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MODERNISME

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Quoi qu’il en soit, c’est bien à la solution boiteuse d’Heraclite que Bergsoniens et Modernistes se sont encore attardés. Pour le prouver, innombrables seraient les textes à tirer de leurs écrits où ils foisonnent.

Dès les premières pages de l’Evolution créatrice, M. Bergson se demande « quel est le sens précis du mot exister », et il répond qu’exister c’est changer, etchanger sans cesse et totalement, en sorte qu ?, par exemple, <> si un état d’âme cessait de varier, sa durée cesserait de couler ». — De là ces expressions que l’on rencontre à chaque instant dans cet ouvrage :

« le flux per[iétuel des choses » ; — n la masse fluide

de notre existence « ; — « la réalité est fluide » ; —

« elle se résout en un simple flux, une continuité d’écoulement, 

un devenir » ; — « une création qui se poursuit sans lin » ; — « elle est un movtvement >> ; etc., etc. (Bergson, L’Evolution créatrice, p. 12, iSg, aoci, 251, 260, 270, 2g5, 827, 342, 895, 398, etc., etc.)

Inutile de reproduire les passages où M. Le Roy ne fait que répéter le maître. Pour lui.( le devenir est la seule réalité concrète >>. (Revue de Métaph. et de Morale, 1901, p. 418.) Quant aux modernistes, ils ont tenu dans leur Programme à leur faire écho, en proclamant bien haut que « l’existence est mouvement » (Le Programme… Réplique, p. 10).

De cette négation fondamentale de l’être, on va voir découler les plus redoutables conséquences, soit métaphysiques, soit logiques, soit critériologiques,

i" Au point de vue métaphysique, la catégorie d’être qui demeure, ou de substance, se trouve ainsi supijrimée. Il n’y a plus que des modes d’être sans être, des attributs sans sujet, des actions sans agent, des passions sans rien qui pâtisse, des mouvements sans moteur ni mobile : ce qui est radicalement inintelligible. C’est ce que Platon et Aristote avaient déjà stigmatisé sous le nom de philosophie du non-ctre, par opposition à la philosophie de l’être qui est celle du sens commun et de la tradition.

Laissons la parole à M. Bergson : « (7 rades changements, jnais il n’y a pas de choses qui changent : le changement n’a pas besoin d’un support… le mouvement n’implique pas un mobile » (Conf. d’Oxford, p. 24- C’est l’auteur qui a souligné). — « En vain on cherche sous le changement la chose qui change : c’est toujours provisiorement et pour satisfaire notre imagination ( !). Le mobile fuit sans cesse sous le regard de la science ( !), celle-ci n’a jamais affaire <iu’à la mobilité. » (/.’Evolution créatrice, p. 325).

— Et il a répété à satiété dans tout son ouvrage : « Il n’y a pas de choses, il n’y a que des actions. » (i’Evolution créatrice, p. 270)

S’il nie la substance, c’est parce qu’il n’a pas compris son activité causale par rapport aux phénomènes multiples et variables, qui en émanent comme d’un foyer identique et permanent. Et cependant, pour le comprendre, il lui aurait sulTi d’une simple analyse psychologique des premières données de la conscience.

a) Le moi conscient se perçoit d’abord lui-même comme un su/et identique et permanent, sous le flux continuel de ses pensées, de ses sentiments, de ses volitions. En effet, je ne coule pas avec mes pensées ; sans m’en isoler, je me distingue d’elles ; en les produisant, je ne me perds pas en elles ; elles sont

des attributs passagers, dont je suis le sujet permanent, depuis ma naissance jusqu’à la mort.

0) Le moi se perçoit non seulement comme le sujet, mais aussi comme le principe producteur de ces phénomènes, notamment lorsqu’il fait un effort d’attention ou de volonté libre. En sorte que, lorsqu’on nous demande pourquoi il faut un sujet sous le phénomène, un agent sous l’action, nous répondons : c’est parce qu’il les produit. La fonction dynamique de la substance a ainsi expliqué sa fonction statique, et l’esprit est satisfait.

Les Bergsoniens, au contraire, après avoir nié la notion de substance, doivent nier la notion de causalité ou d’activité productrice, qui relie par son lien dynamique tous les êtres de l’univers dans une vaste synthèse d’action et de passion mutuelles. Privé de ce lien, l’univers se désagrège désormais et tombe en poussière inerte et sans vie, la succession des générations vivantes est un non-sens, les attractions des astres, ou celle des atomes dans les aflinités chimiques, avec l’ordre merveilleux qui en découle, sont une illusion ou une énigme.

Voilà les deux premières conséquences, en métaphysique, de la philosophie du nonètre : Négation de la substance et de la causp.lité, d’où sortiront plus lard bien d’autres ravages. Négligeons-les pour le moment, et passons aux conséquences logiques qui ne seront pas moins ruineuses.

2° Au point de vue logique, si l’être n’est pas, il ne saurait être identique à lui-même, et le principe d’identité ou de non-contradiction est ruiné, entraînant à sa suite la ruine de tous les autres principes de la raison, qui, en dernière analjse, s’appuient tous sur le premier, sur l’impossibilité que l’être el le non-être, le otii et le non soient identiques.

Pour les tenants de la nouvelle école, au contraire le contradictoire est sans doute >< impensable >

— vu la constitution actuelle de notre esprit, — mais nullement impossible. « Le principe de non contradiction n’est pas universel et nécessaire, écri M. Leroy, … loi suprême du discours et non de h pensée en général. « (Le Roy, Revue de Métaph. e. de Morale. igo5, p. 203) L’absurde n’est donc plu ; vin signe d’erreur. Bien plus, le contradictoire est à leurs yeux, le fond même de toute réalité dans li nature, où tout est à la fois lui-même et autre qu’lui-même, puisque tout y est devenir pur, c’est-à-dir Ihétérogénéilé même et laconlradiction perpétuell de l’être et du non-être simultanés. « Qu’est-ce qu le devenir, ajoute M. Le Roy, sinon une fuite perpé tuelle de contradictoires qui se fondent ? » (Revue d Métaph. et de.Morale, 1901, p. 4li)- Pour lui, le contradictoires fusionnent dans « les profondeur supralogiques », et la devise de l’inventeur doit être’( au-dessus et au-delà de la Logique ! « (Revue d Métaph. et de Morale, 1906, p. 200 et suiv.)

C’est à cette belle maxime que W. JA^ : ES faisai écho, lorsqu’il écrivait cette phrase monumentale qui a fait, comme elle le méritait, le tour dvi monde

« Je me suis vu contraint de renoncer à hs Logiqu

carrément, franchement, irrévocablement ! » (. Plurnlislic uuiverse’^. Et ailleurs : « Le meilleur che min à suivre est celui de Feehener, de Koyce et d( Hegel : Feehener n’a jamais entendu le veto de lii Logique ; Royce entend sa voix, mais refuse délibé rément de savoir ce qu’elle dit ; Hegel n’entend c qu’elle dit que pour en faire U ; et tous passen joyeusement leur chemin. Serons-nous les seuls subir son veto ? » (W. James, Philosophie de l’e> pt rience, p. 197. Cf. p. 267, a64, 265, 30g, 316). Ce ? Bergson, ajoute-t-il, qui l’a enhardi dans cette voi qu’il reconnaît être une « catastrophe iiitérieire (Phil. de l’expérience, p. 267, 264, Sog, 316) et qu