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MODERNISME

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l’action, et nuUerænl nue image intermédiaire qui nous montrerait toutes les choses à l’envers.

Apres avoir saisi cette partie réelle, quoique très incomplète assurément des objets, leurs actions ou qualités en acte second, nous en conservons le souvenir et l’image, et c’est dans ces images — désormais légitimes substituts du réel — que l’intelligence découvrira l'être, ses modes, ses relations et les raisons d'être qui sont les notions premières et les premiers principes de l’esprit humain. Mais cette prise de possession idéale des objets suppose déjà une prise de possession physique el consciente, non de leur substance assurément, mais de leurs opérations accidentelles, par nos organes sensibles. C’est là la partie du réel immédiatement perçue par nous.

Ainsi sommes-nous introduits dans le monde sensible par les organes des sens, dans le monde des idées éternelles par l’intelligence, cette faculté intuitive de l’esprit humain. Les murs de la prison subjecliviste sont enfin ouverts : nous en avons retrouvé les portes et les fenêtres sur le monde extérieur et sur le monde supra-sensible.

La clef de ces portes naturelles, perdue depuis la révolution cartésienne, s’appelle dans la langue classique la théorie de l’action dUe transiti’e.(yoirles développements dans notre Théorie fondamentale (y édit., p. 236-264 ; 3^o-40 !). Ce nom, désormais, ne fera plus sourire que ceux qui ignorent cette géniale explication, et qui se contentent de métaphores puériles, comme celle à'exlrinsécisnie ou d’impossibilité poiu- un être de sortir « hors de sa peau ». Pour nous, aucun objet pensé n’est extérieur à In conscience, ni dans son action sensible sur nos organes, ni dans sa représentation imaginaire et idéale ; il n’est extérieur que par son individualité ou sa substance, puisque lui et moi nous sommes deux. La plus haute spéculation métaphysique a ainsi rejoint les plus évidentes données du sens commun.

2° La deuxième épithète qui caractérise l’agnosticisme moderniste est celle de phénoméniste. C’est la conséquence forcée de son siiljjectivisme. Puisqu’il aflirme que la connaissance de l’homme est renfermée dans le phénomène de sa propre pensée, sans pouvoir jamais saisir la réalité des choses, il faut bien conclure que a notre science se borne aux phénomènes : >.

Toutefois cette formule pourrait avoir un sens très acceptable, bien différent du sens agnostique et kantien. Elle est souvent employée par les savants qui par le mot < phénomène » entendent un fait réel et objectif, intérieur ou extérieur, à observer et à expliquer, sans vouloir spéculer sur les substances et les causes des métapliysiciens.

En style moderniste et kantien, au contraire, un phénomène n’est qu’une apparence et non une réalité, un état psychologique qui s’interpose entre l’esprit et -l’objet réel, de manière à le masquer, à le défigurer et à nous empêcher de le connaître tel qu’il est réellement. Aussi ne connaissons-nous, d’après eux, que nos manières de connaître les choses, c’està-dire les formes subjectives de notre mentalité actuelle. Quant aux réalités snpra-phénoménales, les substances et les causes, ce ne sont que d^s catégories illusoires de l’esprit humain : « Nous ne pouvons plus accepter, disent-ils, ces idola tribus ». (Prof^ramme des modernisles, p. la^.)

Bien plus, pour eux, ces formes déjà illusoires, n’ont rien de tixe et de stable, mais elles sont soumises à une perpétuelle évolution, en sorte que la (( vérité n’est pas plus immuable que l’homme luimême, car elle évolue avec lui, en lui et par lui s, (Prop. 58 « du décret lamentahili).

On.voit combien les modernistes sont loin du sens

usuel et raisonnable attaché par les savants à la formule en question. Les phénomènes de la science sont des réalités, intérieures ou exlérieui-es, ceux des agnostiques ne sont guère <jue des illusions de conscience.

Qu’il y ait, toutefois, des savants plus ou moins imbus des préjugés agnostiques, nous ne le nions point, mais nous croyons que ces préoccupations philosophiques sont sans influence profonde sur leurs recherches scientifiques. Cliez eux, les théories métaphysiques sont tellement indéiiendantes des questions de science positive, qu’elles forment comme deux mondes séparés. Cen’est sans doute pas très logi(]ue, mais c’est du moins très heui-eux, car leurs savantes recherches ne sont plus soustraites aux directions du sens commun.

Après avoir nié, aux heures de loisir, les substanr ces et les causes, ils les recherchent et les supposent partout dans leurs expériences, comme le commun des mortels, quand ils cessent de philosopher et redeviennent hommes de bon sens.

3° Une troisième épithète de l’agnosticisme, la plus usitée chez nos contemporains, peut-être parce qu’elle est la plus équivoque, est celle derelativiste. Le relativisme de nos connaissances est, en effet, la formule à la mode, dont ils ont plein la bouche, et dont ils abusent étrangement.

Que (1 la connaissance soit une relation », leur répliquait Mgr d’HuLST, cela est évident, puisque c’est un acte qui met le sujet sentant ou pensant en

! relation avec l’objet senti ou pensé. — Que cette

1 relation soit partielle et incomplète, au point de ne nous montrer qu’un côté de l’objet, sans nous révéler

! les autres, cela est encore évident, car « nous ne

I connaissons le tout de rien » même après avoir multiplié nos observations et varié les points de vue. — Que dans nos appréciations de l’objet il se mêle beaucoup de nos préjugés personnels, de nos sympathies ou de nos antipathies, par exemple, et même de nos dispositions physiques, tel que l'étal de nos organes, cela est encore évident, et tout le monde sait que le malade qui a la jaunisse voit tout en jaune. — Enfin que nos perceptions présentes soient complétées par des réminiscences de nos perceptions passées, c’est encore un fait incontestable, comme le montre la loi de l’association des images. Mais après avoir fait ainsi la part très large aux éléments relatifs et personnels, qui entrent dans nos connaissances et les imbibent profondément, reste à savoir si tout y est relatif et subjectif, et s’il n’y a pas un fond de réel ou d’absolu.

On devine la réponse outrancière de l’agnosticisme ou du relativisme complet, partisan du tout ou rien. Mais cette thèse du relativisme absolu est un non-sens, puisqu’elle suppose une connaissance sans objet connu, une forme de représentation vide de tout objet représenté.

Elle est surtout en opposition flagrante avec l’expériencelaplus élémentaire. Lorsque, par exemple, nous échangeons une poignée de mains avec un ami, la conscience nous montre dans ce fait, avec évidence, une prise de possession, d’abord physique, puis idéale, de l’un par l’autre, d’oii résulte à la fois une union et une distinction réelles de l’un avec l’autre. C’est là un fait tellement indéniable que toutes les arguties des agnostiques sont incajiables de faire croire le contraire à un homme sain d’esprit.

Sans doute nous connaissons « à notre façon », c’est-à-dire à la manière des hommes et non des anges ou de Uicu, mais cette façon tout humaine de connaître n’en est jias moins une connaissance véritable et objective. ' Tels sont les différents aspects de l’agnosticisme