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MODERNISME

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elle, le rapport entre les deux règles de foi, la conscience individuelle et l’autorité de l’Eglise.

Le devoir de la foi, comme tout autre devoir, est intimé à chacun par sa conscience ; on perçoit 1 obligation de croire Dieu, s’il nous a parlé, de même qu’on perçoit l’obligation de lui obéir ou de l’aimer. Mais quel critère nous fera discerner la parole de Dieu ? Sera-ce notre conscience, sera-ce une autorité extérieure ?

Cette question ne se pose évidemment que pour quiconque a déjà adhéré en eCfel à une autorité extérieure en qui il reconnaît une autorité divine. Si une telle autorité n’existe point pour lui, il n’a qu’un critère de foi, sa conscience ; à lui s’applique ce que saint Paul disait dos païens : « Ipsi siii sunl lex. » S’il entend parler de Jésus-Christ et de son Eglise, il n’aura, pour discerner la vérité de leur message, que la gràee divine et ses lumières personnelles. On ne pourra, d’autorité, lui dicter son choix, mais seulement lui faire prendre contact avec la véiité chrétienne, lui faire saisir les titres qu’elle a à sa créance, prier Dieu de l'éclairer et le remettre entre les mains de son conseil.

Mais, du jour ofi il a reconnu dans l’Eglise catholique l’interprète autorisé de Dieu, il engage par là même sa foi à toute la doctrine qu’elle lui propose ; il devra ainsi adhérer à bien des dogmes, sans pouvoir en contrôler la vérité intrinsèque, et avant d’en sentir l’inlluence bienfaisante sur sa vie. Sa conscience lui parle encore, elle lui intime l’obligation de croire aux différents dogmes chrétiens ; mais cette voix est l'écho de la voix de l’Eglise, cette règle est assujettie à une règle supérieure, le magistère de l’Eglise, en qui elle vénère l’autorité même de Dieu : « Mes frères, disait Newman aux anglicans de Birmingham, peut-être me direz-vous que, si toute recherche doit cesser du joiu- où vous deviendrez catholiques, vous devez être bien sûrs que l’Eglise vient de Dieu avant de vous joindre à elle. Vous dites vrai ; nul ne doit entrer dans l’Eglise sans être absolument décidé à s’en tenir à sa parole dans toutes les questions de doctrine et de morale, et cela parce que l’Eglise vient directement du Dieu de vérité. Il faut regarder l’entreprise en face et en calculer le prix. Si vous ne venez pas dans cet esprit, vous n’avez qu'à ne pas venir du tout. » Discourses to mixed congrégations, XI (Failli and doubl). (On a cru voir dans la doctrine moderniste du t( primai de la conscience i une conséquence de la doctrine de Newraan ; je crois avoir montré que l’on s'était mépris : 7?ei’ue pratique d’Apologétique, i" mars igo' ; , pp. Gô'j-ôjô).

Le moderniste ne peut admettre cette thèse, toute sa théologiela repousse. La révélation, nous l’avons >Ti, est pour lui strictement individuelle, incommunicable. Comment dès lors admettre qu’une autorité extérieure, si sacrée soit-elle, puisse s’interposer entre Dieu et lui, pour lui notifier cette révélation que lui seul perçoit, ou même pour la lui interpréter ? i Le catholique religieux et formé par la culture moderne tient pour vrai ce à quoi le pousse l’amour de Dieu ; il tient quelque chose pour vrai, non parce que Dieu, considéré comme autorité e.riérieure, l’a dit, mais parce que la voix de Dieu est en même temps sa voix, et qu’il est intimement uni à Dieu. » (Docteur K. Gbbkht, Katholischer Glaiihe, p. ^6)

Le dogme, à son tour, n’est qu’une représentation intellectuelle provoquée par l'émotion religieuse, et apte à l'éveiller chez d’autres consciences. Puisqu’il n’est point infailliblement vrai, on ne peut l’imposer à la croyance de personne ; et puisque

toute sa valeur est une valeur d’utilité, chacun doit en user selon les besoins de sa conscience. D’où cette règle qu'énonçait déjà Samuel Vincent, un des précurseurs du protestantisme libéral en France : « Tout dogme qui n'éveille pas un écho dans l'àme, qui ne lui fait pas rendre un son, n’est pas nécessaire pour le salut. » (Cité par A.-N. Bertrand, La pensée religieuse au sein du protestantisme libéral, p. 22). Tjrrell écrit de même : « Noire expérience religieuse, étant le sens des relations dj-namiques qui relient notre esprit à l’esprit universel, nous donne un critère pratique en vertu duquel nous liouvons écarter toute théorie incompatible avec cette expérience » (Quarlerly Re^iew, octobre igo5, p. 483 ; Througk Scjlla and Charybdis, p. a30) ; et à un catholique, qui se plaignait de ne pouvoir adhérera l’enseignement ofQciel de l’Eglise, il écrit : a Si le germe primitif suffit à votre vie, vous pouvez vous dispenser du développement, surtout s’il vous choque et vous entrave. > (A mucli-abused letter, p. 86). Il exposait plus clairement encore sa pensée dans l’introduction de son dernier livre :

« (Les pionniers du progrès) sont déférents, autant

que le permet la conscience et la sincérité, vis-à-vis des interprètes officiels de la pensée de l’Eglise, mais ils doivent cependant interpréter leurs interprétations d’après la règle plus haut et suprême de la vérité catholique, c’est-à-dire la pensée du Christ. C’est lui qui nous envoie vers eux ; ce ne sont pas eux qui nous envoient vers lui ; il est notre première et suprême autorité. S’ils interdisaient l’appel, ils ruineraient leur propre autorité subalterne. « (Through Scylla and Charybdis, p. 19).

Cet appel, du pape au Christ ou à l’Esprit, est trop évidemment protestant pour ne point choquer un catholique : conQant aux promesses du Christ et soumis à ses ordres, il sait qu’en écoutant l’enseignement du pape, il écoute l’enseignement du Christ, et qu’en méprisant l’enseignement du pape, il mépriserait l’enseignement du Christ ; il sait que le chrétien n’est point seulement enseigné de Dieu individuellement etdansle silence de sa conscience, mais aussi collectivement par le magistère officiel de son Eglise. Mais ce qu’il faut remarquer surtout, c’est que la thèse protestante, qui se manifeste ici avec tant d'évidence, est la conséquence inéluctable de tout le système : si la révélation est communiquée immédiatement à chaque àme, si elle n’est essentiellement qu’une émotion religieuse, si le dogme n’est qu’une conception humaine plus ou moins intimement liée avec cette émotion et plus ou moins bienfaisante pour notre vie, si la formule n’est qu’un pur symbole et n’a qu’une utilité pratique, iln’j' a plus de place pour une autorité dogmatique infaillible ; en d’autres termes, quiconque adhère à la philosophie religieuse telle que Sabatier l’expose dans son £squisse, ne peut se refuser à l’option qu’il propose entre la religion de l’autorité et la religion de l’espx’it, ni la trancher dans unautre sens que lui.

Dans ces conditions, l’Eglise peut encore être regardée comme une institution bienfaisante, qui nous transmet les expériences religieuses du passé, et nous unil entre nous par la profession des mêmes formules et par la célébration des mêmes rites ; elle peut, à bon droit, nous demander une attitude déférente, respectueuse de sa hiérarchie et de ses définitions. Elle peut, en un mot, être encore un gouvernement et compter que, même au prix de quelques sacriGces, nous conformerons nos démarches à ses règlements. Mais elle n’est plus le corps du Christ, dans lequel et par lequel toute grâce est communiquée du chef aux membres.