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MODERNISME

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ou philosophie de l’inconnaissable : subjeclivisme, phénoménisme, relativisme… Nous n’avons pas la prétention de les étudier tous, comme dans un cours (le philosophie, mais seulement de signaler les principaux, qui suffisent à faire connaître cette première racine, la plus profonde, soit du modernisme, soit aussi de toute la philosophie moderne, infectée de ce subtil poison, depuis la réforme cartésienne et son oubli de la géniale théorie de l’action transitive.

III. L’Immanence vitale

Après avoir dénoncé l’Agnosticisme subjectiviste et idéaliste comme le vice radical de la méthode des modernistes, l’Encyclique Pascendi accorde que cette accusation, à première vue, paraîtrait peu vraisemblable, et elle-même s’en étonne à bon droit : <( Comment de l’agnosticisme, qui n’est après tout qu’ignorance, les modernistes peuvent-ils passer à l’athéisme », ou au monisme évolutionniste ? De ce qu’ils ignorent le supra-sensible « par quel arlilice de raisonnement » en viennent-ils à nous l’expliquer et à fonder une métaphysique ? — « Le comprenne qui pourra. » (Encyclique Prtsce/irfi, p. 9.)

Il est clair, en effet, que ce 1, passage » n’est pas logique, et pourtant il est fatal. L’esprit humain, comme la nature physique, a « horreur du vide », et dès qu’on la prive d’une saine métaphysique, il se remplit aussitôt d’une métaphysique malsaine. Comme l’histoire en fait foi, l’agnosticisme pur et simple ne saurait être vécu, et l’esprit qui en est devenu prisonnier, cherche toujours quelque issue, logique ou illogique, pour s'évader.

Les modernistes dans leur fameux Programme en font ainsi le naïf aveu : c Notre apologétique a été un effort pour sortir de l’agnosticisme et le dépasser ». (Programme des modernistes, p. 113).

Nous leur répliquerons qu’il eût été beaucoup plus sage de ne jamais entrer dans cette impasse, dans cette prison sans issue du subjectivisme, où ils se sont si imprudemment emmurés. Ils n’auraient pas eu besoin de chercher vainement le moyen d’en sortir.

Suivons-les toutefois dans leur tentative d'évasion : leur échec inévitable sera pour nous une excellente leçon.

Hypnotisés par le pseudo-principe que le sujet pensant ou sentant ne peut connaître aucun objet hors de lui, les subjectivistes sont bien forcés de prendre pour point de départ le sujet pensant ou sentant, dans lequel ils se croient irrémédiablement enfermés. Alors se retournant sur eux-mêmes, comme l'écureuil dans sa cage, ils vont se donner l’illusion d’en sortir. Non pas comme Descartes, par le célèbre raisonnement svir l’idée de Dieu qui prouverait son existence, sa véracité et l’existence du monde extérieur, paralogisme dénoncé par les scolastiques longtemps avant la critique de la liaison pure ; — ni comme Kant, par un acte de foi aveugle dans la notion du devoir et de tous les postulats qu’elle implique ; — ni comme Renouvier par ime intervention de la volonté qui fixerait l’intelligence ; — mais par un procédé tout nouveau, purifié de toute compromission avec un « intellectualisme périmé ». Ils raisonnent ainsi : le sujet étant enfermé en lui-même, sans en pouvoir sortir, c’est donc en lui-même qu’il doit chercher et trouver toutes les connaissances dont il a besoin. Il n’a qu'à creuser au dedans et à fouiller le trésor qu’il porte en lui dans sa conscience et sa subconscience.

C’est la méthode immanentiste ou egocentriste, qui méprise et compte pour rien toutes les données venues du dehors sans avoir été postulées jiar le

dedans, et qui prétend — par ses seules forces immanentes, à l’aide d’une prétendue intuition esthétique ou mystique — élever l’homme aux vérités suprasensibles et même jusqu'à l’Etre suprême.

Il est vrai que cette faculté nouvelle d’intuition n’a jamais pu être clairement délinie par les bergsoniens, sans doute, parce qu’il est impossible de la délinir.

On peut cependant la comparer de loin à la raison pratique de Kant. Ce philosoj)he, comme on le sait, après avoir ruiné la valeur de la raison et rendu illusoire toute science métaphysique, a bien été obligé — poussé par les besoins de vivre et d’agir moralement, auquel nul ne peut se soustraire, — sinon de reconstruire l'édifice intellectuel, du moins de le remplacer par un équivalent, qui est un acte de foi aveugle dans nos instincts moraux, résumés dans ce qu’il appelle la raison pratique. C’est une espèce de lidéisme imposé à l’homme par l’impératif catégorique, comme par une sorle de coup d'état. La loi morale qui brille dans nos consciences, dit-il, comme les étoiles du ciel dans la nuit, s’impose à nous, bon gré, mal gré, du dedans même de notre être, avec tous ses postulats théoriques.

Au fond, l'/n/Hfïi’ort bergsonienne n’est qu’un expédient analogue, une nouvelle édition soigneusement revue, corrigée et amplifiée de la raison pratique. Loin de se borner à la iiratiqueel à la satisfaction de nos besoins moraux, cette intuition immanente a la prétention de saisir en nous un wlio de la science universelle, comme si « tout retentissait dans tout » ; bieil plus, comme si une conscience commune rendait tous les êtres immanents les uns aux autres. En sorle que la méthode de l’immanence, au sens bergsonien, est essentiellement liée à la théorie de l’immanence ou du monisme universel.

Aussi, loin de se borner à nous révéler des règles pratiques ou des croyances nécessaires à la vie, l’intuition des berg’soniens et modernistes a l’audace de vouloir atteindre l’Absolu, et de construire, non pas une foi, mais une science ou une vision de l’Absolu.

Ecoutez ce cri de triomphe de M. Bbrqson : k Dans l’absolu nous sommes, nous circulons et nous vivons. La connaissance que nous en avons est incomplète, sans doute, mais non pas extérieure ou relative. C’est l'être même, dans ses profondeurs, que nous atteignons par le développement combiné et progressif de la science et de la philosophie. » (L’Et’olution créatrice, p. 217. — Cf. p. 62, 216, 226, 261, 887, 389).

Cette phrase, qui est une contrefaçon d’une parole de nos Saints Livres, nous rappelle qu’en effet pour la saine philosophie une certaine immanence est in-, discutable. Nous admettons tous une mystérieuse et profonde compénétration de l’essence divine au plus intime des essences créées. Mais cette immanence de Dieu en nous, qui le rend encore plus présent que nous le sommes à nous-mêmes, ne détruit pas la distinction des substances, puisqu’elle a au contraire pour effet de la produire en nous créant. D’autre part, si elle permet à Dieu de voir et d’agir en nous, la réciproque n’est point vraie, car elle ne nous permet ni de voir ni d’agir en Lui. Ce serait renverser l’ordre hiérarchique qui donne prise au supérieur sur l’inférieur, et non pas à l’inférieur sur le supérieur.

Quant à l’immanence substantielle des êtres créés les uns dans les autres, elle est une pure rêverie du monisme panthéistique. Aussi lorsque nous entendons les bergsoniens nous annoncer que leur intuition peut leur en donner « une connaissance par le dedans, une vue prise dans l’intérieur même de leur être, en dehors ou au-dessous de l’espace et du