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MAGIE ET MAGISME

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le P. Schmidt le montre assez bien — la notion

de maria est solidaire de certaines croyances animistes et mythologiques. De plus, la comparaison des tUèmes mélanésiens avec les autres formations mythiques austronésiennes apprend à considérer

« la période du mana » comme secondaire et dérivée, 

vis-à-vis de celle où florissait le culte, maintenant elTacé. de l’Etre suprême.

Quelle que soit la valeur de cet argument ethnologique — ce n’est à notre sens qu’une valeur ad liominein — une étude plus étendue sur les différentes civilisations australiennes, austronésiennes, pygmées, bantoues, etc., incline à poser cette loi, qui est le renversement de l’hypothèse prémagiste : plus est développé dans une société inférieure le culte de l’Etre suprême, moins il y a de magie, the more Jll-Fatherism, the less Magism, aurait dit Lang. Ce qu’il faut compléter par cette autre loi ethnologique, également en voie de devenir hautement probable : plus un peuple se manifeste primitif par l’ensemble de sa civilisation, et plus reste au premier plan cliez lui le culte du Père de tous, moins est impure et superstitieuse sa religion et sa morale.

L’hypothèse du prémagisme n’est donc pas ethnologiqùement fondée. Bien que purement négatif, ce résultat a son importance.

D’ailleurs, il faut en convenir, ni l’ethnologie, ni l’histoire ne nous donnent de réponse positive, suffisamment certaine, à cette question ultérieure : la religion a-t-elle vraiment précédé, et de beaucoup, la magie dans le monde ?

Peut-être la psychologie nous perrættra-t-elle d’aller plus loin encore. Certains théoriciens de la magie le croient. Interrogeons donc la psychologie, ou plutôt, comme on tend à dire en certains cercles philosophiques, la socio-psychologie et la psychosociologie, car aucun psycliologue moderne ne consent à perdre de vue le facteur social, et nul sociologue ne voudrait convenir qu’il oublie le coefficient individuel.

III. Critique psychologique du Prémagisme.

— La genèse de la magie et celle de la religion.

ΠlՎtat mental que suppose la magie et de celui

que suppose la religion, quel est psychologiquement le plus primitif ?

Alors même qu’on viendrait à résoudre cette question, on n’a aucun droit de transporter dans l’histoire du monde les phases successives que l’introspection aurait pu découvrir dans l’histoire mentale de chaque homme ou de chaque société prise à part. Tout au plus trouverait-on par ce moyen une vague indication de ce qui a pu se passer, en bonne moyenne, dans la préhistoire de l’humanité, si toutefois, ce qui n’est presque jamais le cas, rien n’a dérangé, nulle iiart, à cette époque, le déploiement normal des qualités de l’homme !

Sous le bénéfice de cette remarque, on peut accepter de chercher quelle est l’origine psychologique de la magie et celle du sentiment religieux, pour savoir lequel précède normalement l’autre.

Avant de s’occuper de l’origine psychologique de la magie, il peut être bon de faire remarquer qu’on n’entend pas pour cela n’attribuer à la magie qu’une origine psychologique et humaine. La vraie science ne connaît aucun exclusivisme, fùl-il surnaturaliste 1 Mais, à l’exemple de S. Augustin et de S. Thomas, on croit loisible et utile de chercher le processus mental auquel, d’après ces mêmes docteurs, les esprits mauvais « s’insèrent » et se mêlent plus d’une fois (S. Augustin, De Docirina Christiana, II, xxni, 35 ;

— S. Thomas, II » II » =, q. gS, a. 5).

Et vraiment, l’on peut presque s’en tenir sur ce

point — en profitant, si l’on veut, des fines remarques qu’y ajoutent deux psychologues modernes Wundt et Marett — à l’analyse moins nuancée, moins riche peut-être, mais plus vigoureuse, plus exacte et plus poussée, de S. Augustin (loc. cit.). Il a fort bien vu que la tendance à la magie n’était que la déviation du désir, bon en soi, mais trop souvent immodéré, rpi’ont les hommes de tout connaître et de tout expérimenter. C’est cette curiosité maladive, c’est cette convoitise insatiable qui provoque dans l’àme (aussi bien dans l’àme des individus que dans l’àme des foules, notons-le, en passant, contre les sociologues avant tout, comme Hubert et Mauss, et contre les psychologues avant tout, comme Marett) l’attente hallucinante du merveilleux. Tout événement fortuit, qui se produit alors, est facilement considéré comme une réponse ultraualurèlle, sans être divine, à cette attente. De là l’idée de la causalité magiijue, qui est par essence une causalité anormale. De là encore, suggère Wundt, pour combler la lacune causée par la rupture des associations mentales ordinaires, le jaillissement soudain, dans les profondeurs de l’àme, de tout un essaim d’associations libres et fantastiques, qu’utilisera la magie. De là, en un mot, la naissance des superstitions magiques. Magiques, elles le seront, reprend S, Augustin, du jour où, à cause de ces rencontres fortuites et de ces accidents psychologiques, certains procédés, qu’on tenait jusque-là pour dénués de valeur, auront apparu comme les « signes » ellicaces et infaillibles d’un effet qu’on souhaitait ardemment sans oser l’espérer. Il n’est pas difficile de prévoir qu’une fois implantés dans l’esprit de plusieurs, ces jugements erronés, qui fondent la magie, ne peuvent que se multiplier, se diversifier, selon la variété des désirs, des expériences réussies et des mentalités. C’est alors, semble-t-il, mais alors seulement, qu’intervient la société. Il s’établit comme un consentement tacite sur la valeur conventionnelle de tel rite. C’est donc dans la société, et par elle (c’est ce qu’il y a de juste dans la thèse des sociologues), non pas que commence, mais que s’achève la détermination des rites efficaces et des signes opératifs, répondant à la moyenne des convoitises d’un groupe humain. Cf. S. Augustin, Conf. X, XXXV, 25, etc. ; — Wundt, Volkerpsychologie. II, 2, p. 181 sq.

Si cette analyse du procédé mental, générateur de la magie, a, comme nous le croyons, quelque vérité, il paraît assez bien prouvé que l’éveil des superstitions magiques est en rapport étroit avec l’éveil dans l’àme de l’idée d’une causalité anormale et « en quelque manière surnaturelle ». Quelques évolutionnistes, comme Wundt, ont voulu profiter de cette constatation pour affirmer que l’idée de la magie précède nécessairement, dans l’expérience du primitif, l’idée de la religion.

Contre cette supposition d’un psychologue, on peut en appeler à la psychologie, plus scientifiquement interrogée. Pour connaître Dieu, pour savoir au moins de lui quelque chose qui suffise à le distinguer de tout ce qui n’est pas lui, pour se sentir pressé de lui rendre un culte d’entière soumission qui n’est dû qu’à lui. pas n’est besoin d’attendre une de ces crises mentales, où éclosent les associations et les illusions magiques ; pas n’est besoin de l’excitation hallucinante produite en l’àme par l’apparition de l’anormal et de l’inédit troublant. Sans secousse et tout spontanément, à la vue quotidienne des spectacles familiers, ou plus simplement en entendant et en interprétant comme d’instinct la dictée secrète de sa conscience, l’homme le plus primitif, s il a le cœur suffisamment droit et l’esprit suffisamment ferme.