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MODERNISME

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M. l.cRoy.M. Loisy, en cela plus franc, pose vine nésatioii brutale : « Les grands tlogiues cliréliens, ose-t-il écrire, sont des poèmes seuii-mélaphysiqiies où un pliilosoplie superliciel pourrait ne voir qu’une mythologie uu peu abslraile. Ils ont servi à yuider l’idéal clirélien, c’est ce qui fait leur mérite. En tant que délinition scientifique de la religion, ce qu^'ils ont voulu être, ils se trouvent nécessairement arriérés dans le temps présent, étant par rapport à la science d’aujourd’hui(l) des œuvres d’ignorance( ! 1). » (Loisy, Quelques lettres, p. 71.)

Que s’il y en avait, des dogmes, ils ne pourraient échapper à la loi de cette évolution universelle du det’enir pur, où tout change incessamment : ils se déferaient donc à mesure qu’ils tenteraient de se faire.

Mais il n’y en a pas, répétons-le, il ne peut y en avoir dans une philosophie anti-intellectualiste, qui a nié la valeur théorique des axiomes du sens commun, pour n'}' voir que des règles pratiques, sans aucune portée intellectuelle. Les dogmes ne seraient donc plus que des collections de recettes pratiques : agis comme si… tel dogme était vrai. Ainsi, après avoir mis en doute la personnalité de Dieu, M.Loisi' ajoute : « pratiquement, nous deons nous conduire comme si la loi de noire vie nous était donnée par une volonté personnelle qui aurait un droit absolu sur la nôtre ». (Quelques lettres, p. 6g ; — Cf. Le Roy, Dogme et morale, p. 26.) SJais comment pourrions-nous prendre tel ou tel dogme pour règle de conduite après avoir admis que la véi-ité ou la fausseté des dogmes est inconnaissable ?… L’action suit la pensée et ne peut la contredire : ruiner la pensée c’est donc ruiner l’action.

On entrevoit pareillement les autres conséquences de l’Immanentisme combiné avec l'évolution la plus radicale, — soit en histoire religieuse et en exégèse, où les nouveaux postulats de la trans/igurulion et de la (léformation continue du réel, achèveront d’extirper de nos Saints Livres toute parcelle de surnaturel, par une critique renanesque, le niant a priori. — soit en théologie, en apologétique, et jusqu’en droit canon, où la discipline sera facilement énervée par une évolulion sans frein. L’Encyclique a fort bien décrit toutes ces conséquences, étrangères à notre point de vue strictement philosophique. Elles seront traitées dans d’autres articles de ce Dictionnaire. On nous permettra cependant de les résumer en deux mots :

Le Modernisme théologique ou religieux ne diffère du protestantisme libéral absolu, c’est-à-dire de la libre pensée la plus naturaliste et la plus anti-chrétienne, que par une étiquette mensongère : le nom de catholique qu’elle entend conserver.

La religion « intérieure » qu’elle se vante de restaui-er est la même que celle de Luther, codifiée en système par Kant et Hegel, Lessing et Schleiermacber, Hitschl, Harnack, Sabatier… et autres docteurs protestants de l’agnosticisme, de l’anti-intelleelualisme, de l’immanenlisme et du symbolisme. Elle est une religion sans dogme et sans autorité régulatrice, où l’indépendance, t, mais ce qui satisfait nos besoins ; d’où la duplicité et l’opposition inévitables de la foi et de la science, du dogme et de l’histoire : ce qui est dit vrai pour l’un, pouvant être dit faux pour l’autre. Le vrai est relatif, son critère est l’utile, c’est la vérité qui paie. Aussi chacun est-il libre de croire ce qu’il désire, ce dont il a besoin, et d’interiiréter à sa manière les prétendus dogmes de la tradition chrétienne.

L’orgueil luthérien et moderniste ayant ainsi pris le moi pour centre de la croyance et de la vie, c’est bien en vain qu’il s’efforce ensuite de le relier à Dieu dont il occupe la place. La solution Cnale d’une telle antinomie sera de confondre les deux termes en divinisant le -moi humain, soit individuel, soit collectif ou national. Leur force, étant divine, c’est leur force qui crée leur droit. El c’est cette théorie monstrueuse que les surhommes et le surpeuple d’outre-Rhin ont tenté de mettre en pratique.

La religion nouvelle est ainsi devenue si « intérieure » que Dieu lui-même s’est évanoui et qu’il ne reste i)lus que le moi. La « foi en Christ » se résout en un sentiment religieux très obscur, en une aspiration instinctive et vague vers on ne sait quoi, sorti des profondeurs du moi et variable avec chaque individu.

Une telle religion pseudo-chrétienne, se dissout fatalement ou dans l’illuminisme mystique, ou dans un hypercrili(i.> ; nie où rien n’est prouvé, pas même si Jésus-Christ a existé « historiquement ». C’est le prélude de sa dissolution totale dans le nihilisme intellectuel cl moral.

Revenant sur le terrain purement philosophique, et récapitulant les innombrables conU-e-vcrilés c, ue synthétise le modernisme, nous pouvons conclure, sans la moindre exagération, qu’il est le rendezvous des pires erreurs contre la raison et le sens commun, — de même qu’au poiut de vue théologique l’Encyclique l’ajustement délini « le rendez-vous de toutes les hérésies ».

Et de même que toutes ces hérésies, quoique, en apparence éparses et sans lien, forment en réalité un corps de doctrine homogène et parfaitement organisé ; — ainsi, nous avons essayé de le montrer, il y a un lien logitjne qui unit ces erreurs philosophiques et en forme un sjstème cohérent, malgré son extrême complexité : (7 est la systématisation réfléchie de l’ahsiirde.

C’est ce lien, ce iil d’Ariane, qvie le lecteur ne de^'ra jamais perdre de vue lorsqu’il voudra parcourir en détail tous les détours de ce labyrinthe obscur et compliqué du Modernisme.

Conclusion

Tel est, dans ses grandes lignes, le plan général de cette tour d’ivoire « sans portes et sans fenêtres » où le subjectivisme agnostique a eu la prétention, d’enfermer la raison humaine comme dans nne prison sans issue. Telle est la Babel de la philosophie moderne où règne la plus invraisemblable confusion des idées et des langues.

Descaries, par son subjectivisme, en a posé les fondements, bien involontairement sans doute ; liant en a élevé l'édifice gigantesque, et l’a pourvu d’un aménagement aussi compliqué que peu confortable ; Hegel en garde les sommets perdus dans les nuages opaques du non-être. Après eux, Bergson, sviivi par les Modernistes, a voulu, sans ébranler le monument, y ajouter un étage, non pas dans les hauteurs, vers la lumière et le grand air, mais dans