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MODERNISME

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leurs croyances, el qu’ils ne rcpètenl jamais de formules qui ne soient l’expression sincère et naturelle de leur loi, une dernière question se pose et la plus grave de toutes. Que devient la foi et la vie religieuse dans ce système ?

Au jour de la crise, quand l'àme adhère pour la première fois au libéralisme doctrinal, elle croit y trouver le salut ; le conilit de la science et de la foi a été en elle trop douloureux pour ne point lui faire cliérir l’expédient qui l’en délivre, el comme tout l’elTort religieux de l'àme, se détournant de la recherche intellectuelle dont elle désespère, se concentre sur la vie ad’ective, il arrive parfois que le sentiment religieux en reçoit un éclat maUuiif, sans doute, mais, pour un moment, plus vif ; cet épanouissement est précaire. Quand l’esprit ne croit plus, comment l'àme pourrait-elle prier encore ? et qui prierait-elLe ? Le Christ ? mais il faudrait croire à sa divinité, ou du moins à sa survivance. Dieu ? mais il faudrait croire qu’il est personnel, et qu’entre lui et nous il peut y avoir échange de pensée et d’amour.

Du christianisme que resle-t-il alors sinon une vénération que l’habitude seule justilie pour les symboles religieux qui jadis ont nourri la foi, et qui restent riches de souvenirs ? et cette vénération elle-même, accordée aux symboles chrétiens de préférence aux symboîcs bouddhiques, est-elle bien assurée quand aucune croyance ne la justilie plus ?

Voici par quelle « hypothèse » M. P. Stapfer essaye de justifier la prière adressée an Christ ; « Une hypothèse vraisemblable, en faveur de nos jours, estime que lu vie d’oulre-tombe n’est point la condition naturelle et utdvei’selle de l’huïnainté. que ce privilè^j^e n’appartient qu’aux Ames d'élite qui l’ont mérité en triomphant, par l’efTort, du mal qui règne dans le monde et de tous les obstacles opposés, par l’empire de la matière, à la royauté de 1 esprit : par qui les instincts bas de la nature furent-ils plus terrassés que par l’homme divin qui est venu prêcher au monde la « nouvelle nais.^-ance », lu charité, l’amour, le sacrifice.… Quel rigorisme sectaire et pédantesque de taxer d’idolâtrie la prière (lui, naturellement, monte vers lui île nos cœurs ! » (Lu Crise îles croyances rcli^iruse^^ dans la llihtiuthi’que urtiferseltc de Lausanne, juillet iy05, pp. 87, 88).

M. F. Buisson, après avoir discuté la doctrine de M. J. Réville (Le Protestantisme libéral, p. 58), sur le R Dieu vivant >', conclut : « Le credo du protestantisme libéral ne contient pas même la foi a un Dieu personnel. Et sur la relation de l’homme à Dieu, qui est l’objet et le fond mèmede la religion, M. Réville dit expressément dans une note fp. 59) : « La souveraineté absolue de Dieu

« et la dépendance absolue de l’homme à l'égard de Dieu
« est ce que la science moderne appelle la souveraineté
« de l’ordre univei-sel. C’est le point où la foi et la science

i( se rencontrent ». Elles se rencontrent, soit, mais sur une équivoque, diraient nos adversaires. Ils auraient tort, car il n’y a pas équivoque là où l’on prévient que l’on recherche non pas une formule mathématique, mais au contraire ime image, une sorte d’expression approximative, ai-lmettant sur pied d'égalité deux ou plusieurs versions ou explications différentes du même fait » [Libre pensée et Protestantisme libéral^ p. 36)

En 1869, , M. F. Buisson écrivait ; « Quel est le rôle que vient jouer le protestantisme libéral.' Il vient dire aux hommes : distinguez entre les deux éléments du christianisme traditionnel. Vous tous, hommes de science et de raison, — naturalistes, physiciens, géologues, historiens, critiques, — qui ne pouvez plus souscrire ?i la théologie et aux légendes dont l’Eglise a enveloppé Jésus, n’y souscrivez pas, et vous n’en serez pas moins légitimes chrétiens. Jetez à bas l'échafaudage extérieur ; le véritable édifice qui est au dedans de ces constructions fragiles et provisoires, mis à nu, n’eu sera que plus beau. Sapez, détruisez, démolissez toute l’ortliodoxie, vous n’aurez pas ]tour cela porté la moindre atteinte au véritable christianisme, à celui do l’Evangile et de Jésus. Car celui-lî* est d*une nature toute morale ; il est bâti sur le roc de la

conscience et non sur le sable mouvant d’un système quelconque. » En transcrivant, il y a quatorze ans, ce passage dans sa brochure sur la Libre pensée (p. 5 : i, n. 1), M. F. Buisson ajoutait : « Il y avait là, on le voit, au moins dans l’expression, des atlirmations globales en faveur du christianisme que je ne répéterais pas aujourd’hui sans y ajouter les réserves que les progrès de la critique religieuse nous forcent Ji faire, celles menus que font expressément.M. Sabalier et M. Albert lléville, par exemple. Le propre delà libre pensée en religion, comme en philosophie, est de suivre la marche de la science et de rester toujours ouverte aux enseignements nouveaux que peuvent lui apporter l’expérience, l'étude ou la rélicxion. » Cette déclaration honore la sincérité de son auteur, et ne saurait d’ailleurs surprendre persoiïne ; mais il me semble que la page écrite en 18(19 — si semblable, hélas ! à celle que nous er.tendons ; iutour de nous — la faisait a*isez prévoir, malgré son apparente ferveur chrétienne. La foi survit mal aux croyances.

Naguère, M. Schmiedel concluait ainsi une conférence donnée devant des protestants libéraux de Suisse : « Permettez-moi d’ajouter un mot sur la signilication que la personne de Jésus a pour notre piété personnelle. SI, dans toute la liberté de nos recherches, nous nous attachons, comme je fais, à des points que d’autres rejettent, ceci n’intéresse en rien noire culte. Pour moi, je ne dis pas même de Jésus qu’il soit unique ; car ou bien ce terme ne dit rien, — chaipie homme étant unique en quelque façon, — ou il dit trop. Mon avoir religieux le plus intime ne souffrirait aucun dommage, si je devais me persuader aujourd’hui que Jésus n’a point existé. J’y perdrais peut-être de ne pouvoir jilus attacher mes regards sur lui comme sur un homme réel ; mais je saurais que toute la piété que je possède depuis longtemps ne serait point perdue, pour ne pouvoir plus se rattacher à lui… Mais comme historien je puis dire que cette hypothèse n’est pas vraisemblable. Ma vie religieuse ne serait point troublée non plus, si Jésus m’apparaissait comme un exalté à cause de ses prétentions à la messianité, ou si je voyais en lui quelque autre chose que je ne pusse approuver. Mais comme historien je tiens pour vraisemblable ce que j’ai exposé ci-dessus. Ma piété n’a pas besoin non plus de voir en Jésus un modèle absolument parfait, et je ne serais point troublé, si je trouvais quelque autre qui l’eût surpassé ; au reste, il est hors de doute que sous certains rapports il a été surpassé… Mais jusqu’ici nul ne m’a montré encore un homme, qui ait été plus grand que Jésus dans ce c|ui fait sa valeur propre. » (Die Persun Jesa imStreile der Meinungeii der Gegemart, Leipzig. 1906,

P- ^9-), ,.

Encore une fois, cette attitude est logique ; mais

quiconque pense ainsi peut-il encore se dire chrétien ?

Les conséquences du libéralisme doctrinal, si graves pour les individus qui le professent, le sont plus encore pour les confessions n ligieuses qui le tolèrent. Une Eglise en elfet est une réunion de croyants, et elle doit pouvoir exprimer la foi de ses membres dans une formule qui leur soit commune ; que fera-t-elle, si elle ne peut assurer ni chez ses membres ni même chez ses ministres l’uniformité des croyances ? M. Ménégoz pose ainsi le problème et le résout à sa manière : « Une Eglise sans confession de foi, comme la rêvent quelques idéologues libéraux, est une chimère, et une Eglise dont tous les membres seraient tenus d’avoir les mêmes croyances, comme y aspirent quelques champions de l’orthodoxie, porterait en elle-même le germe de la dissolution. Que nos frères réformés maintiennent à la base de leurs organismes ecclésiastiques respeclifs