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MAGIE ET MAGISME

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de ces éléments d’une frange de mystère, une essence impondérable, qui est précisément ce qui permet cette efficacité projectrice et nécessitante. Les sauvages se la représentent sous forme d’une vertu mystérieuse, dont le rôle est de surélever les puissances ordinaires de la nature et de l’homme. C’est un premier résultat assez précieux à enregistrer. II n’y a donc pas vraie magie, où il n’y a pas l’idée, au moins fruste et embryonnaire, d’un certain surnaturel. A ce point s’arrêtent les services rendus par la première méthode. Elle ne suffit donc pas, on le voit, à déceler la note spécifique de la magie. Il convient à tout phénomène magique, d’être un rite efficace doué d’une vertu préternaturelle. Voilà qui est entendu. Mais cette condition n’est-elle réalisée que dans cette seule classe de phénomènes ?

— Pour être rigoureuse, une définition doit s’appliquer omni et soli definito. Force est donc d’en venir à la seconde méthode indiquée au début, à la méthode comparative.

U. La magie comparée aux institutions qui lui ressemblent.

1° — La magie comparée aux techniques sauvages.

Cette comparaison s’impose au seuil de la recherche. C’est ordinairement sur le terrain de ces techniques rudimentaires qu’a lleuri l’art des mages. Est-ce une raison de les confondre ?

Ce travers est celui de M. Fhazkr, dans le Golden Bough. Le folkloriste écossais définit, comme on sait, la magie : o une fausse science et un art avorté », ou encore : « une fausse application du principe de causalité

«.Dans cette supposition, il ne lui est pas trop

difficile de grossir, en deux volumes, le catalogue des faits magiques, et de se figurer, aux origines de l’humanité, une société tout entière composée de sorciers ! Son seul tort est de limiter ce règne universel de la magie, entendue en ce sens abusif, aux premiers âges du monde. En est-il beaucoup, même en nos siècles de lumière, parmi les non-civilisés et même parmi nous, qui n’aient pratiqué, une fois ou l’autre, en leur vie, sans le savoir bien entendu, quelque

« fausse science », ou quelque «. art avorté » ?

Les appellera-t-on mages pour cela ?

Si l’on ne veut pas confondre ce que les sauvages eux-mêmes distinguent, il faut : i" éliminer complètement de la magie toutes les industries sauvages, si déraisonnables soient-elles, qui n’ont pour caractéristique que d’être une « fausse science ou un art avorté », fussent-elles mêlées à de fausses idées de sympathie ; 2" éliminer de livraie magie — delà seule magie qui mérite de faire une catégorie à part — certaines industries plus chanceuses.médecine, métallurgie, etc. Elles sont bien distinctes des autres, en ce sens qu étant « d’objet complexe, d’action incertaine, de méthodes délicates « (Hubert et Mauss, Esquisse, p.144 ; W. SoHMiDT, Antkropos, IV, p. 523), elles ont été de fait un terrain de culture, où, de préférence, la magie a germé. Elles ne sont pas pourtant la magie, et les (I primitifs » les ont souvent distinguées de cet art mystérieux : p. ex. les Bantous actuels (Mgr Le Roy, La religion des primitifs, Paris, 1909, p. 34 1), les anciens Egyptiens (A. -H. Gardiner, Aotes on £grptian Magic[Transactions], Oxford, 1908, 1, 208.), etc. On peut cependant, pour se conformer à un usage invétéré, leur laisser — quand elles prennent un caractère particulièrement contraignant et sont mêlées à des idées pseudo-scientifiques sur la sympathie ou l’homéopathie — le nom, un peu trop vague, de magie hlanclie, ou celui plus précis de magie naturelle, que semble vouloir leur assigner Mgr Le Roy (Op. cit., p. 331, 340). Volontiers on proposerait, pour ce genre de pratiques, le nom plus

précis encore de magie profane. Ce dernier terme aurait l’avantage de marquer assez nettement ce qui interdit de voir en ces usages des rites vraiment magiques. Par contraste, il faudrait appeler magie sacrée, celle qui met en œuvre la potentialité quasi surnaturelle, dont nous parlions plus haut. On laisserait, bien entendu, au mot « sacré » toute l’ambiguïté du vocable latin : saint ou exécrable. Ce qui distingue, en eiïet, la magie sacrée — la seule vraie — ce qui l’oppose à la magie profane, c’est que, prenant son point d’appui dans une sphère d’activité soustraite ordinairement à la prise de l’homme, elle se targue d’arracher son client à ses impuissances coutumières, au monde où se brise l’eflfort de sa vie quotidienne. Et c’est pour le hausser jusqu’à ce monde supérieur et invisible, où de nouvelles puissances, sacrées ou détestables, seront employées — c’est sa conviction — à satisfaire ses soifs inassouvies.

2" — La magie sacrée comparée avec la religion. Si nécessaire fùt-elle, la première comparaison que nous venons de tenter ne nous a pas mené plus loin que la première enquête sur la magie en soi. Du moins en a-t-elle confirmé et précisé les résultats. La vraie magie est décidément un effort vers le transcendant : elle prétend y avoir sa source et a pour but d’y faire pénétrer. Mais voici que ce dernier trait, qui la sépare des techniques ordinaires et même des techniques hasardeuses des sauvages, la rapproche de la religion. La religion n’est-elle jias, elle aussi, une tentative pour nouer des relations avec le monde invisible ? — Oui, mais il y a transcendant et transcendant, manière et manière de l’atteindre.

L’expliquer sera achever de déterminer le caractère sui generis de la magie.

L’histoire, l’ethnologie, la psychologie, interrogées sans parti pris évolutionniste ou agnostique, forcent à dire que partout où les hommes ont voulu pratiquer /e/ig-ieKsemeH/ un acte de nature religieuse, ils se sont représenté l’objet de leur culte — fût-ce

« à travers un brouillard d’illusion » — comme divin, 

personnel et moral. — Nous ne refaisons pas ici la preuve de cette assertion, l’ayant esquissée ailleurs. Cf. Recherches de Science religieuse, II, 67-71, gS-io^, Paris, 191 1.

Parce que les peuples ont ordinairement cru à une opposition formelle entre la religion et la magie, suf-Cra-t-il donc, pour déterminer par contraste l’objet de cette dernière, de dire qu’il est tout le contraire de l’objet que vise la prière ou l’adoration, qu’il n’est ni divin, ni personnel, ni moral ? La chose vaut d’être discutée.

1) Est-ce à un surnaturel vraiment divin que croit avoir affaire le mage ? La réponse à cette première question ne manque pas de difficultés. D’une part, l’attitude du sorcier vis-à-vis de l’objet qu’il vise est tout le contraire d’une attitude religieuse. Tout son désir, inspiré, comme l’a bien vu M. Frazer, par une

« hautaine suffisance », est de compulser, de contraindre

en maître la force invisible qu’il veut assujettir à son usage. Rien de commun avec 1’humble prosternement » de l’homme religieux devant la divinité qu’il adore (Frazer, Magic, 1, 226).

D’autre part, l’histoire des religions présente un certain nombre de faits énigmatiques, où le sens de cette distinction semble se troubler. Parfois, en eiïet, la magie paraît vouloir tenter cette aventure folle de lier et de contraindre, par la force du rite ou de la formule, les dieux omnipotents, de les capturer « comme l’oiseleur l’oiseau ».

Une première remarque à faire, c’est que les exemples d’une telle audace ne sont pas, somme toute,