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MODERNISME

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peuvent aujourd’hui diviser en deux classes : ceux qui datent d’avant Kant et ceux qui ont reçu l’initiation et comme le baptême philosophique de sa critique. a{Estjaisse, p. 359)

Les catholiques modernistes n’en disconviennent pas et se réclament en effet de cette initiation. (Ge-BKRT, KaChoUscher Glaiibe, pp. 28 sqq.) Mais dès lors les anciennes assises de la foi sont renversées, comme Us le constatent eux-mêmes : « Les prétendues bases de la foi nous sont apparues comme incurablement caduques. » (H programma, p. 11) M. MiiNÉGOz, professeur à la Faculté de théologie protestante de Paris, a raconté la crise religieuse qu’il traversa, lorsque Kant réussit à démolir ses quatre bonnes preuves de l’existence de Dieu, et à lui enlever ainsi toute certitude religieuse ». (Le fidéisme el la notion de la foi Reyue de ihéol. et des qæst. re//, ’., juillet igoS], p. 48). La même crise se reproduit chez les catholiques : « Avant tout il faut reconnaître, dit le manilesle italien, que les arguments fournis par la métaphysique scolastique pour démontrer l’existence de Dieu — arguments tirés du mouvement ; de la nature des choses Unies et contingentes ; des degrés de perfection et de la finalité de l’univers — ont perdu aujourd’hui toute valeur. Dans la revision générale que la critique post-kantienne a faite des sciences abstraites et empiriques et du langage philosophique, les concepts qui servent de base à ces arguments ont perdu le caractère absolu que leur avaient attribué les péripatéticiens du moyen âge. » (Il programma, p. 98)

La crise étant totale et renversant toute l’orientation de la pensée, on ne peut rien sauver de l’ancien intellectualisme ; pour le moderniste, il est impensable et quiconque s’y attache encore s’exile de la pensée contemiioraine. Désormais on désespère d’atteindre l’absolu par la conception intellectuelle, mais on croit le trouver par l’action el la vie : (1 Puisque notre vie, disent les modernistes italiens, est pour chacun de nous quelque chose d’absolu, ou plutôt l’unique absolu, tout ce qui en émane et tout ce qui y retourne, tout ce qui en alimente et en enrichit le développement, a également la valeur d’un absolu, n (Il programma, p. 112). Nous suivrons plus bas l’application de ce principe dans la théologie des modernistes. Il suflisait ici de marquer l’orientation générale de leur pensée’.

Leur exégèse et leur histoire a été dominée par ces thèses ; c’est, par exemple, sous l’influence de ces préoccupations qu’ils ont imaginé à l’origine du christianisme « une forme religieuse amorphe et adogmatique » (// programma, p. 79. Cf. infra, p. 187) ; mais ce qui a été encore plus décisif pour l’orientation de leurs travaux, c’est ce principe initial de l’indépendance récijjroque de la science et de la foi. Leur exégèse, nous l’avons vu, s’inspirait en cela de leurs théories philosophiques ; mais, par un contre-coup inévitable, elle en a, à son tour, accru la portée.

1. Il faut toutefois remarquer dès maintenant combien le subjectivisme de Kant rendait précaire l’adhésion à une religion d’autorité. On peut lire, à ce sujet, les remai’ques très justes de 0. Plleiderer, reconnaissant le principe même du protestantisme dan » la critique kantienne :

« On conçoit, dit-il, (la défiance envers Kant)

dans nue Eglise qui repose depuis quinze siècles sur le principe tle rautorité sacerdotale. Mais TEglise protestante, qui a secoué le joug de cette autorité, nui a revendiqué les droits de la conscience individuelle, qui a pris pour unique principe la foi, c’est-à-dire le don du cœur à la volonté divine, celle Eglise ne devait-elli^ pas reconnaître dans la religion de la conscience, telle que Kant l’a conçue, l’esprit de son esprit ? » [Geschichte dcr Religionsphilosopfiie, p. ti).

On pouvait prévoir les ravages que devait faire une science ainsi émancipée ; même si elle fût restée neutre, elle pouvait faire fausse route, et ébranler les fondements mêmes du christianisme ; mais surtout cette neutralité était illusoii’e ; comme il arrive toujours en jiareil cas, le ressentiment de la sujétion provoqua une réaction : toute thèse traditionnelle fut tenue ijour suspecte, toute hypothèse hardie pour probable, et les documents, jusque-là les plus vénérés, du christianisme furent traités avec une déliance et un mépris que les textes profanes ne rencontrent pas. (On peut lire à ce sujet la protestation qu’élevait, il y a quelques années, Fr. Blass, au nom de la philologie, contre la théologie libérale et ses méthodes de critique. Acta apostolortim, editio philologica, Gôttingen, iSgô, p. 30).

Des travaux de détail inspirés par ces préoccupations et conduits d’aiirès cette méthode, se multiplièrent de tout côté, surtout dans les Universités protestantes d’Allemagne. Le public non spécialiste prêtait peu d’attention à ces dissertations et à ces thèses, mais à la longue les efforts convergents de tous ces travailleurs, dont certains étaient d’admirables érudils, élevaient une construction scientifique, qui se dressait en face des croyances li’aditionnelles. Le sens des dogmes les plus fondamentaux se trouva ainsi mis en question, et aux mêmes problèmes la science et la foi semblèrent donner désormais deux réponses contradictoires : ainsi en fut-il, par exemple, pour la conception virginale du Christ, pour sa résurrection, pour sa préexistence et sa nature divine. Une option s’imposait alors, impérieuse, cruelle, entre la science et la foi ; ce que furent pour beaucoup d’âmes les angoisses de ce conflit, Dieu seul le sait ; c’était alorsque la philosophie religieuse que j’esquissais plus haut, s’olfrait comme la solution libératrice : sans se mentir à soi-même on ne pouvait nier la science, et sans briser sa vie on ne pouvait renier la foi ; pour échapper à l’alternative, il suflisait de comprendre enfin que la toi n’était point enchaînée à une forme déterminée des croyances, et que si le savant devait abandonner à la critique toutes les croyances de son enfance, il pouvait quand même maintenir l’intégrité de sa foi. (( Cette conviction (que nous sommes sauvés par la foi, indépendamment de nos croyances) libère notre conscience vis-à-vis des données scientifiques, historiques et philosophiques que l’orthodoxie voudrait nous présenter comme des éléments constitutifs de la foi chrétienne. Et en nous rendant indépendants à l’égard de ces facteurs d’ordre profane, elle nous alTermit dans notre foi religieuse et nous donne une paix et une joie qui contrastent singulièrement avec le trouble angoissant que produit le doute dans une conscience dominée par les principes de l’orthodoxie. Quand je fais ces affirmations, je parle d’expérience, car j’ai passé par ce trouble et je connais cette joie. Je voudrais communiquer mon bonheur à tous ceux qui, comme je le fus autrefois, sont tourmentés par ces doutes… » (E. Ménégoz, Une triple distinction théologique, p. 22. Paris, 1907)

C’est d’abord et surtout au sein des Eglises protestantes que cette attitude s’est manifestée. Depuis longtemps, elle frappe tous les observateurs attentifs, ceux-là mêmes qui sont le moins soucieux d’orthodoxie (Guyau, L’Irréligion de Va^’enir, pp. xv, 131-156) ; l’histoire du protestantisme libéral serait trop longue à suivre ici, et bien des parties, d’ailleurs, en ont été excellemment racontées’.

1. Pour l’Allemagne, le livre de M. Goyau IL’AHeniagne religieuse, le Protestantisme. Paris. 1898} fournit des indications très abondantes et très sures. On peut