de l’essence de la perfection d'être purement idéale » II, p. 544)- L’idée de l’Etre parfait est la plus haute des idées de l’esprit humain, mais ce n’est qu’une idée : « Oii le chercher…, s’il n’est ni dans le monde ni au delà du monde, s’il n’est ni le fini ni l’infini, ni l’individu ni le tout ? Où le chercher, sinon en toi, saint Idéal de la pensée ? Oui, en toi seul est la vérité pure, l’Etre parfait, le Dieu de la raison » (p. 587). Vacherot suppose partout, comme un postulat évident par soimême, note à ce propos Paul Janet (/.a crise philosophique, Paris, Germer Baillière, 1865, p. 158),

« que le parfait ne peut exister, par cette raison que

l’idéal ne peut être réel ; mais la question est précisément de savoir si le parfait est un idéal et un pur concept. On a pu contester aux cartésiensque l’existence fût une perfection, il serait étrange pourtant qu’elle fût une imperfection ».

Nous n’avons pas à montrer ici combien est contraire à la saine raison cette idée d’une contradiction essentielle entre la perfection absolue et l’existence ; BossuET lécartait par ces questions brèves, mais péreraptoires : « Pourquoi Dieu ne serait-il pas ? Est-ce à cause qu’il est parfait et la perfection est-elle un obstacle à l'être ? Erreur insensée : au contraire, la perfection est la raison d'être. Pourquoi l’imparfait serait-il et le parfait ne serait-il pas ? » {/" Flévation sur les Mystères). Indiquons seulement l’origine de l’erreur chez Vacherot et l’inanité du seul

argument par lequel il cherche à la justifier : comme le remarque finement Ollé-Laprunh, « Ce puissant jiensexir est un Imaginatif… Dans l’exposition même de sa métaphysique, l’imagination met à la place et sous le nom d’idées de purs fantômes… Eùl-il à l’Idéal suprême, à l’Etre parfait refusé l’existence de peur de le dégrader, si, en concevant l’existence, il se fiit défait de l’image des êtres existant dans l’expérience et des conditions de cette existence inférieure ? n {Etienne ]'acherût, Paris, Perrin, 1898, p. 96-99) De fait, comment prélend-il appuyer cette invraisemblable affirmation que l’existence est incompatible avec la perfection absolue ? — Sur l’expérience, nous attestant qu’aucune réalité ne peut être conçue comme parfaite, à moins d'être idéalisée. — Mais encore, qu’entend-il par réalité? — Il nous le dit lui-même :

« Toute réalité (est) un phénomène qui passe >i (La

Métaph. et la Science, II, p. 514). « Ce sont (donc des) définitions exclusivement empiriques qui créent celle incompatibilité prétendue entre la perfection et la réalité. Il est trop évident que si nous appliquons… à la perfection divine les caractères de la réalité empirique, nous la réduisons à un non-sens. La question est de savoir s’il n’y a vraiment d’existence et de réalité possibles que sous la forme que l’expérience nous révèle » (Caro, l’Idée de Dieu et ses nouieau.T critiques. 7* éd.. Hachette, 1883, p. 255). La mélapliysi(iue de Vacherot peut être spiritualiste d’inspiration et de tendance ; comme philosophie du réel, elle s’en tient au plus étroit positivisme.

2) La même conclusion s’impose à nous, si nous en venons à l’explication des choses que l’auteur prétend substituera la doctrine de la création e.r niliilo : i( Pour nous, déclare-t-il II, p. 545), le Monde n'étant pas moins que l’Etre en soi lui-même, dans la série de ses manifestations à travers l’espace et le temps, possède l’infinité, la nécessité, l’indépendance et tous les attributs métaphysiques que les théologiens réservent exclusivement à Dieu. Il est clair, dès lors, qu’il se sudit à lui-même, quant à son existence, à son mouvement, à son organisation et à sa conservation, et n’a nul besoin d’un principe hypercosmique ». El plus loin (p. 606) : « Il est… entendu que la raison pose a priori le Cosmos, c’esl-à-dire l’Etre universel dans sa réalité, sans avoir besoin de lui supposer une cause, un principe, un antécédent quelconque I.

Comment cet Etre universel, « parfaitement un dans son infinité et son universalité » (p. 607), est-il devenu le monde actuel, si complexe et si varié, objet de notre admiration et de notre curiosité passionnées ? — Rien de moins mystérieux, d’après Vacherot : puisque le second est sorti du premier, c’est évidemment qu’il y était virtuellement contenu, comme les phénomènes sont contenus virtuellement dans la substance. El en efi’el, la substance, dans un être donné, n’est pas autre chose que la virtualité plus ou moins féconde opposée à l’acte ou à la série d’actes par lesquels elle se réalise et se détermine » I, p. 423). Or. on a eu soin de nous en avertir déjà, il n’en va pas autrement de l’Etre infini : « Toute réalité est imparfaite ; mais l’essence même, le type naturel de cette réalité est virtuellement parfait. Je dis le type naturel, pour ne pas le confondre avec le type idéal qui n’a d’existence que dans la pensée. El si chaque type naturel a son genre de perfection virtuelle, r.rchétype suprême, le Père de la Nature et de l’Esprit, l’Etre universel a la perfection virtuelle absolue. » II, p. 73, 74)

Quant à l’actualisation contingente de cette virtualité nécessaire, elle nous est expliquée par la loi même du progrès qui « a aujourd’hui l’autorité d’une vérité scientifique n II, p. 626), mais qui, « pour