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MOÏSE ET JOSUE

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permettent de comprendre comment, dans le Nouveau Testament, Notre-Seigneur et les Apôtres ont pu en toute vérité, d’une part, indiquer Moïse comme auteur de la Loi prise dans son ensemble, de l’autre, quand leur langage est clair et explicite en ce sens, lui attribuer d’une manière concrète telle ou telle ordonnance.

63. g) Quatrième question : la tradition. Dans

l’Eglise, la tradition est, en importance, parallèle à l’Ecriture. Mais c’est évidemment quand elle touche à la foi- en tout autre domaine, le consentement même unanime des Pères ne suffit pas à rendre certaine une donnée traditionnelle. De nombreux exemples montrent, en particulier, qu’en matière d’attribution littéraire, les sentiments les plus universels des Pères ne sont pas une garantie. Pour la question qui nous occupe, une distinction s’impose entre ce qui ressortit à la critique littéraire et ce qui ressortit à la critique historique. La tradition historique aura pour formule : Moïse est le législateur d’israol, le niosaïsme est à la base de toute l’histoire du peuple de Dieu. Parfaitement unanime et claire, cette tradition a tous les caractères d’une tradition qui oblige ; la Bible, en effet, ne serait plus l’histoire du salut et la foi serait gravement menacée, si les plus grands faits du royaume de Dieu devenaient incertains. De la tradition littéraire la formule sera : Moïse a rédigé le Penlaieuque que nous possédons. D’une part, l’unanimité n’est plus si complète, ni chez les Juifs, ni chez les chrétiens. Le rôle attribué à Esdras par certains rabbins et plusieurs Pères de l’Eglise en est une preuve. On remarquera que, dans cette hypothèse, la tradition littéraire du Pentateuque a été interrompue pendant plus de cent ans après l’incendie de Jérusalem et que toute son autorité rei>ose sur Esdras inspiré ; et qui sait si, dans cette tradition, il ne faut pas voir le dernier écho du 30uvenir d’une refonte générale de la Loi par le prètre-scribe ? D’autre part, il est de toute évidence que la question littéraire est d’une portée tout autre que la question historique. On dira sans doute que le Concile de Trente parle du Pentateuque de Moïse. C’est vrai ; mais il faut noter qu’en se prononçant sur la question de canonicité, il a évité de trancher celle d’authenticité. Que si l’on voyait dans sa manière de parler une direction disciplinaire, au moins ne faudrait-il pas en tirer des conclusions plus strictes qu'à propos de VEpitre aux Hébreux ; le Pentateuque sera toujours le Pentateuque de Moïse si ce grand homme a jeté les fondements de sa législation.

63. — h) Cinquième question : la valeur liistorique. L’apologétique catholique recourt volontiers à des principes aussi absolus que celui-ci : « Tout le monde admet que le récit de Moïse est vrai, s’il est réellement de lui, tandis qu’on peut prétendre qu’il est indigne de foi et n’est qu’un tissu de mythes, s’il a été écrit à une date postérieure » (F. ViGounoux, Manuel Inbliqne, y éd., 1, p. ^oo). Sur quoi il est aisé de faire plusieurs remarques : — k) D’abord que la date de rédaction d’une histoire, surtout quand le rédacteur a simplement reproduit et juxtaposé ses sources, importe beaucoup moins que celle des documents eux-mêmes. Il faut môme noter qu'à ce dernier point de vue, un mouvement heureux se dessine parmi les exégètes indépendants. — 5) Que d’après les critiques, les documents anciens (J et E) ont été utilisés dans ceux qui les ont suivis (P), même que F n’avait d’autres sources que J, E et D. Dès lors il ne peut être question de contradictions fondamentales entre ces documents ; et c’est ce qui explique qu’on ail songé à les fondre en un seul récit. — /) On dit, il est vrai, que P a une allure très particulière, qu’il a altéré la vérité de pai-ti pris, qu’il a généralisé,

idéalisé, systématisé l’histoire. Rappelons qu’il ne se peut agir que de détails. Que si nous nous plaçons au point de vue de l’histoire du règne de Dieu, ils sont sans importance. Que si nous nous plaçons au point de vue des conséquences de l’inspiration, il conviendra de se poser la question du genre littéraire adopté par P, de ses règles, de ses méthodes ; il conviendra de se demander si Dieu a voulu nous enseigner ces détails ou s’en servir comme de véhicules pour un enseignement plus haut ; n’en serait-il pas de ces détails du récit de P comme de nombreux détails des oracles messianiques ? D’autre part, interdirons-nous à un législateur de se servir de cas de conscience pour rendre plus claire telle décision ? (v. g. A’um., XXVI, 33 ; xxvii, i-i i ; xxxvi, i-ia). — S) D’ailleurs on sera, en toute hypothèse, dans l’impossibilité de savoir à quoi s’en tenir par rapport à certaines circonsliinces secondaires des récits. Qu'à propos de la chronologie, par exemple, on rejette l’idée d’un thème systématique, on se heurtera aux variations des manuscrits, puis à l’impossibilité de faire concorder avec les diverses histoires anciennes des chilTres qu’on finira par déclarer altérés. — s) Enlin, à l’encontre des affirmations de certains critiques, il devient de plus en plus évident que P avait ses sources propres ; il devient donc impossible de le convaincre de mensonge s’il se borne à les reproduire.

64. — B. Autour du Conguès, — Il faut regretter que le P. Lagrange n’ait pu aller au delà de l’exposé de ces questions préjudicielles, A en juger par ce qu’il a écrit en passant soit en divers travaux et comptes rendus de la Revue Biblique, soit dans La Mélliode histurique surtout à propos de VAncieii Testament (igo3), on entrevoit que la partie positive et constructive de son système eût été des plus, caractéristiques et des plus intéressantes. Malheureusement, des controverses s'élevèrent qui, surtout en certaines publications secondaires, allèrent s’envenimant de plus en plus. Notre but n’est pas de les exposer. Nous voulons seulement signaler quelques vues particulières, de nature à éclairer les décisions qui vont suivre et les attitudes qui en résulteront.

65. — a) Dans les séances mêmes du Congrès de Fribourg, le P. Bruckkr avait déclaré « ne pouvoir accepter toutes les conclusions du U. P. Lagiange ». Il lui semblait que, dans le Mémoire du doete Dominicain, « la tradition ne recevait pas le rôle prépondé- i rant qui lui appartient » (cf. Joseph Bbuckbr, S. J., dais Etudes, t.LXXVIll, 1899, p. 671-67^). Quelque dix et onze ans auparavant, le P. Bruclcer s'était expliqué sur le sujet qui nous occupe dans une série de quatre articles dont les trois derniers se rapportaient directement à la question du Pentateuque : Questions actuelles d’exégèse et d’apologie biblique,

I. Principes, dans Etudes, t. XLIII, 1888, p. 71-90 ;

II. L’authenticité des livres de Moïse, ibid., p. 82 1- ^ 340 ; III. Les objections contre l’origine mosaïque du Pentateuque, ibid., t. XLIV, 1888, p. S ; - ; ^, 382-3y6. ' Nous n’insistons pas sur les réponses aux objections, bien qu’on y trouve des points de vue spéciaux qui 1 manquent aux travaux similaires. Il est ])lus inté- | ressant de relever ce que le savant Jésuite déclare au sujet de la rédaction du Pentateuque par Moïse. Que celui-ci soit, dans un vrai sens, l’auteur des cinq livres, « c’est une vérité de foi divine, en tant qu’il s’agit de certaines parties déterminées de ces livres, pour lesquelles l’origine mosaïque est directement affirmée par la Bible. C’est au moins une vérité certaine (theologice certum), quant à l’ensemble du l’entateuque, pris dans sa substance ; parce que c’est une conséquence qui se déduit nécessairement des textes dont nous avons indiqué la longue série. » (Etudes, XLIII, 1888, p. 827). Mais il faut préciser ce