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MODERNISME

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De cette mutilation de l'àme humaine se rendent coupables ceux qui appellent l’idée « mensongire » parce qu’elle exprime l’immuable, érigeant en principe qu’il faut i< retrouver le sensible (seul vrai, puisque mouvant) sous l’intelligible mensonger qui le recouvre et le masque, — et non, comme on disait autrefois, retrouver l’intelligible sous le sensible qui le dissimule ». (Le Roy, Revue de Mélaph, et de Morale, 1907, p. 201.)

Par là se trouve renversée cette législation naturelle de l’enlendement humain, dont les bergsoniens ne peuvent pourtant pas plus que nous se passer, puisqu’ils se servent sans cesse de l’idée, et partant l’atlirmeut encore au moment même où ils la nient.

Résumons dans un coup d'œil d’ensemble ces premières conséquences de la philosophie du devenir pur ou du non-être. En Métaphysique, négation de la substance et de la causalité ; — en Logique, négalion des premiers principes qui découlent de l'être considéré en lui-même ou dans ses rapports essentiels : principes d’identité, de contradiction, de causalité, d’induction ; — en Crilériologie, négation du critère de l’intelligence intuitive, c’est-à-dire des notions et des principes, à plus forte raison négation du critère de la raison discursive. « La raison abstraite n’existe pas pour nous, osent-ils déclarer, elle existe seulement en fonction d’autres facultés instinctives dont elle signale (symboliquement) les exigences et les résultats. » (Programme des modernistes, p. 127.) Ce tableau suflit pour le moment. Nous verrons plus tard les conséquences monstrueuses que ces audacieuses négations de la raison portent déjà dans leur sein.

II. — L’Agnosticisme subjectiviste

Hàtons-nous de remonter jusqu’aux causes de ces délirantes négations, jusqu'à la racine d’un mal que nous connaissons sulBsararænt, et dont nous mesurerons plus loin les ravages dans toute leur étendue.

L’Encj’clique Pascendi en signale deux : ce qui au premier abord ne laisse pas que de surprendre. Mais, à la réflexion, cette dualité se résout bientôt en unité, puisque Agnosticisme et Immanence, dénoncés avec une merveilleuse clairvoyance par le Pasteur suprcuie, ne sont que les deux moments successifs, négatif et positif, d’une même méthode, comme nous allons bientôt le montrer.

D’abord l’Agnosticisme. « Les modernistes, nous dit le précieux document, posent comme base de leur philosophie religieuse la doctrine appelée communément agnosticisme. La raison humaine enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c’esl-à-dire des choses cpii apparaissent, et telles précisément qu’elles apparaissent, n’a ni la faculté ni le droit d’en franchir les limites, d (Encyclique i’ascendi, p. 7.)

L’agnosticisme subjectif, ou philosophie de l’inconnaissable, vulgarisé par Em. Ka.nt, est une théorie de la connaissance, qui peut se résumer ainsi : « la pensée ne peut sortir d’elle-même) » ; il lui est donc impossible de rien connaître sinon ses ali’eclions et représentations, c’est-à-dire les phénomènes de sa propre pensée. D’où les noms de sul/jectivisme, de pliénoménisme, de relativisme qu’on lui donne si souvent, et qui, au fond, malgré de légères nuances de point do vue, sont à peu près synonymes.

1° Que le postulat subjectiviste soit admis par tous les bergsoniens et modernistes, cela ne saurait faire aucun doute. Ils le proclament eux-mêmes avec orgueil comme une donnée première de la pensée moderne, incontestable et au-dessus de toute

discussion. Le mettre en doute ne saurait être que le fait d’un esprit rétrograde et moyenâgeux.

Aussi l’ont-ils (ièrement inscrit dans leur Programme : « Nous acceptons, disent-ils, la critique de la raison pure que Kant et Spencer ont faite. » {Programme des Jlodernistes, p. 117). M. Bekgson avait déjà proclamé cette critique « délinitive dans ce qu’elle nie », à savoir la puissance de l’esprit d’atteindre rien de réel. Et M. Le Roy avait résumé ainsi cette critique victorieuse : <> Un dehors et un au-delà de la pensée, écrit-il, est par définition chose absolument impensable. Jamais on ne sortira de cette objection… La pensée, en se cherchant un objet absolu, ne trouve jamais qu’elle-même ; le réel conçu comme une chose purement donnée fuit sans tin devant la critique… Il faut donc conclure, ajoutet-il sans hésiter, avec tous les philosophes modernes ('.') qu’un certain idéalisme s’impose. » (Revue de Métaph. et de Morale, 1907, p. 488. ttgb). C’est donc pour tous nos modernistes la pensée qui se saisit elle-même et se contemple, en croj’ant saisir et contempler un objet étranger. Quelle illusion colossale et fantastique !

Pour nous, au contraire, c’est ce solip^isme idéaliste, si énergiquemenl repoussé par saint Thomas en cent endroits (i’oHi.vie TiiéoL, l’q.^ô, a. 2, ad 4 ; — q. 85, a. 2 ; — Contra Cent., ^5 ad 3 ; — JJe Anima, lec. 8, in line), qui est absolument invraisemblable et impensable. Non seulement il est contraire aux premières données du sens commun et contraire au témoignage le pluséclatant de la conscience — dont le regard ou l'étreinte dans une poignée de main, par exemple, enveloppe à la fois le moi et le nonmoi, — mais encore il est contradictoire en soi.

Que serait une connaissance sans un objet connu ? une représentation sans un objet représente ? une pensée de rien ?… La pensée n’est donc pas le terme de la connaissance mais le moyen de connaître, ou comme l’exprime saint Thomas traduisant, flans son style lapidaire, le bon sens du geni-e humain, non est II) QUOI » cognoscitur, sed ii> ijuo cognoscitur. Elle fait connaître sans être connue directement, et ne se connaît que par un retour sur elle-même.

Resterait à exiiliquer — si c’est possible — le mystérieux comment de cette communication des êtres entre eux, que nos modernes nient parce qu’ils ne la comprennent plus, depuis qu’ils ont rompu, à la suite de Descartes, avec les traditions séculaires de l’esprit humain.

Voici, en deux mots, l’explication géniale d’Aristote et de saint Thomas. Les corps matériels, impénétrables par leur matière, se pénètrent par leurs formes accidentelles ou leurs actions mutuelles. L’action de l’agent est dans le patient, non pas en ce sens qu’elle émigré de l’un dans l’autre, mais qu’elle est commune à ses deux co-principes, actif et passif, qui concourent inversement, mais simultanément, à la produire, puisqu’il n’y a jamais d’action sans passion, ni de passion sans action. Ainsi l’aelion de la lumière est dans l'œil qui la subit, l’action de résistance et sa figure dans la main qui les palpe. Eu sorte que l’organe sensible reçoit et saisit en luimême ces actions physiques étrangères qu’il projette aussitôt au dehors, par une projection physique et mentale à la fois, comme pour les remettre à leur place, et les restituer aux agents dont elles émanent. Ensuite, par un retour sur elle-même, la conscience saisit la passion organique produite par ces actions physiques, et constate qu’elles sont l’image renversée de l’action. Par exemple, l’empreinte d’un relief est en creux. Elle a donc saisi l’action-relief avant la passion-creux, la passion n'étant que le moyen indispensable pour recevoir et percevoir immédiatement