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MODERNISME

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Mais, au sein inêiue du catholicisme, le christianisme libérai n’a-t-il pas fait des recrues ? C’eut été un véritable miracle que tout accès lui lût fermé : les prolestants avaient, il faut le reconnaître, pris sur nous une grande avance dans le cours du dernier siècle ; pour l’établissement et l’interprétation du texte biblique, pour la théologie de l’Ancien et du Nouveau Testament, pour l’histoire des origines chrétiennes et du développement ultérieur des dogmes, nul ne pouvait, nul ne peut encore, sans présomption et sans dommage, se passer de leurs travaux. Or, il était dillicile d’en proliter sans en subir l’inlluence, sans se laisser attirer, par le prestige d’une science incontestable, vers des thèses que la foi condamne. Certains esprits étaient plus sensibles à l’altrail de la j)hilosophie religieuse, telle qu’elle est exposée, par exemple, dans les livres de A. Sabalier ; les conceptions idéalistes qu’ils préféraient les avaient prédisposés à subir cette influence, et ils croyaient entrevoir, par delà l’étroit horizon des formules dogmatiques, alfranchie des entraves lliéologiques qui leur pesaient, une foi désormais libre et sereine.

Nous n’avons point à condamner ici ceux que ce mirage a séduits ; nous ne sommes point leur juge, et leurs écrits, d’ailleurs, portent la trace de trop de soulîrances pour que nous puissions les lire sans pitié. Nous attachant seulement à décrire leurs idées, nous remarquons l’impression qu’elles ont produite eu dehors même de l’Eglise. Les libéraux les plus avancés ont reconnu leurs thèses, et ont salué avec joie ces nouveaux frères d’armes, sur l’appui desquels ils n’avaient pas compté. L’un des plus avancés parmi les lil)éraux anglais, l’apôtre de la Nouvelle Théologie, M. G.i.Mi’BELL, disait, en [larlanl du mouvement qu’il s’attache à pi’omouvoir : « Il n’y a point d’Eglise où ce mouvement soit plus accentué, à l’heure actuelle, que la vénérable Eglise de liome elle-même, l’Eglise-mère de la chrétienté occidentale. C’est exactement le même mouvement qui, sous une forme légèrement dill’ére nie, est représenté dans notre pays par la Nouvelle Théologie, el est développé en ilalie el ailleurs par les catholi(iues romains sous un autre nom. » (R. J. Campbell, The aiin of ihe jVen’Theology movement [Uibberi Journnl, avril 1907], p. 4*^9) Un autre faisait remarquer que le mouvement était plus profond et plus puissant qu’il le pouvait paraître à ceux qui en jugeaient seulement d’après ses manifestations les [ilus bruyantes, c’est-à-dire d’après les publications de Loisy, de Kogazzaro el de

compléter ces indications par deux thèses de théologie pi-ùle.Hta : iLe, tiolit la seconde surtout a un grand intérêt ; .. AitxAL, La pLTsonne du Christ et le ratioiialisnie alUinattd contemporain (Paris, l’JO’j) ; M. Gogukl, Wilhelrn Herrrnunn et le problème reiigieiix actuel (Paris, 1906), — L’histoire du protestantisme libéral français a été esquissi-p par M. A. Bertrand qui appartient lui-même à ce parti 1 La pensée religieuse au sein du protestantisme libéra ! Ses déficits actuels, son orientation prochaine. Paris. 1003) : ses doctrines ont été exposées par M. J. Uévill’(/.f protestantisme libéral, ses origines, sa nature, sa mission. Paris, 1903) ; on trouve sur le niéuie sujet une discussion inttTessante dans Libre pensée et protcstan-’. isme libéral, l’uris, 1903, par V. Buisso.n et Gli. Wacnek. Le syrabolo fidéisuie. aujourd’hui très rapproché du libei-ali-me, a été surtout exposé et défendu >ar A. Sahatier lEsffuisse d’une philosophie de la religion d’après la psy< hilogie et l’histoire et Les Ueiigions d’autorité et la Heli^ion de l’esprit) et E. Alénégoz (Publications diverses sur le fidéisme et son application à l’enseignement chrétien iradilionnel. Paris, 1900). Parmi les auteurs))rotestaiits qui’<^’nl combattu, on peut ciler H. Bois (De la connaissance religieuse. Essai critique sur les récentes discussions. i’nris, 1894) et E. Doumergue (Les Etapes du fidéisme Paris, s. d.).

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Tyrrell : « Les catholiques romains, disait-il, sont formés à une forte discipline… Les libéraux parmi eux ont, nous pouvons le supposer, un peu de cet empire sur soi, de cette prudence, de cette diplomatie, voire même de ces finesses où nous voyons un mérite, ou un démérite, de leur Eglise. Le fait même qu’ils jugent prudent d’écrire sous des pseudonymes est, de soi, assez signilicalif. L’étendue el la puissance de ce mouvement ne peut donc pas èlre justement ap|)réciée par ce qui apparaît à sa surface. Au-dessous, le courant entraîne, puissant el silencieux. » (J. L. Thomas, The free cutholic idéal [Hibbert Journal, juillet 1907], p. 800)

En même temps que cette confiance prématurée — qu’autorisaient mal des observations inexactes et des jugements très exagérés — se manifeslait assez fréquemment la surprise et même le scandale que des catholiques crussent pouvoir concilier une critique si radicale des dogmes ehréliens avec la soumission qu’ils iirofessaient envers leur Eglise’. Nul ne songeait à s’étonner qu’un chanoine anglican, ou qu’un professeur de théologie dans une université protestante d’Allemagne s’appliquassent à ruiner les croyances traditionnelles, mais on ne pouvait accorder la même licence à un prêtre catholique romain. C’était équivalemment rendre témoignage à la fermeté dogmatique de l’Eglise romaine, el l’acte que nous commentons est venu montrer à tous qu’on n’en avait point trop présumé.

Dans cette crise qui ébranle la chrétienté to>il entière, une seule voix [)ouvait se faire écouter et respecter, c’était la voix du pape. Déjà, elle avait fait entendre plus d’un avertissement ; mais la parole qu’elle a prononcée enfin est si grave et si solennelle, qu’elle fait oublier toutes les autres.

A beaucoup de chrétiens, elle a révélé un danger qu’ils ne soupçonnaient pas, et l’exposé des doctrines modernistes qu’elle leur a fait entendre a été pour eux une leçon i)lus éloquente que toutes les censures. Cet exposé n’était [loint i : ne charge, encore moins une caricature ; un des plus qualifiés parmi les modernistes écrivait : « Le portrait du moderniste qu’on nous présente eslsi séduisant pourtoutesprilcuUivé, et les thèses qu’on lui oppose sont si repoussantes, que l’Encyclique est une lecture dangereuse pour les enfants du siècle. (G. Tyurbll, dans le Times du 30 septembre 1907) M. Aulaud en jugeait de même dans un article, d’ailleurs peu bienveillant, qu’il a communiqué très liliéralement à plusieurs journaux de province : « L’exposé du modernisme, dit-il, est détaillé, intéressant, tout à fait curieux… Ce qui est notable, nouveau, c’est que l’Encyclique expose le j modernisme non sous forme de caricature, mais avec

! une sorte d’objectivité et presque dans lotit son

charme. On voit là, dans leur ampleur et leur agrément, les idées de ceux qui veulent adapter le catholicisme à l’état actuel des esprits, aux besoins actuels des sociétés… Toutes les tendances novatrices des catholiques en matière de foi, d’exégèse, ou dans les questions politico-sociales sont élégamment résumées, parfois développées dans cette longue encyclique. Toutes y sont condamnées comme absurdes,

1. M. Campbell, après avoir cité un long fragment de l’article-programme du Hinnovamento, signé (le M. T. ScoTTi, remarque : « Ce passage eût pu être écrit par Auguste Sabatier lui-même, car il i-espire l’essence de la religion de l’esprit… Comment l’auteur l’éconcilie cette thèse avec l’obéissance due à l’autorité ecclésiastique, c’est ce qu’un outsider a quelque peine à comprendre. » (Ilibbert Journal, avril 1907, p. 490.) Cf. sur M. LoisY, SandAï, The Criliciêm ofthe fourth Gospel, p. 28. Oxford, 1905 : Mason, dans Cambridge theological essays, p. 455. i Londres, 1905.

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