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LOURDES (LE FAIT DE)

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cpii sont l’expression de ces forces ; ce qui le prouve bien, c’est que nous en découvrons de temps en temps de nouvelles ; témoin la vapeur et l’électricité, et, quant aux ai)plioations, le tclépbone, la radiographie et la télégraphie sans 111. Qui donc nous dit que des forces, encore ignorées de nous, mais naturelles comme celles qui nous sont connues, n’opèrent pas les guérisons extraordinaires que les catholiques attribuent directement à Dieu ? »

Je remarque d’abord qu’il s’agit d’une hypothèse, hypotlièsegratuite, qui n’est fondée sur aucune base, sauf le désir obstiné qu’on éprouve de ne pas croire au miracle. Or des hypothèses semblables n’ont jamais possédé aucune autorité.

Que répondraient les sceptiques à celui qui, pour suivre leurs traces, s’écrierait : « Il existe des forces nouvelles qui se révèlentà nous.etque nousn’avions jamais soupçonnées. Qvii nous dit que l’une de celles qui restent encore cachées ne portera pas Ijientôl l’organisme humain à des proportions inattendues, et que dans cent ans l’homme n’aura pas la taille du dôme de Saint-Pierre ? » ou que, suivant l’idée de ce philosophe original, il ne lui poussera pas une queue, avec un œil au boutpour regarder les astres ? » Et l’on pourrait continuer ce petit jeu des hypothèses fantaisistes, sans s’émouvoir d’aucune absurdité. On y joindrait, comme un refrain, ce raisonnement qui devrait tout expliquer et répondre à tous les étonnements :

« Voj’ez la vapeur, l’électricité, le télégraphe, 

etc. ; qui nous aurait dit, il y a cent ans… ? »

Nous aurions donc sans doute le droit de repousser une telle objection, en y opposant ce que les parlementaires nomment la question préalable. Mais il sera sans doute plus utile d’en montrer la faiblesse foncière que de l’écarter par le dédain.

Les incrédules avancent donc qu’une loi secrète, dont nous ignorons la nature, explique peut-être les faits miraculeux, auxquels nous ne trouvons aucune cause, dans les choses créées. II faut hardiment leur répondre que certainement cette loi hypothétique n’existe pas. Et voici comment on peut le prouver. Si cette loi existait, elle agirait comme une loi naturelle, c’est-à-dire d’une manière constante, identique, invariable. Une loi naturelle ne procède pas axitrerænt, qu’on la connaisse ou qu’on l’ignore. Tous les corps s’attiraient l’un l’autre, en raison directe des masses et en raison inverse du carré des distances, avant que le monde eîit deviné cette loi et que Newton en eût trouvé la formule. Envoyez un courant électrique dans une masse d’eau. La masse d’eau se décomposera en oxygène et en hydrogène, l’oxygène formant un volume et l’hydrogène deux. La décomposition n’aura pas lieu dansla masse sans le courant, qui est une condition indispensable, mais toutes les fois que cette condition sera posée, c’est-à-dire aussi souvent que le courant passera, la masse d’eau se décomposera, et toujours de la même manière. C’est fatal.

Si les faits prodigieux de Lourdes étaient dus à une loi, encore ignorée de nous, il faudrait, pour les produire en provoquant l’action de cette loi, certaines conditions précises, déterminées, toujours les mêmes, et, en retour, chaque fois que ces conditions seraient réalisées, ils apparaîtraient avec une régularité rigoureuse, constante, invariable. Or c’est exacteuient le contraire que l’on peut constater.

D’abord la cause mystérieuse n’a pas besoin, pour agir, de rencontrer des conditions déterminées. Son action s’exerce dans les circonstances les plus variées, les plus diverses, les plus dissemblables : à l’intérieur des édilices ou au dehors, dans l’ombre discrète des piscines ou en plein soleil, durant la procession du Saint Sacrement, et au bruit harmonieux

des cantiques ; le matin, ou à midi, ou le soir ; que le ciel soit radieux ou que la pluie le trouble et l’obscurcisse ; quelle que soit la maladie et quelque soit le malade, jeune ou vieux, enfant ou vieillard, croyant enthousiaste ou croyant timide et hésitant. Rien n’est requis, ni dans l’àme, ni dans la situation, ni dans l’iulirmité, ni dans les circonstances extérieures, pour que la secrète influence entre en jeu et que l’elTet se manifeste.

D’antre part, la réunion de quelques conditions réputées utiles ne détermine pas plus son action que leur absence ne l’empêche.

Voici un malheureux dont l’état est lamentable, la foi profonde, la prière ardente ; on prie aussi autour de lui, et c’est le jour d’une grande manifestalion religieuse, qui remue tous les cœvirs. Si la guérison dépendait d’une ou de plusieurs de ces circonstances morales, comme l’effet d’une loi naturelle dépend de quelques circonstances physiques, on devrait la tenir pour assurée. Or elle ne l’est pas ; tous ceux qui ont suivi de près les événements de Lourdes savent bien qu’on ne peut jamais la promettre ni l’attendre avec probabilité.

Un jour, un des organisateurs les plus zélés des pèlerinages, le R. P. Picard, était à Lourdes. Il avait devant lui une foule immense, dont les sentiments lui semblaient faire admirablement écho à sa parole. Jamais auditoire ne lui avait paru mieux disposé. En descendant de chaire, il rencontra le D Boissarie :

« Docteur, lui dit-il avec des regards où éclatait

l’espérance, quelle foule, quelle religion, quel spectacle ! Nous allons avoir une moisson de miracles. » n Or, ajoutait le docteur en me racontant cette anecdote, nous n’eûmes pas de moisson, ni même de simples épis. Jamais mon registre ne fut si pauvre. Aucun fait ne put y être inscrit. »

C’est que les faits viennent à leur heure, sans que rien permette d’y compter, et avec une indépendance qui déjoue toutes les prévisions. Bref, la loi est aveugle ; déjà connue, ou cachée encore dans la réserve des lois dont l’avenir seul doit avoir le secret, sa nature reste la même : c’est une sorte de machine dont l’elTet est automatique. Au contraire, la cause mystérieuse, qui intervient autour de la Grotte, est un agent souverainement libre, et que rien ne lie jamais.

Il est donc impossible, mais tout à fait impossible, de les assimiler l’une à l’autre, et bien plus encore de les confondre. Par conséquent, il n’y a pas à invoquer, pour expliquer les faits prodigieux qui nous occupent, une loi de la nature, quelle qu’elle soit, pas plus une loi à découvrir qu’une loi déjà découverte. Voilà une première réponse que l’on peut faire aux sceptiques, sur ce sujet. En voici une seconde.

Si la loi mystérieuse et hypothétique, derrière laquelle votre incrédulité cherche un abri, exerçait vraiment son action extraordinaire à Lourdes, étant une loi physique dans le jeu de laquelle n’entrerait aucune liberté, il n’y aurait pas de raison pour qu’elle ne fît sentir son effet qu’à quelques privilégiés, sur xine si grande foule. Car quelles que fussent les conditions qu’elle exigeât pour agir, dans cette multitude animée des mêmes sentiments, soumise aux mêmes influences, pleine des mêmes désirs et s’épanchant dans les mêmes prières, personne n’admettra jamais que les quelques malades qui guérissent soient les seuls qui les présenteraient ; elles se trouveraient réalisées certainement dans beaucoup d’autres. Il est donc impossible d’admettre que les guérisons ne fussent pas bien plus nombreuses qu’elles sont. Leur petit nombre prouve qu’elles viennent d’une cause libre, qui agit quand elle veut, sur qui elle veut, et dans la mesure où elle veut.