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MODERNISME

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développement du germe posé par lui, l'écho, dans la conscience de l’Iiumanité, de son expérience l’eligieuse peisonnelle, et ainsi, dans son sens vrai, c’est encore Jésus de Nazareth ijue nous adorons.

C’est bien cette interprétation, enipronlée au protestantisme libéral, des origines clirétiennes, que visent les condamnations du Saint Ollice. Il est aisé de voir que toutes les ])ropositions proscrites la supposent, et que chacune en énonce quelque application particulière. Kelisons-les à cette lumière :

Le Clirist liistoriffuf, Jésus de Nazareth, n’a pas parle en vue d’enseigner qu’il était le Messie, ni n’a fait de miracles pour le prouver (l’rop. 28) ; — ni même il n’a eu conscience, dès le début, de sa dignité messianiijue (Prop. 35). Il a partagé les limitations et les erreurs couiniunes de son tem|)S et de son milieu : en droit, lui attribuer une science illimitée, est une hypothèse inconcevable, historiquement, moralement intenable (Prop. 34). En lait, il faut (cela est évident à qui sait lire) ou renoncer à l’historicité substantielle des évangiles synoptiques, ou reconnaître que Jésus a professé l’erreur touchant l’imminence de la Parousie (Prop. 33). Aussi l’idée d’une Eglise, d’une société constituée d’une façon durable, et pour de longs siècles, a été étrangère à son esprit : dans sa pensée, l’avènement du royaume des cieux sur terrt ! était tout proche, et se confondait avec la Un du monde (Prop. 52).

Le Christ de la foi s’est dégagé, par voie d'évolution, de ces données primitives. Dans les textes évangéli((ues, l’expression Fils de Dieu équivaut toujours, et sans plus, à celle de Messie. (Prop. 30). La notion de rédemption, de mort expiatrice, n’est pas évangélique, mais exclusiveiiienl paulinienne. (Prop. 38). Le fait de la résurrection n’est, à aucun degré, d’ordre historique, mais pureuient d’ordre surnaturel, et, comme tel, ne comporte aucune démonsti’ation, loin d'être démontré. C’est une déduction, une interprétation (derivai’it sensim ex aliis) de la conscience chrétienne. (Prop. 36). Même, dans les débuts, cette interprétation portait moins sur le fait de la résurrection, que sur la fie immortelle du Christ en Dieu. (Prop. 37). Ainsi la divinité de Jésus-Christ ne se prouve pas par les évangiles : c’est un dogme que la conscience humaine a déduit (par étapes) de la notion de Messie. (Prop. 27). Gela étant, l’on peut accorder que le Christ de l’histoire est bien inférieur au Christ de la foi. (Prop. 2g).

Quant à la notion théolo^ique du Christ, qui identilie le Christ de l’histoire et celui de la foi, elle ne ressort pas des textes, entendus au sens naturel, et est inconciliable avec eux en ce qu’elle enseigne touchant la conscience et la science infaillible de Jésus (Prop. 32). Elle est, à toutes ses étapes — Paul, Jean, les premiers Conciles — différente d’avec ce que le Christ a enseigné sur lui-même : c’est, à vrai dire, une conception issue de la conscience chrélienne (Prop. 3l). Judaïsante à ses débuts, puis paulinienne, puis johannique, linalement hellénique et universaliste, cette notion est le fruit d’une évolution à stades successifs (Prop. 60).

Notre but présent n’est pas de rechercher si toutes ces propositions ont été, dans leur teneur et leur sens naturel, soutenues par des auteurs eatholi(]ues. Il est impossible de ne pas voir qu’un très grand nombre parmi elles ont leur équivalent dans les ouvrages de M. Alfred Loisy : mais plusieurs ont été, à dessein, et très judicieusement, définies, resserrées, voire luajorées, alin d’en faire ressortir le sens, et d’en dégager, sans discussion possible, la portée hétérodoxe. Il peut s’agir bien moins encore de les réfuter dans les limites de cet article. Celte réfutation exigerait un volume, ou même deux ; et celui qui porterait

sur la personne du Christ est fait, <'t fort bienfait, par M. M. Lepin (Jésus Messie et Fils de Dieu, d’après les lii’angiles synoptiques ; 3= édition, Paris, 1907. Voir aussi, dans ce Dictionnaire, l’article Jiisus-CnRisT.) Ce que j’aurais voulu, c’est découvrir la racine même des erreurs capitales proscrites par la Sacrée Congrégation, c’est restituer la conception première qui, une fois acceptée, autorise, organise et implique naturellement toutes les applications de détail dénoncées dans le Décret. Il est fort possible, et il me semble probable que cetle conception n’a pas été le point de départ conscient des écrivains calholiques visés dans notre document ; c’est là un point d’histoire qu’on pourra débattre ailleurs. Ce qui importe, c’est de voir que les conclusions auxquelles leurs études des origines chrétiennes ont amené ces écrivains, se sont, pour ainsi dire, cristallisées dans ce système ; c’est de voir que en lui, et seulement en lui, elles ont trouvé leur cohésion, une base philosophique, une apparence, ou, si l’on veut, des dehors, d’orthodoxie. Ce système, nous l’avons trouve dans l’immanentisme évolutionniste de IIegkl, interprété et complété au moyen du sentimentalisme religieux, par les protestants libéraux. La similitude des conclusions emporte l’identité des principes.

Nous avons vu qu’appliquée aux origines chrétiennes, cetle conception se résume dans l’opposition, historiquement irréductible, réductible seulement par voie d'évolution idéale, entre deux ou même trois Christs. Il faudrait distinguer : 1° le Christ de l’histoire, limité dans sa science, partageant les idées et erreurs de son milieu, arrivant progressivement à une conscience telle quelle de sa mission, et 1 interprétant au moyen de la notion messianique commune autour de lui ; nullement préoccupé d’autoriser cetle mission par ses miracles, finissant une vie exemplaire par une mort dont il ne connut pas l’efficacité rédemptrice, et la couronnant par une

« résurrection » qui échappe à l’histoire, et qui est

plutôt le fruit que la cause de la foi de ses disciples en sa personne ; 2" te Clirist de la foi, se dégageant peu à peu des données historiques qu’il déborde, sous l’inlluencedes réflexions, et de l’expérience religieuse, de Paul, de Jean, de la communauté primitive tout entière : d’abord Messie, puis Seigneur ressuscité. Rédempteur, Fils de Dieu, Dieu enfin ; 3° le Christ de la théologie, omniscient, fondateur conscient de l’Eglise, et finalement soumis aux catégories helléniques de personne et de nature.

C’est, on le voit, la perversion complète, non seulement du catholicisme doctrinal, mais du christianisme considéré comme religion révélée par Dieu. Le document autorisé, et réclamant l’adhésion de tous les catholiques, que nous essajons d’interpréter brièvemenl, condamne cetle conception des origines chrétiennes dans toutes ses données principales. A cette « division du Christ », il oppose implicitement la notion traditionnelle et véritable, qui voit en Lui une nature humaine i)arfaite, unie hypostatiquement au Fils unique de Dieu ; qui adore en sa personne Celui qui a donné son sang en rédemption pour beaucoup, le Seigneur vraiment ressuscité par Dieu, le fondateur de l’Eglise chrétienne ; Celui enfin dont nous vivons, et pour lequel nous devrions savoir, au besoin, mourir. Christus heri et hodie, ipse et m sæcula.

Léonce on Grandmaison.

III Eglise et Sacrements

L’Eglise a reçu un triple pouvoir surnaturel : enseigner, gouverner les fidèles, les sanctifier par