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MODERNISME

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D’autre part, une pure action se déroulant dans le temps a eu un commencement et peut avoir une liii, son mouvement peut s’accélérer, se ralentir et lînir par cesser. Or une telle action n’a rien de stable et de permanent, elle n’est donc point naturellement immortelle, comme l’est une substance spirituelle, qui, par sa nature même, est incorruptible et subsistante.

Et puis, comment prouver cette immortalité, lorsqu’on a renoncé au critère de la raison ? La preuve est devenue impossible. Il ne reste plus fju’un acte de foi en la vie future : « Quant un instinct puissant proclame la survivance probable de la personne, écrit M. Bergson, on a raison de ne pas fermer l’oreille àsavoix. » (l’Evolution créatrice, p. 2gi).Sansdoule, mais ce n’est plus là qu’une croyance aveugle et facultative à une hypothèse jieut-ètre chimérique.

Du reste, que pourrait être cette survivance dans la théorie monistique des bergsoniens ? La distinction de vous et de moi, des personnes et des choses entre elles, n'étant qu’une illiixion du morcelage et de la cristallisation du fluent par notre intellectualisme, contre laquelle ils n’ont pas assez de critiques et de dédains, comment conclure à une survivance personnelle ? Après avoir admis, à l’origine, une conscience universelle ou fusionnaient toutes les âmes que la matière a passagèrement divisées en individualités distinctes, ne doit-on pas conclure, au contraire, qu’après la séparation de ce corps, les âmes reviennent se plonger dans le grand Tout psychique pour y refaire l’unité passagèrement brisée par la matière ? (Cf. L’Evolution créatrice, p. 292).

L’immortalité, au sens liergsonieu, — si tant est qu’elle juiisse encore exister, — ne serait donc qu’une survie impersonnelle, ce qui n’est qu’une contrefaçon et une caricature de la véritable immortalité.

3° Eh ! que devient la Mornle.xme. fois mise en doute ou insidieusement niée l’existence de Dieu et de l’immortalilé de l'àme humaine ? On le devine aisément. Elle ne saurait être qu’une Morale sans obligation ni sanction.

Elle ne sera dor.c plus qu’un art moral, un recueil de conseils pratiques à l’usage de ceux qui éprouvent ce besoin supérieur de régler leur vie individuelle et sociale, ou qui croient y trouver des avantages, une certaine utilité. La morale se mue ainsi en un vulgaire opportunisme.

Nous sommes loin désormais de l’impératif catégorique de Kant et de ses sanctions divines indispensables. La partie la moins mauvaise du Kantisme est ainsi répudiée, tandis que l’on proclame << délinitive " la critique et la démolition de la raison pure, qui est sa partie la plus incurablement malsaine et destructrice.

Sans doute, on n’ose porter la main brutalement sur la morale, on la respecte même et l’on voudrait en conserver l’essentiel ou au moins l'équivalent, mais ici la logique sera plus forte que les meilleures intentions des hommes.

Après la destruction même de la raison et de ! a pensée, premier efl’et de son agnosticisme, il ne peut plus y avoir pour le moderniste aucvme vérité morale définitive, aucun dogme qui s’impose à son esprit ; aucun précepte ne peut plus peser sur sa conscience, désormais all’ranchie et autonome.

Il Vous semblez, — écrivait M. Loisy dans une lettre intime oii il livrait le fond de sa pensée, — vous semblez croire que, dans l’ordre religieux et moral, le vrai et le faux sont des catégories absolues et bien délimitées. Il n’en est pas tout à fait ainsi. «  {Quelques lettres, p. 8g.)

Df)nr, en morale, le vrai et le faux, le bien et le mal, sont toujours relatifs et jamais absolus. Mais

n’est-ce pas là la destruction même des principes sur lesquels repose la science moi-ale, principes qui ne valent et ne s’imposent que par leur caractère al>solu ?

L’agnosticisme rationnel, conduit donc fatalement à l’agnosticisme religieux et moral.

Toutefois une telle morale, purement négative, ne saurait être vécue, et voici comment elle va prendre un caractère nettement positif.

Emmuré dans le cachot sans issue de son moi, le subjecliviste sera facilement conduit à regarder ce moi comme le centre des -mondes, qu’il crée ou qu’il rêve dans sa pensée. De là, cette illusion anthropocentrique, qu’il nous a reprochée si souvent el dont il est la première victime, car elle peut lui inspirer une indépendance absolue, et exaller, jusqu’au délire panthéistique, l’orgueil de son moi individuel el aussi de son moi social. C’est ici en eCfet que les rêves d'égalitarisme social, par le nivellement des classes, tant prônés par le socialisme moderne, sont venus rejoindre le inodernisme et contracter avec lui une alliance d’idées et d’aspirations politiques, qui a tout d’abord semblé étrange et invraisemblable. De fait, le Modernisme dogmatique el le laicisme démocratique el social sont des complices qui s’enlendent fort bien, soit sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, soit sur les formes démocratiques à introduire de force dans l’Eglise par les cultuelles, soit même sur 1 introduction dans l'école laïque de l’agnosticisme et du naturalisme, en un mot sur l’idéal d’une société où les consciences autonomes sont libérées de tout joug nioral et religieux.

(Juoi qu’il en soit, la morale anthropocentrique qui fait de l’homme le centre et la mesure de la vérité morale, laqvielle « évolue avec lui, en lui et par lui », d’après les modernistes, est aux antipodes de la morale religieuse et théocentrique, qui fait de Dieu notre tin dernière et obligatoire. Encore le contrepied de la « métaphj’sique naturelle de l’esprit humain » I — « Au Heu de se soumettre à Dieu, disait BossUET de « l’impie », il se fait soi-même son Dieu », {Oraison fan. d’Anne de Gonzogue).

4°Qu’adviendra-t-ilaprès cela de lvrévélation extérieure et des motifs de crédibilité ? « II est aisé de le comprendre, répond l’Encyclique Pascendi. Les modernistes les suppriment purement et simplement et les renvoient à l’intellectualisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié et depuis longtemps périmé » (p. -)).

C’est ici que le naturalisme du modernisme, que nous avons dénoncé dès la première page, va éclater dans tout son jour. Toute l<a série d’erreur que nous venons d’analj’ser et qtii aboutissait graduellement et logiquement à la négation de Dieu, de l'àme let de la science morale, n'était qu’un préambule et une préparation savante à la négation de la possibilité même du surnaturel.

Sans la personnalité divine, en effet, et son action providentielle sur le monde, on ne peut plus comprendre ni la révélation extérieure, ni les motifs de crédibilité, tels que le miracle.

Il faut donc les renvoyer à la légende, et leur trotner des explications naturelles. Les modernistes n’y ont pas manqué, et nous allons indiquer en / : uelques mots les hypothèses nouvelles qu’ils nous liroposent pour remplacer les hypothèses désuètes et périmées de leurs devanciers.

C’est encore la théorie de l’immanence qui va les fournir, nous montrant ainsi l’unité el la cohérence de tout leur système.

Le moderniste immanentiste se voit réduit à faire sortir de sa conscience, puisqu’il n’a pas d’autre critère — ou tout au moins des profondeurs de sa