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MODERNISME

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incompétence en malière d’exégèse. Un fait, cependant, frappe les moins attentifs, c’est que philosophes et exégètes se sentent en communion d’idées, et se comprennent à demi-mot. Le seul philosophe que cite M. Lois}' dans L'£fangile et l’Eglise est Ed. Gaird, le même qui devait plus tard prêter sa collaboration au Rinno^ainenlo : inversement quand Tyrrell veut esquisser les origines de la révélation chrétienne, c’est sur M. Wernle qu il s’appuie.

Un autre fait est plus signiUcatif encore. On sait que, dans les différentes confessions iirotestantes, s’est formé, au cours du dernier siècle, un parti de gauche, dit libéral, dont les tendances et les méthodes sont conscientes, connues de tous, et relativement faciles à analyser. Or, ces protestants libéraux reconnaissent dans le mouvement moderniste une manifestation de l’esprit qui les anime eux mêmes ; quelles que soient les diflérences de surface, ils sentent que le même courant profond qui les entraîne, entraîne aussi les philosophes et les exégètes libéraux de la communion romaine. « Dans toutes les Eglises, écrivait M. Campbell, ceux qui croient à la religion de l’Esprit peuvent se reconnaître comme des frères. » (The « en T’neology [Londres, lyo^], p. 13)

On retrouve la même impression chez des modernistes catholiques : « Une grande crise des âmes, écrivent les modernistes italiens, crise qui ne date pas d’aujourd’hui, mais qui atteint aujourd’hui un plus haut degré d’Intensité, travaille toutes les confessions religieuses positives en Europe : le catholicisme, le luthéranisme, l’anglicanisme. Ce sont, en général, les nouvelles alliludes de la conscience publique qui contrastent avec les formes traditionnelles de l’esprit religieux ; ce sont les résultais de la science qui, aisément vulgarisés, répandent une déliance instinctive vis-à-vis des titres métaphysiques et historiques dont se réclame l’enseignement dogmatique des Eglises. » (Il programma dci moderiiisli, p. icSo)

De part et d’autre on sent que l’accord sur cette critique fondamentale du dogme fait disparaître comme des divergences accessoires les contradictions qui opposaient jusque là les uns aux autres les symboles de foi des dilTérentes Eglises ' ; et, chez les protestants, on salue déjà le jour prochain « où le mouvement libéral catholique deviendra le mouvement catholique libre, dans lequel le protestantisme et le romanisme seront dépassés ou réconciliés dans l’unité supérieure d’une religion sans dogme -. »

1. '< Non seulement les Eglises garderont toutes leurs fonctions de gardiennes de la vérité prophétique ou révélée, et de la Ûexible unité du dogme analogue ù l’unité des rites et des observances, mais débarrassées de leur prétention indéfendable à l’inerrance scientifique — prétention aussi surannée que celle & la juridiction temporelle ou coercitive — elles recouvreront leur dignité et leur crédit gravement compromis. Bien plus, leurs divisions doctrinales, le fruit le plus amer du mensonge dogmatique, cesseront d être regardées comme des différences de foi, quand la nature prophétique de la vérité dogmatique sera plus intelligemment reconnue. » (G. TvRKiiLL, T/ie riglila and limits of Theoloffi/. Quarteily Iiii’iei octobre 1905, p. 491). Eu reproduisant cet article dans Sctjlla and Charybdis, Tyrrell a corri(jé

« divisions doctrinales » en « divisions purement théologiques » (p. 241) ; l’expression change, le sens reste le

ménie. étant donné la valeur que l’auteur prête au mot

« théolo^'itjue ».

2. J. Llotd Tuomas, The frec cathoUc idéal [Hlbbert Journal, juillet 1307), p. 801. Cf..). Bruce Wallace. An altempt to realise Mr. CampbeU’s proposai [ibid.), pp. 903-905. — On peut lire, dans le mime sens, l’article

On peut donc, sans injustice, s’aider de la connaitsance qu’on a déjà du christianisme libéral pour interpréter à sa lumière la théologie moderniste. Au reste, on ne prétend point par là imputer aux modernistes toutes les thèses libérales, ni même les rendre tous solitaires les uns des autres. Le modernisme, comme le libéralisme, est une méthode avant d'être une doctrine ; on peut en restreindre ou en étendre plus ou moins le champ d’action ; je l’exposerai ici sous sa forme la plus radicale ' : c’est elle qui est le plus directement visée par l’encyclique, et c’est par elle que l’on peut le mieux discerner la portée du mouvement. Je serai attentif à n’imputer à ijcrsonne que les thèses qu’il a soutenues ; le lecteur voudra bien n’en point étendre la responsabilité à d’autres. L’exposition me sera d’ailleui-s grandement facilitée par le manifeste italien ; la plupart des thèses modernistes y sont formulées avec toute la clarté désirable.

Ch. L — Les principas du modernisme. — Pour faire comprendre la direction du mouvement, il est indispensable, je crois, d’en esquisser très brièvement l’origine. Les modernistes italiens, cités plus haut, en marquent exactement les deux causes principales : l’attitude de la conscience religieuse, la critique philosophique et scientiiique.

Dans une conférence sur la foi catholique (Katkoliicher Claube urul die Entwicklung des Ccisteslebens. Œffentlicher Vortrag gehalten in der Krausgesellschafl in Miinehen am lo januar igo5 von D Karl Gebert. Miinehen, igoô. Selbstverlug der Krausgesellsehaft) prononcée et publiée sous les auspices de la Krausgesellschaft, M. K. Gedbrt répète avec insistance que la foi d’autorité est la caractéristique de l’homme du moyen âge, et qu’elle répugne à l’homme moderne. (P. tiÈ, etc.) La reiuarque est juste, et par ce côté les modernistes appartiennent bien à leur époque ; ils revendiquent l’entière autonomie de leur conscience ; ils veulent bien être des fils de l’Eglise, mais des fils émancipés.

« En face d’el[e, écrivait ïyrbiîll, l’Eglise de

Rome ne Irourera ni l’hérésie ni le schisme, mais une multitude d’excommuniés soumis, croyant fermement à ses justes droits, mais décidés à résister à ses extravagantes prétentions — assistant à ses messes, pratiquant son bréviaire, observant ses abstinences, obéissant à ses lois et, dans la mesure où elle le permettra, partageant sa vie. Et ces excommuniés, en bien des cas, seront de nécessité, non seulement les |)lus intelligents et les plus cultivés, mais encore les plus ardemment sincères, les jilus désintéressés parmi ses enfants, les plus profondémentreligieux et évangéliques.Mais, ce qui ne laissera pas que de causer de graves inquiétudes à l’Eglise, ils parleront néanmoins librement et sans crainte, dans lintérét même de l’Egiise, ils réclameront, ils exerceront le droit de parle.-, le droit d'écrire, aujourd’hui monopolisés par une confédération d’ecclésiastiques réactionnaires-… L’existence et l’accroissement continuel d’une telle classe de

de M. MÉÉcoz sur II Santo de Fogazzaro (Revue chrétienne, " janvier 1907, pp. 1 sqq). M. Dudon en a cité quelques extraits (Etudes, 5 octobre 1907 pp. 150-151).

1. Je veux dire, sous la forme la plus radicale qu’il ait revêtue jusqu’ici chez les catholiques ; je n’exposerai pas le pur paalbéisme tel qu’il se trouve, par exemple, dans la Nouvelle Théologie de M. Campbell, parce qu’aucun catholique, à ma connaissance, n’y a encore adhéré.

2. Tyrrell invoque ici l’autorité de saint Augustin ; le même texte est cité par les auteurs anonymes du Programme (p. 141) ; je le discuterai plus bas, dans l’appendice.