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MODERNISME

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temps j) — ce qui est complètement inédit dans l’histoire de toute philosophie, distincte de l’oceuitisnie — nous restons alors rêveurs et sceptiques.

Ecoutez M. Bergson : « On appelle intuition cette espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et partant d’inexprimable >i. (ïtei’iic de Métaph. et de Murale, igoS, p. 3.) — « 11 s’agit d’une connaissance par le dedans, qui les saisit (les faits) dans leur jaillissement nicnie au lieu de les prendre une fois jaillis, qui creuserait ainsi audessous de l’espace et du temps spatialisé… » (L’Evolution créât., p. Sgo).

Mais il a beau faire appel à un instinct devenu conscient ou à une sympathie divinatrice qui relierait entre eux tons les êtres de la création et nous fusionnerait nous-mêmes avec eux, ce n’est là qu’un vain mirage, de brillantes métaphores, qui s'éteignent brusquement devant la réalité des faits les plus simples et les plus faciles à observer.

Jaiuais la sympathie pour une autre personne, si intime soit-elle, ne sera la conscience d’autrui. Si nous devinons parfois ses sentiments intimes, ses préoccupations ou ses projets, c’est par un processus d’inductions et de déductions, qui — serait-il rapide comme l'éclair — n’a rien à voir avec une intuition immanente.

C’est toujours par l’observation extérieure que nous pénétrons ou que nous serablons pénétrer dans l’intérieur des autres êtres ; aussi le psychologue, le naturaliste ou le physicien n’ont-ils pas d’autre procédé à leur disposition que l’observation extérieure. Et ce sinii)le fait sullit à réfuter la prétendue existence d’une « espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable ». Ce rêve brillant n’est assurément qu’un rêve, et ce serait lâcher la proie pour l’ombre que de c pousser l’intelligence hors de chez elle, par un acte de volonté, en brusquant les choses » (L’Evolution créatrice, p. 210, 211) et par un coup d'état contre-nature, pour la remplacer, comme on nous le conseille, par cette chimérique intuition.

Ce qui achèvera de nous en détourner, ce sont les résultais étranges et contradictoires des bergsoniens qui ont essayé de mettre en œuvre leur prétendue intuition.

Le Maître de la nouvelle école prétend y saisir

« l’essence de la vie aussi bien que de la matière », qui

ne serait que fluidité insaisissable ; M. Blondel y perçoit une manifestation concrète et progressive de l’Iniini ; M. Lr Roy y entrevoit, avec le sens du divin, la luésence même de Dieu ; avant eux, ScuixLiNr, et Ravaisson y avaient découvert la stabilité de la vie éternelle, contrairement à tous les disciples d’HKHACUTK qui n’y trouvent que mobilité et devenir pur.

Eh ! qui pourrait prévoir toutes les découvertes futures que cette « sympathie divinatrice » réserve à nos fervents adeptes de l’intuitionnisme et du mysticisme ! Qu’est-ce qui ne devient pas croyable, quand <m ne croit plus qu’au sentiment et au llair de l’instinct individuel ? L’Intuition est mère de l’hérésie, u En vérité, n’est-ce pas une folie, ou tout au moins une souveraine imprudence, de se lixer sans nul contrôle à des expériences comme celles que prônent les modernistes ? » (Encycl. t’ascendi, p. 63.)

Après ces réserves, n<ms allons suivre les bergsoniens dans leurs découvertes intuitives, et montrer comment ils vont reconstituer l'édilice métaphysique totalement démoli par leur agnosticisme.

Voici comment MM. Bergson et Le Roy, avec la

magie enivrante de leur style, nous décrivent le premier résultat de l’intuition du moi profond, la découverte d’une durée pure où tout s'écoulerait incessamment et totalement, sans que rien en nous ne demeurât le même.

« Entrons i)lus avant aux retraites cachées des

âmes. Nous voici dans ces régions de crépuscule et de rêve ( !) où s'élabore notre moi, où jaillit le flot qui est en nous, dans la secrète et tiède intimité des ténèbres fécondes où tressaille notre vie naissante. Les distinctions sont tombées [on ne distingue plus rien ?]. La parole ne vaut plus [on ne s’entend plus ?]. On entend sourdre mystérieusement les sources de la conscience, comme un invisible frisson d’eau vive à travers l’ombre moussue des grottes. Je me dissous dans la joie du devenir ! Je m’abandonne au délice d'être une réalité jaillissante. Est-ce que l’aime ? Est-ce que je pense i' La question ne signifie plus rien pour moi, etc. /> (Le Roy, Une Philosophie nouvelle, p. 68). — C’est cette intuition (?) hypnotisante que M. Bergson appelle « le ronron continu et le bourdonnement ininterrompu de la vie profonde ». {Conf. d’Oxford, p. 27).

"Voilà donc la première découverte et le premier principe de la philosophie « nouvelle « : l'être n’est pas, tout est devenir pur. C’est ce qu’ils ont appelé, la durée pure, sans doute par antiphrase, puisque rien n’y dure, rien n’y demeure le même.

De ce principe premier, ils ont hardiment tiré toutes les conséquences métaphysiques, logiques et cntériologiques déjà décrites et qu’il nous suffit de rappeler au lecteur :

1" Négation de la substance et de la causalité ; c’est la « durée pure » qui est « l'étolTe » et la substance des choses, et cette durée pure se pose ellemême sans être causée par rien.

2° Négation de tous les premier.^ principes de la Logique : principes d’identité, de contradiction, de causalité, d’induction ou de déduction, etc.

3° Négation de tous les critères classiques de la connaissance : critère de l’intelligence qui conçoit les notions et les principes nécessaires, immuables, éternels — donc illusoires, puisque tout le réel est fluent. A plus forte raison, négation du critère de la raison raisonnante, qui ne fait qie comliiner les susdites notions et leurs principes également trompeurs.

Toutes ces négations se résument en un seul mot : négation de la vérité, telle que le sens commun l’a toujours comprise. Car elle n’est plus la conformité de nos pensées avec des objets désormais inconnaissables, elle n’est qu’une création subjective et symbolique de l’esprit humain, suivant l’expression même des modernistes : n Tout est subjectif et symbolique dans le champ de la connaissance. » (Programme des modernistes, p. 13/()

On ne peut donc plus rien aflirmer de certain, d’absolu, de catégorique, de détinitivement vrai, pas même que 2 -|- 2 = 4, ou que le tout est plus grand que la partie. C’est nous-mêmes qui créons nos vérités, aussi nous les rêvons et les transformons à notre gré. Quid est veritas ? demandait Pilate. Le moderniste lui répond : c’est un jeude l’esprit humain. De tout le reste, je ne saurais jamais rien.

Ecoutons ces multiples aveux de M. Loisy : « Si l’on suppose que la vérité, en tant qu’accessible à l’intelligence humaine, est quelque chose d’absolu… les assertions de ce petit livre sont plus que téméraires, elles sont absurdes et impies. » — Tel est aussi notre avis. (LoisY, Autour d’an petit livre, j). 190-191.) — Cf..'Simples réflexions, p. 1^0 : « la question la plus importante, on peut dire la seule essentielle… est de savoir ce qu’on doit entendre par