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MODERNISME

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vérité en matière de religion. » — « Quiconque croit an bien et au vrai absolu est un mystique ; car on ne peut déraonlrer rigoureusement la valeur objective, transcendante de nos connaissances ». (Quelques letti-es, p. 67). — (( En résumé, conclut M. Le Roy, lee ; rand désaccord entre les scolastiques et nous porte sur la notion même de vérité ». (Lr Roy, Dogme et critique, p. 355.)

Cependant le moderniste veut bien conserver aux vérités de sens commun la portée d’un symbole ou d’une règle pratique, dont toute la valeur consiste dans leur utilité pour diriger l’action et la vie. Mais une telle concession est bien vaine, car une connaissance ne peut être pratique qu'à la condition d'être théorique eldans la mesure où elle est valable théoriquement. Ainsi la formule 2 -f- 2 = 4 ne peut être utile, pratiquement, pour régler avec mon créancier que si elle est vraie théoriquement.

Les modernistes cherchent parfois à se reprendre et à corriger partiellement leur notion de vérité en ajoutant (jne si aucune vérité n’est définitive, cependant il y a des directions permanentes, et que l’on peut dire invariables de l’esprit humain, aussi vraies que notre nature est réelle ». (Loisy, Simples réflexions, p. io5 ; — Autour d’un petit hVre, p. 192. — Cf. Le Roy, Dogme et critique, p. 355.) Mais cette correction est bien insuffisante ; outre qu’elle est contradictoire avec le système du mobitisme où rien, absolument rien, ne peut être « lige et cristallisé », elle est l’aveu inconscient de la fausseté radicale d’une philosophie si manifestement hors de ces

« dii-eclions invariables et permanentes » de la pensée humaine, qu’elle se vante d'être anli-inlellectuelle et « au rebours de la métaphysique naturelle

de l’esprit humain ».

IV. — Conséquences anti-spiritualistes et anti-religieu3es

Avant qie le monstre légendaire que nos classiques appelaient le cheval de Troie, fut introduit dans la place assiégée et eût ouvert ses flancs ténébreux, on rapporte que le choc d’un javelot lit retentir soudain des bruits d’armes de guerre et des voix étranges qui provoquèrent de sinistres présages.

… Sletit illa Iremens, uteroque recusso, Insonuere cavæ gemitumque dedere cavernae. (Enéide, II, v. 52-53.)

Il nous semble qu’avant d’avoir énuméré toutes les conséquences anti-spiritualistes et anti-religieuses, contenues dans les flancs de la philosophie moderniste, nos lecteurs doivent déjà éprouver des pressentiments analogues.

Nous ne les étonnerons donc plus en leur disant à l’avance que de tels principes — si l’on peut toutefois appeler de ce nom la négation même de tous les premiers principes de la raison et de la raison ellemême — ruinent de fond en comble toutes nos cro3'ances, notamment sur Dieu, l'àme humaine et son immortalité, la morale, la révélation, le miracle, toutes les vérités révélées et jusqu'à la possibilité d’aucun dogme.

"D’abord X’existence de Dieu, au sens spirituaiiste de ce mot, c’est-à-dire d’un Etre suprême, infini, substantiellement distinct du monde qu’il a crée, — n’est même plus possible.

Si les notions de substance et de cause sont supprimées, il est clair en elfet que le mot Dieu, en style moderniste, ne peut plus signifler l’Etre parfait, catise première et créatrice de l’univers. Dans leur système philosophique du non-être, ce seraitun non-sens, une impossibilité radicale. On a pu dire

qne l'être était l’ennemi personnel des bergsoniens ; à plus forte raison, ajouterons-nous, l'être par excellence, l’Etre tout court. Pour le bien comprendre, il suffit d’avoir saisi une bonne fois l’opposition de la philosophie de rétre, avec celle du non-être que soutiennent les bergsoniens.

La pensée maîtresse de ces novateurs, héritée de Renan, d’HcoEL et d’HÉRACLiTE, est aux antipodes de la nôtre. Au lieu de dire avec le sens commun :

« l'être est, le non-ètre n’est pas », ils osent dire : 

l'être n’est pas, seul le non-être est ou plutôt aevient sans pouvoir jamais être. « Le grand propres de la critique contemporaine a été de substituer là catégorie du devenir à celle de l'êlre ». (Renan,. 41'e ; ro/ ;. ».' ; , préf. p. j) Au lieu de dire : « l'être prime le nonètre, l’acte jjrime la puissance 0, ils osent proclamer que c’est le non-ètre qui prime l'être, la puissance qui prime l’acte. De là, ces belles théories de leur évolution : le devenir est la seule réalité ; le plus sort spontanément du moins, et le tout du néant ; l'être est une abstraction, l'être infini est la plus vide de toutes les abstractions. Toujours etpartout, le même paradoxe : le non-être prime l'être, la puissance prime l’acte.

Assise sur de telles bases révolutionnaires, la philosophie « nouvelle » est nécessairement, répétons-le, exclusive de l’Etre parfait, de l’Acte pur, c’esl-à-direduDieu desspiritualistes et des chrétiens, et lorsqu’elle tente de laisser croire qu’elle va se corriger en gardant le inot Dieu, on peut être assuré qu’il est préalablement vidé de son contenu essentiel.

Ecoutez M. Bergson : « Dieu ainsi défini n’a rien de tout fait… Je ne donne pas ce centre(de jaillissement des fusées en immense bouquet) pour une chose (une substance), mais pour une continuité de jaillissement. '(L’Evolution créatrice, p. 270). Ecoutez M. Le Roy : « Pour nous, Dieu n’est pas, mais il devient. Son devenir est notre progrès luême. » (Revue de Mélaph. et de Morale, 1907, p. 609) — C’est ce qu’il a l’audace d’appeller « un iianthéisme orthodoxe > (Dogme et critique, p. i/(5). — On ne peut s’y méprendre, ces paroles sont bien l'écho de Renan et de Hegel pour lesquels : a Dieu est en train de se faire ; il est la catégorie de l’idéal ».

Concluons avec le Gard. iVlERCiK « : « le devenir bergsonien est bon gré, mal gré, panthéistique ». (Discours à VAcad. royale, Rev. néo-scolastique, août 1913, p. 272)

En conséquence, la création pour les bergsonistes n’est plus qu’une évolution de la divinité. « Son devenir est notre progrès même », vient de nous dire M. Le Roy, et M. Bergson d’ajouter : « Dieu n’a rien de tout fait [il se fait lui même] ; il est viei ncessanie, action, liberté. La création, ainsi conçue, n’est plus un mystère ; nous l’expérimentons en nous dès que nous agissons librement…point n’est besoin de faire intervenir une force mystérieuse. » — « Le Dieu du spiritualisme et du christianisme, c’est un être qui ne sera rien puisqu’il ne fera rien ( !)… un Dieu ineflicace qui résumera simplement en lui tout le donné » ( !.'i — Aussi conclut-il qu’il faut « déraciner le préjugé B que l’acte créateur est donné en bloc dans l’essence divine ». (L’Evolution créatrice, '^. 270, 128,

: 61, 262).

Pourrions-nous concevoir une négation plus claire et plus brutale du dognie spirituaiiste et chrétien ? Et combien sont aveugles les catholiques qui 1 cherchent encore à atténuer et même à excuser de telles énormilés !

Avec la thèse de la création, s'écroule, on le voit, celle de la personnalité divine ; elle n’a plus aucun sens dans leur système, et l’accusation banale et puérile d’anthropomorphisme qu’on nous adresse serait