Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/41

Cette page n’a pas encore été corrigée

69

MAGIE ET MAGISME

70

I" Les travaux antérieurs de Lang, du P. Sclimidt et de Mgr Le Roy montrent qu’une religion, et une religion assez haute, existait avant l’arrivée des missionnaires, existe encore en Australie, comme d’ailleurs dans toutes ou presque toutes les couches de civilisation, même les plus antiennes, même les plus rudimentaires. On jieul l’aiie l’aiilement la preuve (Cf. Recherches, t. II, p. 88-10^). C’est peu contre ces faits, que l’allirmation en sens contraire, si solennelle soit-elle, donnée à M. Frazer, dans des lettres particulières, par le voyageur B. Spencer. Ce dernier est trop intéressé à ne pas contredire ses premières et trop hâtives déclarations. Libre à l’auteur du Gvlden Boiigh de s’en contenter.

a" Pour prouver l’universalité de la magie religieuse en Australie, trois témoignages sullisent à M. Frazer, ceux de Howitt, de Matthew et de Curr. Que ne les a-t-il lus dans le contexte qui les éclaire ? Si l’on a cette curiosité légitime — nous l’avons eue — on est étonné de la légèreté d’un critique qui aurait pu trouver contre sa thèse, dans le reste du livre de Howitt et dans celui de M. J. Matthew, des témoignages beaucoup moins vagues et beaucoup plus nombreux encore que ceux qu’il retient. L’imprécision des passages découpés dans le vif par M. Frazer s’éclaire soudain. Et ce n’est pas dans le sens de la thèse du Golden Bough. Quant à Curr, le seul de ces trois voyageurs qui incline vers la conclusion de M. Frazer, il en dit assez dans le reste de son livre, pour ne pas nous laisser ignorer qu’il a observé superflciellement. Son tort a été de ne pas se Cer à l’avis, contraire au sien, qu’exprimaient devant lui des missionnaires, soit protestants soit catholiques, plus habitués au pays et à la langue.

3° Ce n’est que grâce à un cercle vicieux trop évident, ce n’est qu’en vertu d’un pur postulat évolutionniste (ignorance et grossièreté sont signe d’ancienneté ethnique pour un peuple I), que M. Frazer a pu songer à soutenir, comme un fait avéré, la priorité de la race Arunta sur les autres tribus australiennes.

Le P. Schmidt, lui, trouve plus diflicile la détermination de l’âge d’un peuple. Appliquant avec patience au cas fameux des Aruntas ou Arandas la méthode historique « des cycles culturels », il examine, dans un laborieux et savant mémoire, dont il nous est permis de contrôler les conclusions (Xeitschrift fur Ethnologie, i^oS. p. 866-901 ; — 1909, p. 328-337), "°" P^^ "" élément isolé, mais tous les éléments à la fois de cette civilisation composite. Au terme, on arrive à cette conclusion, diamétralement opposée à celle de Frazer : les Aruntas, loin d’être des primitifs, trahissent, par l’ensemble de leurs usages et de leurs croyances, leur allinité avec la civilisation complexe, contournée, vieillotte de la Nouvelle-Guinée. Us ne peuvent donc être pris, à aucun titre, pour les représentants lidéles de la mentalité primitive. L’argument majeur de M. Frazer croule parla base.

II. Critique historique et ethnologique du Prémagisme. — La thèse du prémagisme primitif est plus nuancée que celle du magisme, et partant la critique en est plus délicate à faire. Cependant, la difliculté sera moindre : 1° si l’on remarque que les tenants eux-mêmes du prémagisme avouent ne pas l’oir aux origines l’état nuageux qu’ils postulent et que caractériserait la fusion primordiale de la religion et de la magie ; mais ils sont si sûrs qu’ils Ventrevoient ! {. Loisy, A propos d’Ii. des r., p. 20b) ;

— 2 » si, à la différence de la plupart des théoriciens de la magie, on n’a pas de telles préférences pour une méthode, ou pour xm aspect de la question, qu’on

en arrive à négliger un peu trop les autres. Une hypothèse en pareille matière ne vaut que si elle est suggérée à la fois par toutes les sciences auxiliaires de la préhistoire.

Ce que les prémagistesassurent entrevoir au delà du seuil de l’histoire, au-dessous du seuil de la conscience claire, est-il donc insinué ou par l’histoire, ou par la psychologie individuelle et sociale ?

I" Certainement, rvis<oi ;e n’a pas d’indices dans ce sens, surtout pas celle qu’on devrait d’abord interroger, parce qu’elle ressort des documents religieux les plus anciens et par suite les plus rapprochés des temps préhistori(iues. En vain M. Loisy s’etTorce-t-il de chercher en Israël même l’exemple d’une religion qui commencerait par des croyances et des pratiques magieo-mystiques, plus voisines de la magie que d’un culte théiste et vraiment religieux.

L’exemple qu’il choisit se retourne vite contre lui. Même en admettant, à cause d’une insinuation de la Bible (Josiié, xxiv, 2, 14), interprétée dans ce sens par certains Pères de l’Eglise, que les ancêtres d’.VIiraham, Abraham lui-même, avant son élection, aient passé par le paganisme (S. Cyrille d’ALKXAN-DRIE, Glapliyrorum in Genesini, IV, ni [P. G., LXIX, 187] ; Cf. D. Calmet, Sur l’origine Je l’idolâtrie [Commentaire sur la Sagesse, Paris, 1713, p. 304305| ; Tou/.AHD [Où en est l’histoire des r., Paris, 191 1, 11, 8|), on n’aurait aucun droit dédire, comme pourtant le hasarde M. Loisy, que ce paganisme préhistorique ait été un « culte de S !.uvage », plus magique que religieux. Et si M. Loisy refuse — on ne voit pas sur quel fondement — d’attribuer à ce paganisme des préisraélites l’élévation du théisme sémite ambiant des Assyro-Babyloniens, s’il tient à chercher un terme de comparaison chez les Arabes nomades, ce sera encore l’humble adoration des maîtres divins de l’homme que révélera l’étude scientilique dupanthéonarabe. Force est donc à M. Loisy, pour maintenir sa thèse prémagiste, d’entrevoir au delà de l’histoire tout autre chose que ce qu’il peut lire dans les monuments religieux les plus anciens des races sémitiques.

Il serait encore assez facile de montrer que ni les religions de l’Inde, ni celle de l’Egypte — l’histoire n’en étudie pas pour l’heure de plus anciennes — i ne connaissent à leurs débuts la nébuleuse magicoreligieuse indilTérenciée, qui, d’après les évolutionnistes de la nouvelle école, aurait ensuite, sous l’action de certains réactifs, glissé, suivant les cas, vers les sommets de la religion ou les bas-fonds de la magie. Qu’il sullise de renvoyer à des indianistes comme Oldenberget La Vallée-Poussin, à des égyptologues comme Erman ou Wiedmann. Partout on trouve, au moins en quelques pratiques plus caractérisées,

« la magie nettementdistinguée, sinon tonjours

séparée de la religion » (De La Valléb-PoussiN, dans Uhristus, 1912, p. 2/|5-248). On peut mélanger un instant, à force de les agiter dans le même verre, de l’huile et de l’eau. Laissés à eux-mêmes, les deux liquides formeront de nouveau deux couches superposées, imperméables l’une à l’autre.

2" On nous renvoie à l’ethnologie. Que dit-elle de plus certain ? D’après MM. Hubert et Mauss, et plusieurs autres préniagistes, elle nous révélerait ([ue rien n’est plus primitif que la notion sauvage de mana, et que le mana mélanésien est précisément l’idée de cette potentialité magico-religieuse, à partir de laquelle auraient bifurqué les deux lignes d’évolution, magique et religieuse. Le malheur est qu’on ne connaît bien qu’une espèce de mana, celui’des Mélanésiens, et que précisément en Mélanésie