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MODERNISME

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dans les premiers documents clircliens, nous ne trouvons pas cal elïorl rclléclii de la pensée qui coordonne des données et les organise en système ; nous y trouvons par contre l’expression naturelle cl spontanée d’une croyance, d’une adhésion de l’esprit à une réalité révélée.

Cette adhésion primitive à la réalité divine, cette perception toute c>>ncrcle et toute vivante, est la source unique d’où tous les dogmes ont découlé. Longtemps, sans doute, beaucoup d’entre eux sont restés latents dans la richesse de cette perception première, qui ne cessait d’alimenter la pensée cl la vie de l’Eglise ; peu à peu, sous l’effort d’un travail ])lus ardent, d’une piété plus vive, ou souvent sous le choc d’une contradiction, l’Eglise, éclairée par le Saint-Espril, prenait plus clairement conscience de ces vérités qu’elle portait en elle ; et ses arrêts infaillibles n’ont jamais été réformés ; jamais non plus nul n’a pu corriger le sens que l’Eglise leur avait une fois donné. Jlinc sacrorum quoque dogmatiim is sensus perpétua est retinendus, quem semel declava177.Sanctii Mater Ecclesia, noc nnquam ah eo sensu, altioris intelligentiæ specie et /lomiiie, recedendum. (Ciincil. Vatic.)

Dans ce progrès vital, ce n’est point la révélation qui croît, c’est l’Eglise qui en acquiert peu à peu une prise plus consciente et plus neltement définie. Crescat igitur et multum l’ilieinenierque proficiat, iam si/’.gulnriim, quant omniiuni, tam unius hominis, quani tutius Ecclesiae, aetatum et sæculoriini gradihus, inielUgentia, scienlia, snpienlia ; sed in suo diimtiixat génère, in endem scilicet dogmaie, eodem sensu, eademque sententia. (Il>-)

Sur tous ces points, les modernistes ne peuvent s’accorder avec nous. A l’origine, la ré^ élation chrétienne, comme toute révélation, a élé d’après eux une impulsion, plus ((u’une lumière. Les auteurs du Programma italien indi(]uent ainsi où aboutissent, d’après eux, les recherches impartiales de l’histoire :

« Les conclusions de cette méthode, appliquée à

l’histoire du catholicisme, ont été d’une ellicacité désastreuse pour les vieilles positions de l’enseignement thcologique. Au lieu de trouver aux origines, ne fùlce qu’en germe, les aflirmations dogmatiques formulées au cours des siècles par le magistère ecclésiastique, nous avons trouvé nue forme religieuse qui, amorphe et adograatique à l’origine, est parvenue par un lent développement à des formes concrètes de pensée et décrite ; ce développement était dû aux exigences des relations collectives, à la nécessité d’exprimer abstraitement les principes qui devaient informer l’activité religieuse des lidèles, à l’efTorl des penseurs chrétiens, aux contre-coups de la lulte contre les hérétiques. Le message évangélique n’eût pu vivre ni se répandre dans sa simplicité spirituelle. » (P. 79)

Tyrrell écrivait de même : « La première forme de la révélation chrétienne fut cnlièrement celle d’une prophétie, d’une vision. L’enseignement moral de l’Evangile n’était point considéré comme en faisant partie, ni comme contenant rien de nouveau. Le royaume du ciel, sa nature, son avènement voilà quelle était la bonne nouvelle. ;. (Tlie rights and limits of tlieology [Qunrterly Review, p. 468]. Scrlla and Cliaryljdis, Y>. 211).

Cependant, il fallut vivre et penser ; on se mit à interpréter la première expérience chrétienne ; voici, à titre d’exemple, comment les auteurs du Programme nous retracent les adaptations successives qu’on lit subir à la première conception du Christ : a Les Actes, se faisant l’écho de l’enseignement chrétien primitif, décriventJésus comme un homme auquel Dieu a rendu témoignage par les miracles, les

prodiges, les signes qu’il a opérés par son entremise (Act., II, 22). Il est le Jlcssie ; sa mort ignominieuse lui a conféré la gloire céleste et il doit revenir pour inaugurer son royaume. Voilà la foi naïve et intense des premiers disciples. Mais le Christ a appelé les membres de la famille humaine fils de Dieu et s’est donné comme leur modèle. Il est le fils de Dieu par excellence, d’après la synonymie que la tradition messianique établissait entre ce titre et celui de Messie.. Mais, ce qui marque le point culminant de cette élaboration, c’est la traduction du concept hébraïque du Messie par le concept platonicien du Logos ; c’est l’identilàcation du Christ, tel qu’il était apparu aux âmes attendant dans l’angoisse la rédemption d’Isracl, avec la notion abstraite, germée en terre hellénique, de l’intermédiaire cosmique entre l’Etre suprême et le monde ; c’est la transcription, pourrait-on dire, delà valeur morale et religieuse, inhérente à une conception hébraïque inintelligible ])our le monde gréco-romain, en langage alexandrin, lui conservant ainsi la même valeur éthique et religieuse. » (// programma dei niodernisti, pp. 81-83. J’ai omis au milieu un développement concernant le progrès du dogme de l’Espril. — On trouvera, pp. 70 sqq., un exposé analogue des adaptations successives de la christologie.)

Un chrétien dont la foi est ferme, et qui n’est pas initié à cette théologie fuyante, sera déconcerté par ces exposés. Il essaiera de presser les auteurs ; de ces croyances que vous énumérez, laquelle est la vraie ? Est-ce la « foi ingénue » des jiremiers disciples, est ce le messianisme des Juifs, est-ce la spéculation des Grecs ? On lui répondra que toutes le sont au même titre, puisque toutes ont « la même valeur éthique et religieuse » ; a-t-il donc si vite oublié que » pour chacun sa vie est l’unique absolu, et que tout ce qui la nourrit a la valeur d’un absolu K ?

Ainsi, sous cette bigarrure des symboles, la foi reste toujours identique. Il n’y a plus à jiarler de progrès du dogme et, par là, les modernistes se flattent d’être plus orthodoxes que leurs contradicteurs, plus même, peut-être, que le concile de A’nlican. (Cf. G. Tyrrell, Tliénlogisme [Revue pratique d’Apologétique, 15 juillet iyo7l, pp. 5a’j, 523) « Tout a changé dans l’histoire du christianisme, pensée, hiérarchie et culte : mais tous les changements ont été des moyens providentiels pour la conservation de l’esprit de l’Evangile, et cet esprit religieux s’est conservé identique à travers les siècles. Les scolastiques ou les l’ères du concile de Trente ont eu sans doute un patrimoine théologique infiniment plus riche qu’un chrétien du premier siècle ; mais l’expérience religieuse qui les a faits chrétiens a élé la même en eux qu’en lui. Elle est encore la même aujourd’hui en nous, bien qu’elle tende peu à peu, par delà les barrières de la scolastique, vers une nouvelle formule où elle s’exprime. Les formules du passé cl celles do l’avenir ont été et seront également légitimes pourvu qu’elles respectent lidèlemenl les besoins de la reli-giosité évangélique, avide de trouver dans une pensée réfléchie les instrumenls de saconservation. » (// programma dei niodernisti, p. 90)

Leurs conceptions respectives sur la vérité du dogme chrétien commandent l’attitude du catholique et du moderniste vis-à-vis des symboles de foi que l’Eglise impose à ses enfants. Le catholique sait que les réalités divines qui lui sont révélées, dépassent infiniment sa portée. Il sait que les formules mêmes que l’Eglise lui propose sont très inadéquates à leurs objets. Il y adhère, cependant, de toute son âme, sachant que seules elles éclairent infailliblement sa roule vers Dieu. A mesure qu’il y avance,